Régions : COMMÉMORATION DU 11 DÉCEMBRE 1960 À NAÂMA
A la mémoire du moudjahid Bencherif Si Driss


La maison de la culture Ahmed-Chami de Naâma a, à l’occasion de la commémoration de la journée du 11 Décembre 1960, organisé une journée d’étude sur le capitaine de l’ALN, le moudjahid Bencherif Mohammed dit Si Driss, secrétaire général du commandement des frontières Ouest (CDF Ouest), zone 8 Wilaya V, disparu rappelons-le au mois de décembre 2012.
Une belle exposition-photos, embellissant le hall d’entrée de la Maison de la culture, des photos d’antan durant le colonialisme, en noir et blanc de l’époque qui montraient le parcours militant des moudjahidine de la zone 8, par thèmes, armement, ravitaillement, commandement, organisation militaro-politique etc.
Des photos illustrant «le CDF» (Commandement des frontières) en plus des documents inédits et très rares sur la révolution, notamment une copie notifiée exposée de La Gangrène d’Henri Alleg dactylographiée et ronéotypée par le CDF quand ce livre fut interdit en France, parce qu’il parlait de la torture et des sévices des militaires français sur les Algériens.
En effet, deux conférences sur le parcours militant de «Si Driss» ont été tenues respectivement par le chercheur Mérine Brahim et le professeur Mohamed Benchérif (fils du défunt). Si Driss est né en 1925 à Aïn-Séfra, son père, imam de formation, gérant de café et fellah de profession lui ayant inculqué le nationalisme très tôt, il avait dès son jeune âge une conscience aiguë des exactions subies et des injustices supportées par le peuple. Son père, pour son nationalisme patenté, a subi deux longs exils comme lourdes sanctions prises contre lui dans l’iniquité totale. Certificat d’étude primaire obtenu haut la main, il trouva, après avoir terminé ses études à l’école Lavigerie, un poste de subalterne à la commune mixte de Aïn-Séfra, où il était chargé de la comptabilité, sous les ordres de l’administrateur.
En 1956, quand il reçut l’injonction de prendre le maquis, il laissa le coffre-fort avec la coquette somme de 28 millions, un trésor pour l’époque, sans y toucher pour ne pas nourrir la propagande coloniale qui traitait les moudjahidine de bandits. Son éducation patriotique qui avait commencé avec son père, se renforça au contact d’autres grands militants : Kada Boutarène rencontré lors d’une réunion secrète, Messali Hadj (qui est venu à Aïn-Séfra et qui a fait grande impression), Ferhat Abbès dont les idées d’avant-garde avaient séduit les jeunes de l’époque etc. Si Driss était chef de la cellule PPA, responsable local FLN par la suite. Après qu’ils eurent pris contact avec Boussouf et qu’ils eurent refusé de suivre Boucherit qui a préféré anticiper sur les ordres de l’organisation de la Révolution, les rôles impartis à chacun des militants furent l’embryon qui a permis à la résistance de voir le jour dans la région. Dans cet ordre d’idées, Si Driss fut, chargé de sensibiliser les tribus de la région-Est d’Aïn-Séfrfa, à l’intérêt de lutter contre la France, son rôle de commissaire politique est consacré dès le début, ensuite il fut chef de secteur sous la responsabilité de Si Mansour (qui fut assassiné par les forces coloniales et dont la tête fut coupée et exposée pour l’exemple), adjoint chef de région sous les ordres de Si Mokrani, ensuite adjoint chef de zone de Si Amar Okbi (ex-ministre sous Chadli).
Il est à noter que des conflits ont apparu au sein des moudjahidine qui ont vu dans ces nominations à certains postes de commandement de personnes venues d’ailleurs, comme étant une injustice contre les natifs de la région mais le commandant Feradj, l’adjoint du colonel Lotfi, tué à ses côtés ) est venu régler ces dissensions.
Si Driss fut convoqué ensuite à la fin de l’année 1959 à la base Ben-M’hidi à Oujda où Houari Boumediène le chargea en personne du poste de «secrétaire général du commandement des frontières Ouest», après une confrontation entre les deux hommes où le colonel apprécia la compétence, la fermeté, le sérieux, l’amour de l’Algérie et l’abandon total à son rôle de révolutionnaire de visu de Si Driss (ce n’est qu’après cette confrontation qui dura près de deux heures que Kaid Ahmed présenta le colonel Boumediène — qui posait ses questions dans l’anonymat et auxquelles répondait Si Driss en connaisseur de terrain et des hommes — cela ne plut pas à Si Driss d’être piégé de cette manière et il le leur fit savoir sur place). Il fut donc sous la responsabilité directe du chef de l’état-major général et du commandant Mosteghanemi Rachid chef du CDF, il y avait aussi Allali Kouider (Si Youb) capitaine Aïchouba Cheikh, Abdelghani Guettaf (intendance, Belkadi dit Antar, Djaffer etc.
Toute l’activité du CDF s’exerçait dans la clandestinité et le secret total au sein de la villa Benyekhlef au centre de Oujda. Evidemment, le CDF avait de lourdes responsabilités en matière de coordination à tous les niveaux, armement, ravitaillement, affectations, accueil des djounoud malades, blessés… Rien ne filtrait sans cet intermédiaire vital entre l’état-major et le mouvement des troupes à l’intérieur et aux frontières Est et Ouest du pays.
Dans l’affaire Si Zoubir, Si Driss fut secrétaire de séance avec notamment Chérif Belkacem entre autres. On sait les tournures que l’affaire prit même au niveau international et le bras de force qu’elle connut entre l’état-major général et le royaume chérifien et finalement Si Zoubir fut appréhendé par les hommes de Houari Boumediène et condamné à mort par l’EMG, sans que le GPRA soit au courant.
Au début de l’année 1962, en raison des conflits qui secouèrent la région d’El Bayadh, il fut nommé chef de zone 3 de la Wilaya V en remplacement du commandant Abdelouahab. Après l’indépendance, Si-driss occupa de hautes fonctions de l’Etat. En juillet 1962, il fut désigné comme sous-préfet d’Aflou de Béchar, fonction qu’il occupa jusqu’à sa demande de retraite en 1978 comme chef de daïra de Sidi-Bel-Abbès. Si Driss était, depuis l’indépendance en caisson de décompression symbolique, en une espèce de solitude et d'éloignement vis-à-vis de toutes les richesses et les honneurs de ce bas monde, ce qui lui a forgé une grande sagesse et une grande maturité, il ne pouvait vivre sans la révolution, sa vie s'était arrêté quelque part là-bas, il n'a jamais vraiment vécu ni accepté tous ces revirements post-indépendance, il vivait en apnée, une cigarette accompagnait toujours ses souvenirs, et il n'en parlait que rarement sauf quand sa tête émerge quelquefois des profondeurs abyssales de la tragédie algérienne et que l'humeur y était. Il disait surtout le courage des hommes morts, si jeunes, en héros ; il ne parlait que rarement des chefs révolutionnaires avec lesquels il a exercé ses responsabilités sous leur autorité ou en collaboration avec eux : Boumediène, Bouteflika, Tayebi Larbi, Medeghri, Ahmed Benahmed Abdelghani, le colonel Othmane, Cherif Belkacem, Kaid Ahmed, Mosteghanemi Rachid etc.
Il avait un grand respect pour Saâd Dahleb qui le lui rendait bien, car sa grande modestie était admirable. Et il est mort à 87 ans emporté par une hypoglycémie. De même qu’il est malheureux aussi de constater que pas un lieu, pas un établissement public d’envergure de la wilaya, ne porte son nom. Est-ce à dire que les véritables révolutionnaires meurent dans l’anonymat ? S’est interrogé son fils Mohamed, en fin de son exposé.
B. Henine



Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2016/12/13/article.php?sid=206170&cid=4