Chronique du jour : A fonds perdus
La planification de la terreur
Par Ammar Belhimer
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Reprenons
l’ouvrage d’Alain Joxe(*). Les stratégies militaires de «l’empire sans
tête» qui consacrent la dominance des Etats-Unis produisent des guerres
sans fin, asymétriques, impliquant des pratiques de projection de forces
sans buts stables.
Il s’ensuit une croissance autistique (au sens figuré de déni de
réalité, de refus de communiquer, et, particulièrement, d'écouter
autrui) d’un pouvoir militaire américain global, alimentée par un
endettement public faramineux.
L’hyperpuissance américaine est devenue un pouvoir militaire autonome et
autiste, soumis à une course aux armements «contre soi-même»,
indépendamment de l’existence d’un ennemi stratégique menaçant
imaginaire.
Les pratiques illégitimes et irresponsables de la «gouvernance»
macrofinancière du monde – elle s’appuie sur des unités militaires,
policières ou cotre-insurrectionnelles de divers statuts, public ou
privé, national ou impérial – provoquent violence, famines, guerres
civiles et internationales.
La puissance militaire incontrôlée des Etats-Unis se vérifie par trois
processus institutionnels :
• l’extension à la totalité de la planète des zones de compétence des
grands «Commandements régionaux de combat interarmes» des forces armées
des Etats-Unis ;
• la mise en place d’une dynamique industrielle de modernisation
permanente de l’arsenal et de la stratégie explicitée dans les
Quadriennal Defense Reviews, rapports soumis au Congrès tous les quatre
ans ;
• l’expansion géographique continue de l’OTAN et l’élargissement de ses
«partenariats».
L’ambition jamais démentie de Washington de dominer militairement le
monde trouve une parfaite illustration dans un ensemble de hauts
commandements militaires régionaux, Unified Combattant Commands, mis en
place entre 1947 et 2007. Tout commence par la création de l’Eucom
(commandement européen, Sibérie comprise) et du Pacom (commandement
Pacifique qui couvre l’Océanie et l’Asie, Chine et Inde comprise) en
1947. Le dispositif est «enrichi» en 1963 par l’installation de Southcom
(commandement du Sud, destiné à la surveillance de l’Amérique latine).
En 1983 est inauguré le Centcom (commandement central) pour mettre sous
contrôle la région comprise entre l’Égypte et l’Asie centrale, en
passant par l’Irak et l’Afghanistan.
Les Quadriennal Defense Reviews sont des rapports prospectifs,
périodiques et obligatoires, soumis à l’approbation du Congrès tous les
quatre ans depuis 1997. Ils planifient la croissance de l’arsenal
américain par deux processus de modernisation continue : la
globalisation de l’espace et le progrès de l’observation
aérosatellitaire.
C’est l’ultime formule de planification précédée d’un premier rapport
sur la défense, appelé Bottom Up Review (consultation de la base au
sommet de la «hiérarchie militaire», déposé au Congrès par le Pentagone
en octobre 1993. L’année suivante, Clinton lance le concept de
«révolution dans les affaires militaires» pour mettre l’accent sur «la
guerre de l’information» parallèlement aux «opérations de paix».
Pour revenir aux Quadriennal Defense Reviews, on connaît le détail des
orientations contenues dans les quatre premiers.
Le premier QDR de 1997 associe les thèmes de la guerre de l’information,
de la supériorité asymétrique et des qualités de «l’interarméité» (jointness,
au sens de collaboration de toutes les armes).
Le second QDR publié en 2002 est fortement inspiré par les réactions au
11 septembre 2001 et le début de la guerre en Afghanistan ; il met en
valeur la menace terroriste, souligne la modernisation de l’arsenal et
codifie l’avenir des contrats de recherche et de production des
armements nouveaux. Le troisième QDR date du duo Bush-Rumsfeld (2006) :
«Il contient, précise Alain Joxe, les principes les plus actifs d’une
pensée stratégique à la fois autiste et scientiste, imaginant la guerre
urbaine informatisée avec déploiement de drones et proposant
l’intervention théorique de ce que Rumsfeld appelle «le caporal
stratégique».
On doit à Robert Gates, secrétaire à la Défense de Barack Obama, le
quatrième QDR de 2010. Le document souligne l’importance des opérations
militaires de stabilisation et de contre-insurrection, consacrant au
passage la revanche de l’Army sur l’Air Force, revanche confirmée par
l’acquisition par l’armée de terre d’hélicoptères lourds de transport et
de combat destinés à accroître la mobilité et la protection des troupes,
avec un programme de développement des drones.
Le troisième et dernier processus institutionnel œuvrant à l’expansion
géographique continue de l’OTAN et l’élargissement de ses «partenariats»
couvre la période 1999-2010. Il va transformer une «alliance défensive
régionale» en instrument de gestion de coalitions expéditionnaires
couvrant l’ensemble de la planète. La mutation s’opère en douce, sans
que l’empire américain ait besoin de réviser le traité initial ; elle
donnera naissance à de nouveaux «concepts» stratégiques.
Le premier «nouveau concept stratégique» de l’OTAN date de 1999. Il
annonce «la naissance d’une nouvelle OTAN» par la cooptation de nouveaux
membres et la mise en œuvre d’accords de «partenariat». Il inscrit au
cœur de l’engagement des «menaces asymétriques» qu’il entend détruire
par l’action préventive.
Le deuxième nouveau «concept», mis au point au sommet de Prague en
novembre 2002, est celui de «guerre hors zone». Il renforce le
«systémique préventif» antérieur et lui adjoint le «hors zone» pour
faire face à «la globalité» ubiquitaire de la menace terroriste d’où
qu’elle puisse venir. Le troisième «nouveau concept» porte le nom d’OTAN
2020, titre d’un rapport publié en mai 2010 par un groupe de réflexion
présidé par Madeleine Albright. Il prendra une formule solennelle au
sommet de Lisbonne de novembre 2010 qui va décider «la refonte du
système de commandement» et la mise en place d’une nouvelle
organisation.
L’idée force est de «transformer l’OTAN en une sorte de Conseil de
sécurité bis, purement occidental, s’octroyant une faculté autonome
d’intervention militaire offensive, ou du moins préemptive, dans le
monde entier.»
A. B.
(*) Alain Joxe, Les guerres de l’empire global – Spéculations
financières, guerres robotiques, résistance démocratique, La Découverte,
Paris 2012, 261 p.
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