Chronique du jour : LES CHOSES DE LA VIE
Et le tram sifflera trois fois...
Par Maâmar Farah
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A
chaque fois que j'aborde le problème des importations massives,
anarchiques, souvent superflues et fortement préjudiciables à l'économie
nationale, il s'en trouve qui me répondent : «Mais nous ne pouvons pas
empêcher les marchandises de rentrer. Nous sommes liés par des accords ;
nous devons ouvrir davantage nos frontières pour pouvoir adhérer à
l'OMC» et j'en passe... Pourtant, lorsque l'Europe et les Etats-Unis se
sont sentis «menacés» par l'importation généralisée du textile chinois,
des mesures protectionnistes ont été prises sans que personne crie au
scandale ! D'autres pays émergents, comme l'Inde, interdisent parfois
l'entrée de marchandises qui mettent leur propre production en danger !
Tout récemment, la plus grande démocratie du monde et la puissance la
plus libérale a encouragé le protectionnisme, taxant lourdement les
produits importés. L'objectif est de réindustrialiser le pays et de
lutter contre le chômage. Pourquoi pas nous ?
- Non, ce n'est pas pour nous. L'industrie, c'est du gâchis et le bon
choix serait de s'occuper exclusivement d'agriculture, de tourisme et de
PME...
Ah, l'agriculture et le tourisme ! Franchement, n'est-ce pas revenir à
l'époque coloniale ? L'Algérie était un pays agricole qui exportait une
variété de produits de bonne qualité vers la métropole. Le tourisme
n'existait pas encore sous forme d'industrie moderne mais des Français
venaient visiter les «colonies». Quant aux matières premières dont
regorge notre sous-sol, elles étaient également acheminées vers les
grands centres de l'industrie française. On nous proposait, ni plus, ni
moins, de revenir à cette conception dépassée et contraire aux intérêts
nationaux. Il n'y a pas que les néocoloniaux qui nous conseillent
d'abandonner la voie industrielle ; beaucoup de théoriciens algériens
recommandent de privilégier l'agriculture et de laisser tomber
l'activité secondaire en s'appuyant sur les supposés déboires de
l'expérience algérienne des années 70 !
Pourtant, c'est cette expérience unique en Afrique, cette courte
parenthèse où le génie algérien a pu briller et exceller dans divers
domaines, qui fait encore notre fierté. Oui, l'industrie
industrialisante n'était pas une fantaisie, un caprice révolutionnaire
ruineux, comme l'affirment certains. Avec très peu de moyens
comparativement à la situation financière présente, l'Algérie a pu
développer des industries sidérurgiques, mécaniques, pétrochimiques,
chimiques, textiles, agroalimentaires, du cuir, etc. qui ont permis de
répondre aux besoins des secteurs-clés et d'offrir des centaines de
milliers de postes de travail, tout en propulsant la société algérienne
dans la modernité.
Il y a quelques années, lors de l'inauguration d'une usine - qui
existait déjà et qui produit désormais des tracteurs Massey Ferguson -,
personne, ni dans la grande presse, ni dans les discours officiels, n'a
rappelé que cette unité était le pur produit de l'industrie de
Boumediène - Abdesselam et qu'elle a fabriqué, durant plus de trente
années, ces beaux «Cirta», tracteurs très demandés par nos agriculteurs
et ceux des pays voisins ! Rares ont été ceux qui avaient signalé que
les moteurs destinés aux nouveaux tracteurs sont de pure fabrication
algérienne - sous licence allemande - et que leur production date de la
même époque. Un exemple parmi d'autres, qui devrait inciter les
responsables actuels à revenir à la conception des années 70 et à
privilégier cette industrie industrialisante qui est exactement le
contraire de l'industrie d'assemblage dite du «tournevis».
Un autre exemple de la mauvaise planification dans l'industrie est cette
usine Cital qui assemble des rames de tramway. Nous avons dénoncé la
supercherie lors de son inauguration. Nous avions prévu sa fermeture
aussitôt le dernier tram livré en Algérie ! Elle n'est d'aucune utilité
car elle n'emploie pas beaucoup de monde, ne peut pas avoir dans
l'immédiat un taux d'intégration appréciable et ne répond qu'à des
besoins conjoncturels. Il a suffi d'ailleurs que le carnet de commandes
se désemplisse pour que les responsables de l'usine crient à la crise et
au risque de fermeture ! Le tramway - très coûteux et inadapté à des
centres-villes aux artères très étroites - est un mauvais choix. A la
limite, il ne serait à sa place que dans les nouveaux centres urbains
qui côtoient nos grandes villes. Il suffisait de garder tout cet argent
pour des projets plus utiles et développer le transport par autobus,
tout en dotant deux ou trois métropoles de métro dans les règles de
l'art. Par ailleurs, et puisque le projet a été installé à Annaba, on
aurait pu feuilleter l'histoire locale qui nous dit qu'il y avait, dans
cette ville, une grande usine de fabrication de wagons de chemins de fer
tombée en ruine depuis les «privatisations» ciblées qu ont assassiné
l'industrie algérienne ! Les chemins de fer ! Voilà un secteur
essentiel, rentable et d'avenir car il faudra bien mettre des trains sur
ces milliers de nouvelles lignes ferroviaires. Il faut y penser dès
maintenant et, pourquoi pas, spécialiser Cital dans la production de
wagons de marchandises, miniers et de voyageurs en lui joignant
l'ancienne usine de Ferrovial (ex-SN Métal).
Tant que nous n'aurons pas mis en place un plan audacieux de remise en
marche de ce formidable potentiel industriel, tant que nous n'aurons pas
compris que la terre ne déménagera pas et que son tour viendra quand
nous aurons bien assis une bonne organisation foncière et mis la
production planifiée à la tête de nos préoccupations, tant que nous
n'aurons pas compris que le tourisme ne peut être une primauté dans un
pays du Tiers-Monde sérieux (où en sont l'Egypte et la Tunisie ?),
l'importation aura de beaux jours devant elle.
Pourtant, quelques signaux verts sont émis de temps à autre. La nouvelle
usine sidérurgique de Bellara ou le complexe phosphatier d'Oued Kéberit
(dont les travaux tardent à démarrer), nous montrent que le retour aux
options fondamentales de l'industrie industrialisante est la voie de la
sécurité économique que nous aurions dû continuer à emprunter. Rien ne
nous empêche de reprendre ce chemin pour une politique massive, hardie,
d'industrialisation sans laquelle il n'y aura pas d'économie prospère en
Algérie. Nous avons les premières matières en quantité et en qualité :
l'uranium, l'or, la bauxite, le manganèse, le zinc, le plomb, le cuivre,
le fer, le phosphate, le molybdène, la magnétite, la barytine, le
wolfram, l'étain... Toutes ces richesses sont livrées à des sociétés
privées qui n'ont aucune politique de transformation in situ et qui les
exportent vers les industries étrangères ! Nous avons une main-d'œuvre
qui peut être formée en peu de temps. Nous avons une énergie parmi les
moins coûteuses au monde. Alors, vient à l'esprit cette question qui
nous taraude : qui a intérêt à importer davantage de produits
manufacturés, souvent du bric-à-brac de qualité douteuse provenant
d'Asie ?
M. F.
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