Chronique du jour : Ici mieux que là-bas
Daesh, l’obsession du football
Par Arezki Metref
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Une
séquence du film Timbuktu du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissoko
est un morceau d’anthologie par sa tragique force d’évocation. C’est
celle où des jeunes de Tombouctou, cette ville du nord du Mali tombée
entre les mains des djihadistes en 2012, jouent au foot… sans ballon.
Menacés de mort, ils y vont quand même faisant comme si… Chaussettes,
maillots, crampons, cages, penaltys, corners, passes, tout y est ! Sauf
le ballon rond ! Il est imaginaire. Ce qui est incroyable, c’est que le
spectateur finit par voir, du moins par mentaliser, ce ballon invisible.
Un match de foot exécuté comme une sorte de ballet pour matérialiser
l’interdit. L’interdit mais aussi sa riposte, la résistance.
C’est que, selon de nouvelles lois inventées par les daeshiens, le
football serait interdit par l’islam qui pourtant encourage la pratique
du sport.
Quand ? Comment ? Pourquoi ? Nul ne le sait. De toute façon, à l’époque
où les lois de l’islam ont été élaborées, le sport le plus populaire au
monde ne semble pas encore exister. A moins qu’ils aient d’autres
sources. Il faudra attendre plusieurs siècles, en l’occurrence le XIXe,
pour qu’enfin il apparaisse en Grande-Bretagne.
Dans le film de Sissoko, si la voiture de police islamiste patrouille
pour notamment veiller au respect de l’interdiction de jouer au foot,
des groupes de djihadistes en revanche discutent, eux, de foot mondial
et parlent même de Zidane. Une façon de pointer du doigt la duplicité
des djihadistes. Moi ? Oui. Toi ? Non !
Depuis que Daesh s’est imposé comme dictature dans certaines régions de
Syrie et d’Irak, le foot est devenu soudain un péril pour ceux qui le
pratiquent et pour leurs supporters. Bien entendu, cet interdit est
aussi nouveau que stupéfiant. Car le foot a toujours été apprécié dans
les monarchies pétro-islamiques du Golfe. Même l’Arabie Saoudite,
berceau du wahhabisme, père putatif du salafisme qui a engendré après
quelques manipulations policières interlopes entre autres Al Qaïda et
Daesh, possède un championnat de foot professionnel et une équipe
nationale qui a gagné quelques trophées, dont trois fois la Coupe d'Asie
des nations (1984, 1988 et 1996). Certaines monarchies comme le Qatar,
exportateur d’islamisme radical et de soutien aux groupes salafistes, se
permettent même le luxe de racheter des clubs occidentaux comme le Paris
Saint-Germain (PSG).
Oussama Ben Laden était fan de foot qu’il ne dédaignait pas pratiquer à
l’occasion. Dans son livre Ben Laden, derrière le masque du terroriste,
l'auteur britannique Adam Robinson affirme qu'Oussama Ben Laden était
supporter d'Arsenal durant les années 1990, à l'époque où il résidait à
Londres.
Tandis qu’Abou Bakr Al-Baghdadi, le calife de Daesh, était lui-même un
excellent footballeur. Témoignage d’un fidèle de la mosquée du quartier
de Tobchi, à l’ouest de Baghdad, où il a grandi : «Il brillait sur le
terrain de foot, il était notre Lionel Messi. C’était notre meilleur
joueur.»
Ce même témoignage atteste du fait qu’Al-Baghdadi n’avait alors pas du
tout l’âme d’un leader à cause de sa timidité et de sa réserve, et que
l’unique endroit où il se distinguait était un stade de foot.
Mais tout cela, c’était en des temps déjà anciens. Comme en une Jâhilîya
qui n’avait pas encore vu Al-Baghdadi sacré calife, et Daesh édictant
dans les territoires sous sa coupe des lois comme celles qui, en 2015,
promettaient un châtiment sévère à quiconque suit à la télé le Clasico
entre Barça et le Real. En mai 2016, à Balad, au nord de l’Irak, un
groupe de tueurs de Daesh commet un bain de sang dans un club de
supporters du Real de Madrid. 16 morts. Des jeunes. A Raqqa, en Syrie,
l’été 2016, Daesh décapite devant des enfants quatre joueurs de football
syriens de l’équipe Al-Shabab accusés d’accointances kurdes. Les
bourreaux ont obligé par la suite les enfants abasourdis à examiner les
cadavres.
En mai 2016, trois enfants ont été fouettés publiquement pour avoir joué
dans les rues de Mossoul au foot, que Daesh considère comme «un produit
de la décadence occidentale». Mais le pire – enfin, oui, le pire ! –
s’est passé dans cette même ville de Mossoul pendant l’hiver 2015.
Surpris par les espions de Daesh en train de regarder à la télévision un
match opposant l’Irak à la Jordanie dans le cadre de la Coupe d’Asie,
treize adolescents ont été publiquement exécutés à la mitrailleuse. Ça
ne rigole pas !
Dans les territoires qu’il a occupés, notamment en Syrie, Daesh a
commencé par l’interdire purement et simplement sous prétexte que «les
règles du football n’ont pas été instaurées par Allah mais par la FIFA».
Puis, la situation a évolué. Le foot est de nouveau autorisé mais soumis
à des conditions drastiques condensées dans ce message que Daesh veut
transmettre. L’organisation peut édicter toutes les lois qu’elle veut,
celles du football y compris.
On décide d’interdire le port du maillot, mimétisme des Occidentaux.
Port obligatoire de pantalons et de tee-shirts longs. Interdiction
évidemment de tout pari sur le football. Prohibition de tout match dont
l’enjeu est un titre ou une récompense. Dans certains cas, comme à Deir
Ez-Zhor, en Syrie, l’arbitrage lui-même a été prohibé, car considéré
comme un acte d’incroyance, il nie aux yeux de Daesh l’évidence selon
laquelle «seul Dieu décide de l’issue des choses». Mais comme il est
impossible de laisser jouer un match sans arbitrage, ce sont les membres
de Daesh qui ont décidé d’endosser la tenue du referee. La règle qu’ils
appliquent, c’est la… vertu ! S’ils soupçonnent un joueur de mentir en
réclamant un penalty imaginaire par exemple, il est arrêté sur le
terrain même ! C’est joyeux !
Les membres de Daesh ont un rapport d’attirance-répulsion avec le
football et sa puissance à provoquer de la ferveur religieuse chez les
jeunes du monde entier. La milice populaire irakienne, partie à l’assaut
de Daesh pour reconquérir les territoires que l’organisation d’Al-Baghdadi
s’est accaparée, avait annoncé en septembre 2016 que ses soldats
allaient arborer des maillots de foot «pour contrarier les djihadistes».
A. M.
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