Chronique du jour : A fonds perdus
Un monde à construire


Par Ammar Belhimer
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La campagne de Bernie Sanders lors des dernières primaires démocrates aux Etats-Unis ne doit pas être ravalée au statut de «fait divers», avertit la publication Dissent Magazine, sous la plume de Jedediah Purdy, professeur à l’Université de Duke, auteur de After Nature : A Politics for the Anthropocene (paru chez Harvard University Press, en 2015(*).
Ce que cette campagne doit laisser aux générations montantes comme «monde à construire» est soigneusement rattaché à onze enseignements.
L'impulsion pour le nouveau radicalisme puise à de nombreuses sources, dont «l'inégalité économique, l'instabilité financière, le racisme structurel, le présage menaçant d'une catastrophe environnementale».
Le recensement des enseignements de la campagne de Sanders assène nombre de vérités bonnes à dire dont je vous livre la substance en insistant sur les plus significatives.
1. L'économie, c'est le pouvoir. Si vous êtes encore réceptif à la croyance, noble et rationnelle, du libéralisme classique que l'économie est vecteur d'efficacité – les parties intéressées négociant leur profit mutuel dans un marché où une «main invisible», d’obédience divine, rendrait le monde meilleur – vous faites tout faux : «Notre monde est celui dans lequel la main invisible ne fait manifestement pas son travail» parce qu’un nombre restreint d’entreprises et de banques imposent leur loi, rappelle Purdy.
2. Expertise n'est pas légitimité. Les démocrates américains sont friands de formation et d'expertise dans lesquelles ils voient un passage obligé pour gouverner. Les tenants de cette méritocratie se recrutent parmi les hauts diplômés d'économie et de droit de Yale. Or, «notre groupe d'experts oublie souvent que l'expertise n’est qu’un
outil (…) La politique couvre aussi les objectifs et les visions du monde. Il ne suffit pas d'être intelligent et formé. La première question est : de quel côté êtes-vous ?»
3. Vous êtes autorisé à revendiquer la sécurité économique. Pendant des décennies, la sécurité économique a été «dévoyée comme étant l'objectif des faibles, l’éponge sociale de ceux qui ne peuvent pas gérer la concurrence tout au long de la vie. Encore une fois, les méritocrates, qui excellent dans un certain type de concurrence, se sont alignés sur les investisseurs qui en profitent, en soutenant l'idée que la concurrence en tout suffit pour une bonne économie. Nous devons rejeter le moralisme de la concurrence (…) et dire qu'il est juste et bon de vouloir être en sécurité».
4. Vous êtes plus que du capital humain. La valeur d'une personne n'est pas ce qu'elle peut gagner, et le «retour sur investissement» est une mauvaise façon de penser, une distorsion culturelle et psychique par laquelle la culture de marché colonise les esprits.
Le discours de Sanders au Vatican l’a fort opportunément rappelé en évoquant «une économie qui défend le bien commun» en garantissant que les soins de santé et l'éducation soient des droits sociaux et non des produits de base.
5. La solidarité est différente de l'espoir. «Pas moi, nous.» Ce slogan de Sanders contraste avec «je suis avec elle» de Clinton, et réhabilite la notion de «communauté».
A la différence de l’espoir, la solidarité «regarde autour, et agit avec et pour les autres».
6. La démocratie, c’est plus que le vote. Dans le monde d'aujourd'hui, la démocratie touche à la relation entre le pouvoir économique et le pouvoir politique. Désormais, cela ne suffit plus. Il reste à assurer l’avènement «de gens organisés qui décident comment l'argent doit être dépensé – dans la réglementation financière, disons, ou la réforme des finances de campagne».
7. Rien n’est jamais définitivement acquis.
8. L'égalité de traitement n'est pas suffisante. La révolution des droits civiques du XXe siècle a laissé intactes «de nombreuses formes d'inégalité raciale, de l'inégalité de la richesse aux excès policiers, en passant par la ségrégation de facto dans les quartiers socialement «toxiques. Une partie de cette inégalité persistante n'est pas individuelle mais structurelle».
9. Nous avons besoin de conclure une paix avec la terre.
10. Nous avons en commun ce que nous décidons d'avoir en commun. L’économie dominante est jugée «précaire et déplacée» car elle met sur le carreau les travailleurs sans papiers, les anciens ouvriers d'usine dont les industries sont fermées, les stagiaires et les jeunes travailleurs à la pièce qui sortent du collège et les gens sans formation collégiale qui sont exclus du marché du travail.
«Il y a peut-être quelque chose, pas un «grand marché», mais une alliance, pour nous sortir de cette situation. En 1958, John Kenneth Galbraith, qui se rapprochait de l’aile sociale-démocrate de la vie américaine, a affirmé que «la société aisée» (dont il rêvait) passe par une économie de loisirs, de solides prestations sociales, de charges de travail légères et de nouvelles frontières. «Cette vision a été rompue.»
11. Nous avons un autre monde à construire. Les précédentes campagnes politiques démocratiques ont peiné à «naviguer dans ce monde d'inégalité, d'insécurité et de soi-disant méritocratie, et à l'humaniser à la périphérie. Il reste à le changer. Certains d'entre nous appellent cela le socialisme démocratique».
A. B.

(*) Jedediah Purdy, A World to Make: Eleven Theses for the Bernie Sanders Generation, 21 avril 2016.
https://www.dissentmagazine.org/online_articles/eleven-theses-bernie-sanders-generation-democratic-socialism




Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/03/21/article.php?sid=211018&cid=8