Soirmagazine : C’est ma vie
Boumhala, le taxi driver


Par Rabah Saâdoun
Qui ne se souvient pas de ce chauffeur de taxi de Tissemsilt ? l’ombre de sa 505 break jaune n’a jamais quitté l’esprit de tous ceux qui l’ont connu et surtout le cœur de ses enfants et de sa femme.
 Boumhala était l’un des rares chauffeurs de taxi qui travaillait pour son propre compte. Il a passé toute sa vie au service de ses clients avec lesquels il a sillonné l’Algérie d’est en ouest et du nord au sud. Avec lesquels il a partagé leurs joies et leurs galères.
Il était connu surtout comme étant le spécialiste du trajet Tissemsilt-Alger. La majorité des émigrés de la région le connaissait, que ce soit à leur embarquement ou débarquement, il était toujours près d’eux à l’aéroport. Boumhala avait toutes les qualités du bon chauffeur de taxi : le sens du service, de la courtoisie, un look bien soigné et, surtout, le sens de la responsabilité vis-à-vis de la sécurité de ses clients.
Boumhala est à ranger dans la catégorie des prévenants, de ceux qui vous demandent gentiment, une fois installé à l’intérieur de son véhicule, si la station de radio qu'il a choisie vous convient et s'il ne fait pas trop froid ou trop chaud.
Quiconque avait une affaire à régler à Alger pensait tout de suite à si Boumhala qui n’hésitait jamais à lui acheter un médicament, à lui prendre un rendez-vous chez un médecin ou lui déposer son dossier au niveau de n’importe quelle ambassade pour l’obtention d’un visa.
Il lui est même souvent arrivé de prendre dans le coffre de sa voiture des objets insolites, des bric-à-brac ou tout simplement des produits du terroir (figues, huile d’olive, cardes sauvages, couscous, galettes, gâteaux…) qu’une maman ou un papa voulait envoyer à sa progéniture. Et, souvent, c’était gratuitement car il était d’une générosité et d’un altruisme remarquables.
Le rendez-vous était toujours pris vers 2h du matin soit devant le café Bourakhla, le café Baroud ou celui de Sataoui ! Il attendait ses clients avec plaisir, chauffant le moteur de sa 505 avant de prendre le départ vers Alger.
Pour lui c’était un métier à la fois passionnant et toujours plein de surprises grâce au contact avec le public. Chaque client, pour lui, était unique avec son lot d’histoires aussi uniques. Des fois, cela lui procurait également pas mal d'adrénaline, avec des courses contre la montre à gérer en permanence !
Pour ce qui est des surprises, il en avait eu beaucoup au terminus de chaque voyage : de la vomissure, des traces de pipi d’enfants, des mégots sur les banquettes... Eh oui, ce n’était pas rose tous les jours, mais si Boumhala exerçait son métier toujours avec le sourire et le même plaisir.
Il n’avait pas le choix, il était le seul à subvenir aux besoins de sa petite famille et savait que ses enfants l’attendaient avec impatience à chaque voyage et rien ne valait pour lui leur joie à son retour avec, souvent, quelques provisions à la main. De son vivant, il racontait toujours la nature enrichissante de son métier à travers les différentes anecdotes, les rencontres, les différents échanges culturels et émotionnels qu’il a vécus.
C’était pour lui des destins croisés, certes le temps d'un instant, d’une course, mais inoubliables... Les virages de Theniet El-Had - El-Youssoufia le connaissent très bien parce qu’il les avait négociés des milliers de fois. De l’avis de tous ceux qui ont fait au moins un voyage avec lui, il avait une conduite souple, ne dépassait jamais la vitesse autorisée, restait prudent et attentif tout en gardant le sourire. Pour tenir pendant les longues heures au volant de son taxi, le secret de Boumhala, c’était un régime de sportif. Pas d’alcool, pas de cigarettes, ni de repas gargantuesques. Son truc : une pause au café à Magtouaâ.
Un café express bien serré, et vroom ! Destination le garage Rovigo, en plein centre d’Alger. De son vivant, il confia à l’un de ses proches : «Un jour je me suis fait une grosse frayeur : je roulais de nuit et je me suis un peu assoupi. Heureusement, il n’y a pas eu de conséquences, mais c’était une bonne leçon.»
Malheureusement, on ne s’en sort pas toujours indemne ! Les habitants de Tissemsilt, les membres de sa famille, ses amis et proches se souviendront toujours de cette journée du mois d’octobre 1985 où il eut un accident mortel suite à une mauvaise manœuvre de celui qui venait en sens inverse et qui l’a fauché de plein fouet ne lui laissant aucune chance d’esquive.
L’annonce de sa mort est tombée comme un couperet. Eh oui, il est mort le taximan, celui qui les conduisait là où ils voulaient. Il est mort le gentil bonhomme charismatique, fascinant, qui avait dans son cœur des trésors d’amour, de tendresse et de patience !
Le 1er novembre 1985, le cimetière de Sidi El-Houari ne pouvait contenir la foule de personnes venues de partout l’accompagner à sa dernière demeure. Les Vialarois qui l’ont connu ne l’ont jamais oublié et se souviendront le restant de leur vie de Boumhala, le taxi driver !

NB : Vialar, c’est l’ancienne appellation de la ville de Tissemsilt.Vialarois : habitants de vialar.





Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/05/06/article.php?sid=213209&cid=52