Chronique du jour : Kiosque arabe
Pendant la crise, on prépare les effusions
Par Ahmed Halli
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Si
l'on admet que le Qatar est le chérubin démonisé qui a désobéi à son
seigneur et maître par l'incitation à la rébellion et au désordre, on
peut s'attendre à ce que le diablotin retourne en grâce. Car, ce qui lui
est reproché, en fin de compte, ce ne sont que des vétilles sans
importance au regard de ce qui a été fait par le califat de La Mecque,
en la matière, le Qatar n'ayant été qu'un élève incontrôlable. Dans
quelques semaines, sauf complications selon le jargon médical,
superbement ignoré par les praticiens de la «roqia», on assistera à la
grande repentance. Les autorités de Doha en place ou celles qui
prendront sans doute le relais feront un mea-culpa public, en mettant
tout sur le dos du pestiféré du moment, dont on peut deviner l'identité.
La repentance, voie rapide et sans péage vers la réhabilitation, voire
la sanctification, pourrait prendre la forme d'une confession publique,
sans pilori et sans garrot mortel. Je pense ici à la repentance au pied
du gibet, que nous a offert le Hamas de Ghaza, en mai dernier, lors de
la condamnation à mort d'un certain Abou-Layla, agent du Mossad et
meurtrier présumé. Abou-Layla était accusé d'avoir tué un commandant
militaire du Hamas, Mazen Fuqaha, sur ordre des services israéliens dont
il était l'agent stipendié depuis plusieurs années, selon ses propres
aveux.
La fin du procès est un morceau d'anthologie, susceptible d'être étudié
par les générations futures sur les bancs des facultés où l'on
enseignera peut-être l'histoire des jugements expéditifs. Après un
théâtral «Yahia al-adl» (vive la justice), comme on l'enseigne dans les
bons feuilletons égyptiens, Abou-Layla a demandé au public de lui
pardonner et de prier pour son âme. Puis, s'adressant aux services
secrets israéliens : «Vous m'avez attaché à votre service, mais vous
êtes la lie de toutes les nations réunies. Vous avez éreinté les
prophètes, mais la résistance vous a vaincus, et la sécurité intérieure
(du Hamas) n'ignore rien de vous. Je suis un fils du peuple, je suis un
enfant de Ghaza (il est natif de Cisjordanie en réalité).» En dépit de
cette confiance dithyrambique, Abou-Layla et ses deux complices présumés
ont été rapidement exécutés. Comme quoi, il ne faut jamais ajouter foi,
et c'est le cas de le dire, aux promesses des islamistes, qui pensent
qu'en vous envoyant ad patres, ils vous rendent un signalé service. Bien
sûr, on ne demandera pas au Qatar de faire sa dernière prière ni de
réciter sa «Chahada», puisqu'elle est validée et n'est pas susceptible
d'être remise en cause, même hors caméras cachées. En revanche, on
appréciera quelques tirades bien senties sur le nouveau Satan iranien et
ses séductions maléfiques.
C'est là, en effet, qu'est le drame. Ah, l'Iran et ses ayatollahs,
désormais soupçonnés non seulement de subjuguer des peuples crédules,
mais aussi de suborner des princesses, voire des épouses d'émirs. Selon
la douktoura et cheikha Naouf Ibn-Ahmed Al-Thani, cousine de l'émir du
Qatar, l'épouse de ce dernier, la célèbre cheikha Mouza serait devenue
une marionnette (doumia) des Iraniens. La brave cousine, citée par le
journal électronique Portail des Arabes, affirme que ce contrôle est
effectif depuis que Mouza préside le Haut Conseil de défense du Qatar.
Elle laisse entendre que la «Première dame» serait la vraie maîtresse du
pays, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les éventualités, dont
celui de la tête de Mouza en guise de trophée. Selon le même portail qui
reprend des informations des médias et réseaux sociaux égyptiens, le
Qatar aurait fait des efforts exceptionnels en direction de la «Mère de
l'univers». La chaîne Al-Jazeera, qui a été l'arme fatale du Qatar et du
terrorisme, est particulièrement ciblée et au centre de cible figure un
certain Karadhaoui, qui n'est plus à présenter. Le quotidien saoudien
Okaz, décidément très actif sur le front des révisions idéologiques
déchirantes, s'en est pris samedi dernier au cheikh égypto-qatari et à
sa «Ligue internationale des ulémas».
Le journal évoque comme pour l'exorciser l'époque où les écoles et les
universités saoudiennes se nourrissaient des idées de l'intégriste
égyptien Seyed Qotb et dévoraient ses livres. «Nous avons fait de même
avec les prêches de Karadhaoui et avec ses écrits, qui ont eu une place
privilégiée dans nos bibliothèques, et nombre de théologiens se sont
joints à sa ligue», souligne Okaz. Ce qui laisse entendre que la
prochaine action des Saoudiens visera la «Ligue internationale» des
pseudo-savants de l'Islam, solidement implantée en Europe et d'influence
néfaste. En attendant, le journal appelle les intellectuels saoudiens à
se pencher sur les idées de Karadhaoui et du mouvement des Frères
musulmans, afin de contrer leur influence. Inspirés ou non, des journaux
égyptiens ont publié hier des documents officiels qataris qui font état
du versement de plus de deux millions de dollars à des journalistes en
vue et à des réseaux sociaux. Malheureusement, et sauf à attendre un
autre déballage providentiel, les identités des destinataires de ces
«subventions» ne sont pas indiquées et il faudra attendre patiemment un
Assange arabe. On se consolera avec ces informations qui donnent une
explication plausible à l'alliance du Qatar et de la Turquie, sous le
signe des accointances avec l'organisation des Frères musulmans. Le
quotidien londonien Al-Hayat rebondit d'ailleurs sur les accusations
russes contre le Président Erdogan lui reprochant ainsi qu'à sa famille
d'être les premiers à tirer profit du pétrole «exporté» par Daesh.
L'éditorialiste du journal saoudien cite en outre l'implication
personnelle du fils d'Erdogan, Bilal, dans plusieurs projets
d'investissements en partenariat avec le Qatar. Al-Hayat observe
également que la presse turque est étrangement discrète sur la
déclaration de Trump appelant le Qatar à cesser de financer le
terrorisme, un soutien implicite aux accusations saoudiennes. En
revanche, les journaux proches du pouvoir soutiennent le Qatar, tout
comme le font les autres journaux arabes aux sympathies islamistes. Pas
d'inquiétude à avoir sur l'issue de la crise : Trump va mettre tout le
monde d'accord, et il y gagnera encore beaucoup de millions de dollars,
pour acheter plus de popularité. Et tout cela finira par des accolades
et des effusions, selon la bonne vieille tradition instituée par la
valétudinaire Ligue arabe.
A. H.
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