Chronique du jour : A fonds perdus
La mort des fonctionnaires


Par Ammar Belhimer
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Fonctionnaires en CDD est le titre fort approprié d’une étude d’Aurélie Peyrin, publiée le 27 juin dernier(*).
Le démantèlement des fonctions régaliennes de l’Etat par la poussée néolibérale est en passe, dit-elle, de transformer la Fonction publique en un système d’emploi dual dans lequel végètent en nombre croissant des «agents publics contractuels».
Les anciennes perceptions de l’emploi public, conditionné par la réussite à un concours – méritocratie oblige ! – et souvent assimilé au statut de fonctionnaire, ont vécu.
En France, notre modèle de référence, l’emploi public est soumis à une première critique («les fonctionnaires sont trop nombreux») qui motive une revendication majeure («son statut doit être réformé»).
Au cœur de cette mutation : le contrat – cadre d’organisation de l’emploi public dont l’enjeu récurrent remonte à loin dans l’histoire : «Au XIXe siècle, des députés libéraux voulaient déjà réserver l’ébauche de statut de fonctionnaire aux seules fonctions régaliennes (police, justice, monnaie, etc.)»
Plus près de nous, à chaque secousse économique, le système se rabat sur les leviers des salaires et de l’emploi pour mettre de l’ordre dans sa gabegie. C’est ainsi que la crise financière de 2007 a donné naissance à des mesures d’austérité drastiques visant directement les agents publics dans de nombreux pays européens : «La moitié des 27 pays de l’Union européenne avait ainsi baissé les salaires des agents publics en 2009 ou 2010, les autres ayant pour la plupart préféré geler l’augmentation des salaires. Une partie d’entre eux avait procédé à des licenciements, tandis que la plupart gelait les recrutements.»
La France a emprunté une autre voie que les dégraissages massifs et les réductions drastiques des salaires : elle a réduit les flux de recrutement de fonctionnaires, particulièrement dans la Fonction publique de l’État, d’une part, et accru les flux de recrutement en dehors du statut (contractuels et emplois aidés).
C’est désormais hors de l’ancien statut que s’effectue, depuis 2005 dans une grande discrétion, voire une totale indifférence, la majorité des recrutements, consistant en des emplois non statutaires qui ont progressivement substitué le contrat à durée indéterminée de droit public au statut «comme moyen de stabiliser l’emploi dans la Fonction publique, alors que la régulation de l’emploi contractuel faisait l’objet d’une véritable normalisation réglementaire».
Un système d’emploi public dual et inégalitaire se met en place à la faveur des deux lois de 2005 et de 2012 instaurant une «régulation contractuelle» qui «correspond à un mode d’emploi spécifique, plus flexible, moins coûteux, moins protecteur, qui offre de moindres chances d’accès aux promotions et responsabilités».
Diversité et précarité frappent alors de plein fouet le nouvel emploi public.
L’idée, prépondérante, que la Fonction publique française repose sur des agents titulaires bénéficiant d’un «régime d’emploi dérogatoire au droit commun du travail incarné par un statut, dont les protections sont destinées à placer les fonctionnaires dans les meilleures conditions pour qu’ils se consacrent exclusivement au service de l’intérêt général», cette idée-là fait déjà partie du passé depuis déjà bien longtemps : «en 2012, 17% des agents étaient en contrat à durée déterminée dans les ministères, hôpitaux, collectivités territoriales et établissements publics administratifs, contre 13% des salariés dans l’ensemble des secteurs marchands».
«Si la part des contrats à durée déterminée s’est nettement accrue dans les secteurs marchands en 20 ans (de 8 à 13%), elle était déjà élevée dans la Fonction publique (14% en 1992). Comme dans les secteurs marchands, l’emploi stable reste la norme pour la majorité des agents publics, mais cette norme est mise à mal par les flux de recrutement : en 2014, seul un nouvel agent sur six était fonctionnaire statutaire, car plus de la moitié des embauches se faisaient sous contrat à durée déterminée, et presque un quart sous contrat aidé. Cette transformation massive des formes d’emploi à travers les flux de recrutement est l’une des évolutions marquantes de la Fonction publique depuis une quinzaine d’années.»
Recomposition et fractionnement des administrations publiques affectent aussi les carrières des fonctionnaires, perçus et traités comme des agents non titulaires.
Le caractère dual de la nouvelle configuration de l’emploi public entretient l’inégalité entre salariés à travers deux modes de régulation de l’emploi et des carrières.
Le référentiel des formes particulières d’emploi, ou formes d’emploi atypiques (définies par leur écart à la norme du contrat à durée indéterminée à temps plein) s’adapte parfaitement à l’emploi public : «Qu’on les appelle “non-titulaires” ou “contractuels”, ces agents ont pour première caractéristique de ne pas être recrutés dans le cadre d’un concours. Leurs modes d’emploi relèvent de dispositions réglementaires distinctes de celles des fonctionnaires. Ce sont des contractuels de droit public qui, s’ils ne relèvent pas du statut général de la Fonction publique, ne relèvent pas non plus du code du travail.»
Il ne s’agit pas simplement d’un processus de nivellement, au sens de rapprochement des statuts public et privé, mais d’une précarisation absolue. Deux éléments au cœur du contrat social entre l’État et les fonctionnaires font en effet défaut à l’agent contractuel : il n’est pas titulaire d’un grade et n’a pas droit à une carrière.
L’institutionnalisation du régime contractuel de droit public a progressivement remis en cause la norme statutaire dans le système d’emploi des Fonctions publiques : «En venant brouiller la frontière séculaire établie entre ‘’gens du public’’ et ‘’gens du privé’’, l’application du droit privé aux contractuels de la Fonction publique représenterait une rupture historique majeure. Elle engagerait la France plus avant sur la voie d’un affaiblissement de la spécificité des services publics, qu’empruntent de plus en plus de pays européens.»
A. B.

(*) Aurélie Peyrin, Fonctionnaires en CDD, La Vie des idées, 27 juin 2017. ISSN : 2105-3030. URL : http://www. laviedesidees.fr/ Fonctionnaires-en-CDD.html




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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/07/04/article.php?sid=215897&cid=8