Culture : UNE FIGURE EMBLEMATIQUE DE LA CHANSON ARABE MODERNE
Emel Mathlouthi, exploratrice de sons et de sens
Une
artiste qui fait vibrer l’âme. Parce qu’elle-même vibre de tout son
être, surtout sur scène. Emel Mathlouthi a le don d’émouvoir vivement le
public, de communier avec lui, de l’enflammer. Elle est à découvrir
absolument.
La belle chanteuse tunisienne est assurément la révélation de cette
année 2017, tant par sa voix prodigieuse que par son travail de création
artistique qui la propulse à l’avant-garde des musiques arabes
modernes. Ainsi, le public présent au 53e Festival international de
Carthage n’oubliera pas de sitôt le concert mémorable qu’elle y a donné
le 12 août dernier. Le 22 août, elle récidivait au Festival des musiques
du large, en Normandie (France), où elle a présenté son nouvel album,
Ensen. Partout la même énergie sur scène, le même enthousiasme des
spectateurs, de belles émotions partagées. Les amateurs de trip
polyphonique vocal, sonique et instrumental sont aux anges : Emel
Mathlouthi les invite à une douce overdose qui stimulera puissamment la
vitalité qui s’atténuait en eux. Comme un coup de fouet ! C’est comme
s’ils vivaient une rencontre passionnelle, fusionnelle qui leur donne
l’impression de renaître à la vie. Pour le mélomane algérien qui
découvre la chanteuse, le coup de cœur devient vite coup de
foudre. L’artiste l’invite tout simplement à partager une expérience
spirituelle. Elle est là pour lui rappeler qu’il est vivant et que la
créativité est au cœur de l’existence.
Emel Mathlouthi est une chanteuse, musicienne, auteure-compositrice et
productrice née le 11 janvier 1982 à Tunis. Elle a deux albums à son
actif : Kelmti horra (2012) et Ensen (2017).
Après avoir vécu à Tunis, puis en France à partir de 2007, elle a
finalement posé ses valises à New York depuis trois ans. D’un caractère
indomptable et fier, la jeune artiste a d’abord été chanteuse d’un
groupe de métal à l’université. Sa passion pour la musique et le chant
lui fait délaisser ses études au profit de la scène et des
répétitions. Elle commence à se produire avec sa guitare, jouant aussi
du piano et taquinant volontiers la batterie. En plus de ce rapport
particulier à la musique, Emel Mathlouthi a une âme de poétesse et elle
affectionne la chanson arabe engagée. Le folk, le rock psychédélique, le
folklore nord-africain, la musique électronique et la chanson arabe à
texte vont influencer son évolution artistique et son parcours.
En 2012, Emel Mathlouthi est d’abord révélée pour le public. Elle
devient l’une des figures de «la révolution du jasmin» (les «printemps
arabes») avec son titre Kelmti horra. Tout de suite cataloguée
«chanteuse contestataire», elle n’en continue pas moins de travailler,
d’innover, de faire des tournées dans le monde. Après un premier album
salué par la critique et très bien accueilli par les fans, elle entame
une carrière internationale prometteuse que la sortie de son deuxième
opus va asseoir un peu plus. Sorti le 24 février 2017, Ensen (humain)
contient une dizaine de titres, il est chanté presque entièrement en
arabe. Pour la jeune artiste, le challenge aujourd’hui, c’est de
produire de la musique qui s’exporte. Il n’est pas facile, en effet, de
réussir sur la scène internationale sans chanter en anglais. à quelques
exceptions près. Et surtout lorsqu’on s’appelle Emel Mathlouthi.
Pour gagner son pari, la chanteuse tunisienne a produit elle-même son
album et elle s’est entourée d’Amine Metani et de l’Islandais Sigurosson.
Le choix de Metani pour l’accompagner n’est pas fortuit, le leader d’Arabstazy
étant l’un des chefs de file de la nouvelle génération d’artistes et
producteurs arabes issus de l’électro pure, limite techno.
De fait, dans Ensen, la musique rock électro côtoie le trip-hop, la
world music, l’ambient, la musique symphonique, les sons et les rythmes
des instruments traditionnels du folklore maghrébin... Tout un bouquet
de subtiles sonorités, de fragrances fragiles, d’atmosphères sombres ou
claires, de tons changeants à travers lesquels l’artiste autodidacte
poursuit sa quête de sens et d’identité. Ici, la recherche de qualité et
de transcendance pousse à styliser les formes, à privilégier l’émotion,
à creuser des thèmes intemporels, à créer un univers harmonieusement
métissé d’Orient et d’Occident et à explorer les nouvelles terres de la
musique électronique.
Avec Ensen, Emel Mathlouthi mixe donc toutes sortes d’influences. Elle
ose, crée, innove, bouscule les codes, navigue entre traditions et
modernité, explore de nouvelles voies, expérimente de nouvelles
sonorités... Elle évolue désormais sur les terres de l’universel tout en
continuant à écrire des chansons à texte, c’est-à-dire composées de mots
qui font sens.
Car l’engagement pour un monde meilleur et contre les injustices, les
inégalités, est toujours là. L’artiste éprise de liberté dédie également
ses chansons à la jeunesse et à l’espoir d’un avenir meilleur.
Emel Mathlouthi a tous les atouts entre les mains pour réussir une
brillante carrière internationale. Dotée d’une voix incomparable, tour à
tour grave, puissante, vibrante, souple, étoffée, bien timbrée, flûtée
— une voix prodigieuse, qui fait frémir —, elle maîtrise aussi cet art
de la chorégraphie qui lui permet d’occuper admirablement l’espace
lorsqu’elle est sur scène et qu’elle laisse s’exprimer son énergie
débridée. Et si sa voix fait honneur aux anciennes divas de la chanson
arabe, il est sûr qu’elle est en train d’aller plus loin, transcendant
cet héritage pour s’imposer comme une figure emblématique des musiques
arabes actuelles tournées vers l’universel.
Hocine Tamou
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