Monde : Turquie
Le chef de l'opposition assure qu'il ne «cédera pas aux menaces d'Erdogan»
Le chef du principal parti d'opposition turc a assuré
à l'AFP qu'il poursuivra sa quête de justice et qu'il ne «cédera pas aux
menaces» du président turc Recep Tayyip Erdogan, qu'il accuse de diriger
le pays en «dictateur».
L'opposition dénonce une dérive autoritaire du président Erdogan depuis
la tentative de coup d'Etat de juillet 2016, suivie de vastes purges qui
ont visé, au-delà des putschistes présumés, les milieux prokurdes et les
médias.
Le président Erdogan «me considère comme une menace. Ses discours
contiennent parfois des menaces mais nous ne céderons pas», affirme à
l'AFP Kemal Kiliçdaroglu, chef du Parti républicain du peuple (CHP),
dans un entretien accordé en marge d'un «congrès pour la justice» à
Canakkale (nord-ouest).
«Qu'il nous menace tant qu'il veut, nous avons raison. Nous défendrons
la démocratie, l'indépendance de la justice et la liberté de la presse
jusqu'au bout, parce que nous sommes dans notre droit», assure-t-il.
Kemal Kiliçdaroglu s'est lancé en juin dans une marche de près de 450
kilomètres entre Ankara et Istanbul après ce qu'il considère comme «la
goutte qui a fait déborder le vase» : l'incarcération d'un député de sa
formation, condamné à 25 ans de prison pour avoir dévoilé des
informations confidentielles à la presse.
Profitant du succès inattendu de cette «marche pour la justice» qui a
culminé lorsque des centaines de milliers de personnes se sont réunies
pour en marquer la fin début juillet, M. Kiliçdaroglu a lancé samedi un
«congrès pour la justice» pour maintenir la mobilisation.
«Erdogan me fuit et a peur de moi», assure-t-il, accusant le président
de souffrir de la «maladie de Kiliçdaroglu», une allusion aux diatribes
quasi quotidiennes du président à son encontre.
Recep Tayyip Erdogan a remporté avec un faible écart en avril un
référendum sur l'extension de ses pouvoirs, et la Turquie semble d'ores
et déjà engagée dans la campagne pour les élections législatives et
présidentielle de novembre 2019.
Lorsqu'on lui demande si son parti peut mettre en danger la carrière du
président Erdogan, le chef du CHP rétorque qu'«Erdogan n'a pas de
carrière».
«Les dictateurs peuvent-ils avoir une carrière ? Les putschistes
peuvent-ils avoir une carrière ?», ajoute-t-il.
M. Kiliçdaroglu qualifie régulièrement de «coup d'Etat civil»
l'instauration de l'état d'urgence quelques jours après le putsch manqué
de juillet 2016 et les purges qui ont suivi. Plus de 50 000 personnes
ont été arrêtées en vertu de l'état d'urgence et plus de 140 000 ont été
limogées ou suspendues, dont des universitaires, des magistrats et des
policiers. Les autorités affirment que ces mesures d'exception sont
nécessaires pour éliminer tout risque de sédition. «La Turquie est
actuellement dans un processus de putsch. Le Parlement a été mis hors
circuit», estime pour sa part le chef de l'opposition.
«Nous sommes sous un régime dictatorial. Ce régime souhaite limiter
l'expression de nos opinions», ajoute-t-il.
M. Kiliçdaroglu est optimiste sur la possibilité d'un front uni de
l'opposition au chef de l'Etat: «Nous sommes en train de nous réunir
envers et contre tout (...) Nous nous exprimons tous ensemble en faveur
de la démocratie et des droits de l'homme. Cela effraie évidemment (Erdogan).»
Le président turc a sous-entendu à plusieurs reprises que le chef du CHP
pourrait se retrouver sous le coup d'une enquête, bien que des
responsables du gouvernement aient vivement insisté sur le fait que rien
de tel n'était prévu.
Mais M. Kiliçdaroglu affirme qu'il n'aura “jamais” peur d'être
interpellé».
«Nous sommes le parti le plus efficace en terme d'opposition à Erdogan
en Turquie. Voilà pourquoi il ne peut pas tolérer notre présence»,
estime-t-il.
Le chef du CHP n'a pas souhaité dire s'il prévoit de se présenter face à
M. Erdogan, mais a assuré que le candidat de son parti s'opposerait «au
régime d'un seul homme et prônerait un système parlementaire
démocratique».
«Nous sommes déterminés. Y a-t-il des obstacles sur notre route ? Il y
en a plus que vous ne l'imaginez, mais c'est notre devoir de les
franchir.»
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