Reportage : Miliana, une ville au cœur de l’histoire
Reportage réalisé par Karim O.
Située à quelque 120 km au sud-ouest d’Alger, à 35 km du chef-lieu de la
wilaya de Aïn-Defla, Miliana est bâtie à 740 m d’altitude, sur une
plate-forme rocheuse, au pied du mont Zaccar, sur son versant sud, à
égale distance de Aïn-Torki (ex-Marguerite) à l’est et Ben Allal à
l’ouest.
La ville est accessible à partir de Khemis- Miliana, à 9 km en
contrebas, par la RN4 B ou bien à partir de Aïn Torki en venant d’Alger
ou encore par Ben Allal en venant de Aïn Defla. Les trois routes qui y
conduisent sont sinueuses et traversent des zones de verdure et de
forêts. L’accès à la ville se fait par Bab El-Gharbi (porte ouest), une
porte en forme d’arche reconstruit, à l’est par Bab E’chergui, la porte
ayant disparu depuis des décades, détruite à la suite d’un grave
accident en 1955, ou encore par le sud par une entrée qui contourne,
vers l’est, les remparts qui protégeaient la ville contre les invasions
dont elle a été la cible et qui se sont succédé à travers les siècles.
Du haut des remparts où se situe la place Ali-Amar, une sorte de
promontoire, longtemps appelé «La pointe des blagueurs», un haut lieu de
villégiature où venaient et viennent encore se retrouver les jeunes et
moins jeunes pour couler des jours paisibles, à l’ombre des platanes
séculaires, la place offre une vue splendide sur la vallée en contrebas,
avec ses jardins en étages, jadis florissants, mais qui subissent depuis
quelque temps, au quotidien, l’envahissement du béton, des jardins
disparus avec leurs maîtres jardiniers, où s’érigent maintenant
d’imposantes et riches bâtisses qui rivalisent en taille et en
architecture.
Miliana est aussi une ville née de sa position stratégique qui en a fait
une cité conquise et reconquise tout au long de son histoire. Selon
divers documents que nous avons consultés, ce sont les Turcs qui se sont
servis des matériaux des constructions romaines qui ont réalisé les deux
enceintes de la ville : une solidement fortifiée pour protéger le côté
sud-est de la cité, l’autre qui mettait à l’abri la ville turque, à
l’est et au nord. On rapporte qu’en 1849, c’est le génie militaire de la
puissance coloniale française qui a fait déplacer les remparts qui
s’élèvent de 7 à 8 m par endroits, sur une longueur totale de près de 3
km vers l’ouest, pour donner naissance à la cité moderne. Ces remparts
ont été construits avec d’énormes pierres de taille et sont pourvus de
meurtrières, et dans certains angles, 17 bastions.
L’histoire de Miliana, ses origines se confondent avec les grandes
périodes de l’histoire de l’Algérie, du bassin méditerranéen et de la
région.
Tout d’abord, la ville a eu plusieurs appellations. Selon les ouvrages
consultés, les anciens historiens comme Pline l'Ancien et Ptolémée ont
eu des divergences quant à l'origine du toponyme de cette localité.
Plusieurs appellations ont été citées telles que Zucchabar ou Sugabar et
Manliana ou encore Malliana.
Le toponyme Zucchabar ou Sugabar a été mentionné dans les monuments
épigraphiques indiquant l'emplacement princeps de la cité. Ce nom serait
d'importation phénicienne ou libyco-berbère, signifiant «marché du blé».
Le nom de Manliana ou Malliana est cité dans l'Antiquité pour une
agglomération située à l'emplacement actuel de la ville ou dans ses
environs et saint Augustin évoque un évêque de cette cité. Ce nom
d'origine latine est attribué à une fille de famille patricienne romaine
(Manlia), propriétaire de grands domaines dans cette région agricole de
la vallée du Chélif. Mais selon d'autres auteurs, ce nom est berbère.
Pline a, quant à lui, qualifié cette cité de Colonia Augusta.
À l’arrivée des Arabes, Manliana prit le toponyme de Mel-Ana, qui
signifie «emplie de richesses», puis Milyana.
Selon les divers travaux des historiens et des archéologues, l’origine
de la ville remonte à la Préhistoire. En effet, les recherches
effectuées en 1961 dans la zone nord de la ville ont révélé des traces
d’une industrie qui remonte à l’Atérien et au Capsien (Paléolithique
moyen d’Afrique du Nord).
Par la suite, les Phéniciens, déjà installés à Césarée (Cherchell),
firent de Miliana et de sa région un centre économique important et
stratégique au centre du dispositif de sécurité des royaumes berbères.
Durant l’occupation romaine, Miliana fut l’une des grandes cités de la
province de Maurétanie Césarienne.
Les historiens rapportent que grâce à son site fortifié, en l’an 375, le
général romain Théodore, évacuant Césarée (Cherchell), vint occuper
Sugabar pour réprimer l’insurrection qu’a menée Firmus, un chef berbère.
L’arrivée des Vandales au Ve siècle, par la suite, effaça la ville et
avec elle tous ses vestiges historiques.
Il faudra attendre l’arrivée des Fatimides, durant les années 372-380 de
l’Hégire (972-980 de l’ère chrétienne) pour que renaisse Miliana sous le
règne du maître incontesté d’Ifrikia, Bolokein, et devint, un certain
temps, la capitale du Maghreb.
Au Xe siècle, le géographe arabe Ibn Hawqai cite Miliana dans ses écrits
et la situe non loin d’El Khadhra (actuelle Aïn Defla), la décrivant
comme cité antique avec ses canaux d’irrigation sur lesquels étaient
installés des moulins à blé tel celui existant encore (restauré) à
l’arrière de la manufacture d’armes de l’Emir Abdelkader dans le
quartier des Annassers, en bordure de la RN4 B qui relie Miliana à El-Khemis.
Ibn Hawqai n’a pas été le seul voyageur à citer Miliana. Il y a eu aussi
Ibn Maachara El Abdari ainsi que le célèbre Ibn Batouta et Ibn Khaldoun,
l’illustre sociologue qui, en 774-1372, décrit la ville de Miliana comme
«une cité faisant partie du domaine des Maghrawa Beni Warsifen et que
Bologhin a tracé le plan des villes d’Alger, de Miliana et de Médéa».
Miliana, selon les écrits des historiens, a depuis des siècles été une
ville et une position stratégique conquise et reconquise au gré des
conquêtes qui se sont succédé. Déjà Youcef Ibn Tachfin, chef des
Almoavides, occupa Alger, Médéa et Miliana en 473 de l’Hégire (1081 de
l’ère chrétienne) et 75 ans plus tard, en 1159, elle fit partie de
l’empire almohade et subit le siège des Beni Ghania en 1184.
Un siècle après, en 1261, Miliana est assiégée par les Hafcides de Tunis
venus prêter main-forte à leurs alliés le Beni Tujin qui étaient en
possession de la ville. Un demi-siècle plus tard (1308), les Zianides
conquirent la majorité des villes du centre du Maghreb, y compris
Miliana. A son tour, le sultan de Ténès, Abou Abdallah Mohamed El
Moutawakil, en 1461, prit Miliana et Médéa et souleva une armée pour
conquérir Beni Rached, Mostaganem et Tlemcen. A l’avènement de l’armée
turque, au milieu du XVIe siècle, en 1517, appelée pour contrecarrer les
convoitises des Espagnols encouragés par quelques victoires remportées à
l’Ouest, la puissance turque imposa dans les principales villes une
organisation administrative et militaire de la région nord à l’image de
celle en vigueur dans l’Empire ottoman, une organisation très
hiérarchisée sous l’autorité du berleybek (gouverneur général) Khayr
Eddine Bacha, dit Barberousse, régent d’Alger et grand amiral.
A cette époque, Miliana prit un rôle prépondérant et devint un centre de
rayonnement religieux et culturel sur l’ensemble de la région,
indique-t-on. Ses artisans participèrent à la reconstruction de la ville
d’Oran sous l’autorité du bey Mohammed El Kebir, au début de 1590, une
fois la ville reprise aux Espagnols qui l’occupaient.
Cependant, la présence turque fut perçue comme une occupation et on
évoque à ce sujet l’insurrection des Righas de Boutrik Echeih de la
tribu des Soumatas, insurrection où le caïd Hassan trouva la mort, non
loin de Hammam Righa, insurrection qui fut vite réprimée et étouffée par
le pacha d’Alger, Hadj Bachir.
Sidi Ahmed Benyoucef
Il serait vain de parler de Miliana sans évoquer la vie de son saint
tutélaire, Sidi Ahmed Benyoucef dont la mémoire est perpétuée chaque
année par le «rakb», procession de pèlerins qui affluent de toutes les
régions dans une ambiance de fête quasi religieuse, procession qui
épouse le parcours du saint homme depuis son arrivée dans la région
jusqu'à sa mort en l’an 1524, dans la localité de B’da (commune d’El-Amra,
wilaya de Aïn-Defla) d’où, dit-on, il a été transféré à Miliana sur le
dos de sa mule puis enterré à l’entrée ouest de la ville, avant que sa
sépulture ne soit transférée dans la cité, dans le mausolée situé au
cœur de la ville, un mausolée qui ne désemplit jamais de visiteurs qui
viennent se recueillir sur son tombeau situé au cœur du complexe
religieux comprenant la zaouïa et la mosquée, complexe en cours de
restauration depuis 2010. Qui est Sidi Ahmed Benyoucef ? Selon diverses
sources écrites concordantes, il serait né en 1434 à la Kalaâ des Béni
Rached, dans la région de Mascara, d’où son nom Ahmed Benyoucef Er
Rachidi. Il est décrit comme un homme d’une grande piété, un mystique
adepte de la confrérie Echadhilya, tout comme on dit qu’il a été le
condisciple de Sidi Boumediene de Tlemcen et de Sidi El houari d’Oran,
féru d’agronomie et d’agriculture, et comme voyageur il a sillonné
l’Algérie d’est en ouest et du nord au sud.
Jusqu'à nos jours on lui prête des maximes dont la véracité reste à
confirmer, des maximes satiriques sur les habitants des localités où il
est passé, sur leur façon de vivre, de recevoir sur le sens de
l’hospitalité entre autres.
Son mausolée fut longtemps régi par des groupes qui se sont affirmés
comme faisant partie de sa descendance, lequel mausolée a été intégré
depuis une quinzaine d’années au patrimoine historique et religieux du
pays. Une décision qui a mis fin aux belligérances des groupes qui se
disputaient sa paternité et revendiquaient leur faire-valoir sur la
gestion du complexe.
L’époque coloniale
Après la prise d'Alger en 1830, les Français se heurtent à la résistance
de la population qui fait allégeance à l'Emir Abdelkader qui installe à
Miliana un califat en 1835.
Le traité de paix de Desmichels garantit à l'Emir Abdelkader de prendre
possession de Miliana à partir de 1835 où il fut accueilli
chaleureusement par la population et les notables de la ville.
En raison de la position géostratégique de la région, Miliana devint un
califat gouverné par le calife Mahieddine Seghir (1835-1837) puis par le
calife Ben Allel Ould Sidi Embarek (1837-1840) qui disposait de 10 440
combattants et dont le masque est exposé à Paris, après qu’il ait été
décapité par la soldatesque coloniale et sa tête remise à sa mère qui
demeurait à Koléa.
L'Emir édifia à Miliana plusieurs ouvrages dont le siège de son califat
et une manufacture d'armes, des porte-canons et obus, en 1839, dans le
quartier des Annassers, restaurée entièrement depuis quelques années et
ouverte aux visiteurs en 1997 et inaugurée officiellement par le
président de la République en 2003.
La ville est occupée en 1840 par les troupes du maréchal Valée, mais la
garnison est assiégée à plusieurs reprises par Ben Allel et les tribus
locales. Des renforts furent alors dépêchés d'Alger par le maréchal
Bugeaud pour approvisionner les assiégés. Ben Allel meurt en 1843 et les
troupes françaises incendient la cité en 1844 pour déloger les partisans
de l'Emir.
L'empereur Napoléon III vient en visite à Miliana le 8 juin 1856. En
1901, le 26 avril, les tribus des Righas de Aïn Torki, menées par cheikh
Yakoub, se révoltent contre les colons qui les ont dépossédés de leurs
terres et de leurs biens et asservis.
Miliana actuelle
Miliana se retrouve aujourd’hui victime de sa position géographique,
plantée dans un paysage de montagne abrupte.
En effet, la non-disponibilité du foncier a constitué pour Miliana un
frein à son extension et à son développement, le terrain à bâtir
devenant de plus en plus rare, et de plus en plus cher, on se rabat sur
la multitude de jardins que remplace le béton, tant au sud, dans la
vallée en direction de Khemis-Miliana, que vers l’est en direction de
Aïn Torki ou à l’ouest vers Ben Allel.
Sur le plan économique, les mines de fer du Zaccar ont, pendant
longtemps, employé de la main-d’œuvre locale, des mines dont
l’exploitation n’était plus rentable ont été fermées au milieu des
années 1970 et comme souvenir, le visiteur pourra voir la petite
locomotive, une relique, exposée à l’entrée sud de la ville. Dans le
cadre du programme d’internalisation, Miliana (1965-1980) s’est vue
dotée d’une exploitation de marbre à partir d’un gisement local et d’une
unité de production d’appareils électroménagers, la SN Métal. Ces
unités, dans le cadre des fameux programmes de structuration et de
restructuration qui se sont succédé, ont été fermées ou partiellement
délocalisées, accentuant le chômage, obligeant les jeunes surtout à
émigrer vers d’autres horizons ou même à s’expatrier.
L’histoire moderne de Miliana est aussi liée à la fameuse «Fête des
cerises» qui se tenait chaque année au mois de juin et qui attirait de
très nombreux visiteurs de tous les coins du pays, et ce, à l’époque où
à Aïn N’sour, sur le versant est du Zaccar, poussaient des milliers de
cerisiers et qui donnaient abondamment des cerises de très bonne
qualité, notamment la bigarreau.
Affublée par l’étiquette de fête païenne, la décennie noire aidant,
l’arboriculture abandonnée, de la Fête des cerises il ne reste que des
souvenirs sur des albums photos que détiennent encore quelques notables
de la ville.
Miliana compte aussi dans son histoire des héros de la guerre de
Libération, natifs de la ville, comme Ali Amar, dit Ali la Pointe, et
Mohamed Bouras, un des pères du scoutisme en Algérie pour ne citer que
ceux-là parmi des centaines d’autres, tombés au champ d’honneur.
Miliana c’est aussi les arts. La troupe théâtrale Mahfoudh-Touahri a
fait connaître Miliana de par ses productions et ses représentations à
travers le pays mais aussi à l’étranger, notamment en Amérique. De
Miliana tout le monde garde la souvenir de la place des Charbonniers où
a été tournée une partie du film Beni Hendel (Les Déracinés), réalisé en
1976 avec une pléiade d’artistes tels que feu Hassan El Hassani, Kaltoum
et Omar Zebdi.
Miliana se fait appeler aujourd’hui «ville d’art et d’histoire» ; son
histoire est aussi un pan de l’histoire de la région et du pays, de
l’Algérie.
K. O.
|