Monde : Selon des experts et des officiels
L'EI, bientôt défait sur le terrain, ne disparaîtra pas
La prochaine défaite militaire du groupe État
islamique (EI) en Irak et en Syrie est annoncée par tous les officiels
et experts, qui sont toutefois unanimes à prévenir que le groupe ne
disparaîtra pas et s'adaptera pour continuer son combat.
Avec dans ces deux pays une communauté sunnite inquiète, marginalisée,
et dans le reste du monde des milliers de partisans ou de sympathisants
prêts à passer à l'action en son nom, le groupe va passer dans la
clandestinité avant de renaître, à terme, peut-être sous une autre forme
et un autre nom mais avec les mêmes objectifs, préviennent-ils.
«La victoire militaire très laborieuse en Irak ne s'accompagne pas d'une
vision politique de l'après-Daesh (acronyme en arabe de l'EI) en termes
de réintégration de la population arabe et sunnite dans le jeu politique
en Irak», dit à l'AFP le chercheur Jean-Pierre Filiu, professeur à
Sciences Po Paris.
«Les perspectives sont encore pires en Syrie», ajoute-t-il, «où les
milices kurdes et l'armée d'Assad sont programmées pour s'emparer
respectivement de Raqqa et de Deir Ez Zor. Cette absence de stratégie à
long terme laisse à Daesh un important espace pour se reconstituer dans
un avenir proche, tout en continuant d'animer dans le monde des réseaux
de sympathisants et de militants galvanisés par l'extrême violence de ce
combat».
Intervenant en mai devant une commission du Sénat américain, le
coordonnateur national du renseignement américain Dan Coats avait
prévenu «qu'en dehors de l'Irak et de la Syrie, ISIS (acronyme en
anglais de l'EI) travaille à l'interconnexion entre ses branches et ses
réseaux dans le monde et à la complémentarité de leurs actions avec sa
stratégie».
«Nous estimons qu'ISIS garde la volonté et la capacité de diriger,
permettre, assister et inspirer des attaques transnationales», a-t-il
prévenu.
L'insurrection
va se poursuivre
Dans une tribune intitulée «ISIS après le califat», publiée le 2
septembre, Tara Mooney et Andrew Byers, analystes et co-fondateurs du
Counter Extremism Network, prédisent que l'EI perdra le contrôle
territorial des régions conquises (à son apogée, sept millions
d'habitants, sur un territoire aussi vaste que l'Italie) «au cours de
l'année à venir».
«Les responsables internationaux doivent se préparer pour deux menaces
futures», estiment-ils. «L'évolution d'ISIS post-califat et les groupes
qui vont lui succéder et faire peser peut-être des menaces encore plus
graves sur les sécurités régionale et internationale».
L'EI va sans difficulté conserver une structure clandestine et un
appareil de propagande en ligne de haut niveau, capable d'inspirer des
jihadistes de par le monde, ajoutent-ils. «La perte de territoires en
Syrie et en Irak pourrait même pousser davantage de loups solitaires à
passer à l'action en Europe et aux États-Unis, pour démontrer leur
résolution et leur capacité à frapper».
Tous les experts soulignent également la menace posée par les centaines,
bientôt milliers, de «revenants», jihadistes occidentaux aguerris de
retour dans leurs pays d'origine. Ils échappent rarement à un passage
par la case «prison» mais certains pourraient demeurer dangereux pendant
des années, bien après leur libération.
Dans l'immédiat, en Syrie et en Irak, «le projet de gouvernance de l'EI
est compromis, mais l'EI n'est pas défait» a confié à l'AFP Ludovico
Carlino, spécialiste des mouvements jihadistes au centre de recherches
IHS Country Risk. Les survivants du groupe vont se replier dans la
vallée de l'Euphrate, qui court sur les deux pays et va devenir «la
plate-forme de lancement de l'insurrection, pour l'EI revenu à la
clandestinité». Cette zone désertique longue de 160 kilomètres, riche en
pétrole, abrite déjà entre cinq et dix mille combattants et commandants
jihadistes, estiment les commandants de la coalition internationale
anti-EI menée par les États-Unis.
«En définitive», conclut Thomas McCabe, ancien analyste spécialisé dans
le contre-terrorisme pour l'US Air Force, «bien que la destruction du
califat soit une victoire significative, elle n'est pas décisive.
L'insurrection jihadiste mondiale va se poursuivre».
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