Culture : Poésie
Aux origines de S’hab el baroud
Si la chanson populaire S'hab el baroud a fait le
succès de nombreux raïmen, d'aucuns parmi les passionnés de ce genre
musical ignorent qu'elle fut, à l'origine, une qacida patriotique,
écrite et déclamée par un jeune poète d'Oran, Hanani Lahouari
(1902-1948).
En 1931, l'administration coloniale vit encore au rythme des festivités
marquant le centenaire de l'occupation du pays, mais ses réjouissances
seront vite tournées en dérision par le jeune barde algérien Hanani, de
son vrai nom Belouahnani. S'hab el baroud (les gens ou les compagnons de
la poudre) fut ainsi déclamée en réponse à la célébration du centenaire
de la colonisation française en Algérie et de l'exposition coloniale qui
s'ensuivit en 1931.
Le barde Hanani demeure pourtant méconnu, alors que son texte a fait le
succès de vedettes du raï contemporain qui ont, toutefois, interprété
une version modifiée de la qacida, devenue une chanson d'amour
incontournable dans les fêtes de mariage. La méconnaissance du public de
la dimension patriotique des paroles originales de Hanani a néanmoins
mobilisé des spécialistes de la chanson oranaise pour animer des
conférences et publier des écrits autour de ce sujet.
Ainsi en est-il de l'Association de la culture traditionnelle oranaise (Acto)
qui a, à son actif, l'organisation de plusieurs rencontres. Son
président, le parolier Mekki Nouna, a souligné que «Hanani a su, par sa
plume, fustiger les forces coloniales», décrivant le texte de S'hab
El-Baroud comme un véritable appel à la révolution. Il a rappelé que
l'intérêt de l'homme pour la poésie populaire (chi'r el melhoun) est
venu de son admiration pour des grandes figures du genre, tels Boualem
Bentayeb, Belmsaïb, Mostefa Benbrahim, Ould Belabbès et Si Mohamed
Belarbi.
D'après le président de l'Acto, Hanani fut orphelin à l'âge de six ans
et élevé par sa tante maternelle dans son quartier natal, El-Hamri. Il
effectua sa scolarité dans une école d'un autre quartier populaire
voisin, Medina Djedida. Le cinéaste documentariste Amine Belaoud a, lui
aussi, rendu hommage au poète révolutionnaire en réalisant un
court-métrage mettant en valeur les paroles originales de S'hab el
baroud, interprétées par Hamza Abbar.
Cette chanson est «une interpellation de la conscience populaire,
invitant le peuple à la révolte contre la colonisation», commente
l'auteur dans la présentation de sa vidéo accessible en ligne. Les
paroles de Hanani étaient dirigées en particulier «contre les festivités
insultantes du centenaire de l’occupation (...) et celles qui ont marqué
l’exposition coloniale de 1931», rappelle Amine Belaoud.
Hanani est également évoqué par l'universitaire Hadj Miliani dans un de
ses ouvrages intitulé «Sociétaires de l’émotion. Etudes sur les chants
et musiques d’Algérie d’hier et d’aujourd’hui» (éd. Dar El-Gharb, 2005).
«Ce que l’on a coutume de désigner comme musique oranaise moderne naît
dans le contexte de la domination coloniale (...)», écrit ce professeur
de littérature et membre de l'équipe du Centre national de recherche en
anthropologie sociale et culturelle (Crasc). «Cependant, dans la société
colonisée, la chanson rencontre aussi la politique», observe-t-il,
relevant que dans S'hab el baroud, Hanani chante «les vertus et le
courage», «la fierté et la bravoure (...) lors des combats contre
l’armée coloniale».
Le poète révolutionnaire mourut à l'âge de 46 ans des suites d'une
maladie qu'il contracta, dit-on, dans les geôles coloniales. Ses
qacidate, dont l'emblématique S'hab el baroud, méritent assurément
davantage de visibilité pour être appréciées à leur juste valeur
patriotique.
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