Supplement TIC : Mehdi Omarouayache, expert en TIC :
Les acteurs de la monétique et du e-commerce «évoluent dans un
environnement hostile»
Propos recueillis par Amar Ingrachen
Pour Ahmed Mehdi Omarouayache, fondateur et General Manager de «Connext»,
l’informel et l’absence d’un cadre réglementaire, destiné à protéger
aussi bien les e-acheteurs que les e-marchands, bloquent le
développement du e-commerce. Néanmoins, selon lui, «l’engouement de
l’Algérien pour le commerce électronique et sa capacité à s’approprier
de nouveaux usages», associés à «l’esprit d’initiative» de certains
acteurs, peuvent débloquer la situation. Explications dans cet
entretien.
Depuis son lancement en octobre 2016, environ 100 000 transactions
faites par voie électronique, soit une moyenne de 10 000 transactions
par mois, ont été enregistrées.
Quels sont les obstacles à son développement ? Est-ce la
non-promulgation de la loi sur le e-commerce ?
D’abord, il faut bien apprécier ce chiffre. Si on considère un pays
comme l’Algérie, avec sa démographie, sa jeunesse et son potentiel, ce
chiffre peut paraître en deçà des attentes. Par contre, pris sous un
autre angle et considérant les contraintes du terrain, ce chiffre
devrait être apprécié différemment. Il faut reconnaître que ceux qui
s’occupent de la monétique en Algérie (GIE monétique, Banques, Satim,
Algérie Poste, et e-marchands) fournissent des efforts considérables
pour faire avancer les choses. Les TPE (Terminaux de paiement
électronique) sont quasiment gratuits pour les commerçants, les frais de
transactions sont symboliques (autour de 2 dinars), des budgets ont été
alloués à la communication et à la sensibilisation des consommateurs et
l’aspect sécurité est jusqu'à présent maîtrisé. Aucun problème notable
n’a été signalé. Par contre, ces acteurs évoluent dans un environnement
qu’on pourrait qualifier d’hostile : l’informel, l’absence d’ancrage
juridique, le manque de confiance, le manque de connaissances des
consommateurs et parfois même des considérations d’ordre religieux
constituent des entraves à l’appropriation de cet usage. Pour que la
population s’approprie l’usage de ce mode de paiement, elle doit
percevoir une réelle valeur ajoutée, un réel confort.
Aujourd’hui, l’Algérien lambda retire son salaire dès réception afin
d’avoir son argent en liquide utilisable instantanément. Pour le pousser
à laisser cet argent dans son compte bancaire ou CCP, et le dépenser en
mode électronique, il doit avoir le même sentiment de disponibilité et
d’utilisabilité que s’agissant du cash, avec en plus la facilité et le
confort. Il doit pour cela, pouvoir utiliser sa carte pour les
transactions les plus fréquentes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Le choix a été pris de commencer par les grands facturiers, c’est une
décision sage, surtout au lancement, afin de maîtriser les processus et
gagner la confiance des porteurs de carte. Toutefois, il faut rapidement
passer à la deuxième étape qui est la généralisation de ce mode de
paiement. Aujourd’hui, les e-marchands, ce sont surtout les compagnies
aériennes, les assurances, Sonelgaz, Seaal, etc. Le citoyen lambda paye
son électricité et sa facture d’eau une fois tous les deux mois, son
assurance, une fois par an et prend l’avion assez rarement, alors que
ses dépenses les plus récurrentes sont l’alimentation chez l’épicier du
coin, l’habillement, les transports en commun et, dans une moindre
mesure, les divertissements. Donc il n’y a pas de réelle valeur ajoutée
pour une large frange de la population. La démocratisation de
l’acceptation du paiement électronique est le plus gros challenge, car
il faut prendre en compte l’informel qui contrôle largement le commerce
de détail, ce qui fait que peu de commerçants acceptent d’être payés par
voie bancaire comme cela a été le cas pour l’usage du chèque. Il y a
aussi, comme vous l’avez cité, l’absence du cadre réglementaire avec la
non promulgation de la loi sur le e-commerce, ce qui fait que ni le
e-marchand ni le e-acheteur ne sont protégés.
Ces chiffres sont-ils prometteurs quant à l’avenir de l’e-paiement en
Algérie ?
Comme je l’ai expliqué, en considérant l’environnement économique
global, on peut dire, à travers les chiffres avancés, que les acteurs de
la monétique ont fait du bon boulot, mais ça reste très insuffisant pour
un pays comme le nôtre. Il faut s’attaquer à la racine du problème. Les
derniers chiffres annoncés par l’entreprise Jumia (grand acteur africain
du e-commerce) pour son activité en Algérie sont éloquents. La
progression de ce groupe est impressionnante, même en l’absence de
solution de e-paiement, ce qui démontre deux choses. La première, c’est
l’engouement de l’Algérien pour le commerce électronique et sa capacité
à s’approprier de nouveaux usages. La deuxième, c’est qu’il ne faut pas
faire de blocage sur une problématique en particulier, mais plutôt faire
preuve d’imagination et d’esprit d’initiative comme l’a fait cette
entreprise dans plusieurs pays africains.
Qu’est-ce qu’il convient de faire, dans la conjoncture actuelle, pour
généraliser ce procédé de paiement ?
D’abord, il faut considérer que c’est le challenge de tout un écosystème
et avoir l’intelligence d’élargir la base de travail et d’impliquer plus
d’acteurs. Je pense qu’il faut aussi faire un travail de sensibilisation
auprès des potentiels e-marchands et de faire confiance à une nouvelle
génération de start-up innovantes et motivées qui pourraient entraîner
dans son élan les acteurs traditionnels du commerce et des services.
Avec le déploiement de la 3G et de la 4G, ainsi que la généralisation de
l’usage des smartphones, l’Algérie est-elle prête à se lancer dans le
paiement mobile (m-paiement) ?
Techniquement, l’Algérie est prête depuis déjà longtemps. Par contre,
c’est plus le modèle de déploiement et le rôle de chacun des acteurs qui
restent à bien définir. Beaucoup parlent du modèle africain, plus
particulièrement kenyan, mais est-ce le meilleur modèle pour l’Algérie ?
Le développement du m-paiement dans les pays d’Afrique s’est fait dans
un contexte particulier avec un très faible taux de bancarisation, ce
qui n’est pas le cas de l’Algérie. Faut-il pour autant fermer cette
activité aux établissements non bancaires ? Sachant que de par le monde,
des start-up innovantes et disruptives réalisent l’essentiel des
avancées de ce qu’on appelle aujourd’hui la «FinTech». Je pense que les
banques algériennes devraient s’ouvrir et créer un écosystème de
start-up autour d’elles afin de profiter de leurs créativité,
compétences et souplesse.
A. I.
|