Chronique du jour : LES CHOSES DE LA VIE
Recherche désespérément l’Algérie algérienne


Par Maâmar Farah
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Nous avons abandonné l'islam de nos ancêtres pour épouser une nouvelle religion qui veut régenter la société selon des dogmes et des tabous hérités non pas des valeurs intrinsèques de ce culte mais des pratiques bédouines de quelques tribus qui se trouvaient sur le territoire des premiers balbutiements de l'islam. Et aussi d’une déviation au dix-neuvième siècle qui privilégie le puritanisme et le rigorisme pour des raisons politiques. Ce sont des pratiques, des us et coutumes, qui appartiennent à ces tribus, qui sont la marque de leur identité, pas de la nôtre. C’est une vision qui sert les monarchies moyenâgeuses qui gouvernent des pays lointains et qui ne peut, en aucun cas, guider une république démocratique et populaire. Tout notre drame est d'avoir importé ces pratiques qui installent la tristesse et la morosité et sous-tendent la misogynie, l'arriération culturelle, la xénophobie et le refus de la modernité. Pourtant, c’est leur contraire qui fait la grandeur de notre appartenance aux ères amazighe, méditerranéenne et africaine, c’est-à-dire la tolérance, le goût du beau, l’amour des arts et de la culture, le raffinement dans les loisirs, tout ce que rejettent nos intégristes. Toute cette sève humaniste qui irrigue notre terre s'est curieusement desséchée dès que les vents contraires, venant d’Arabie Saoudite, ont imposé le wahhabisme à nos peuples.
Oui, nous avons failli ! Certes, la violence terroriste et des dizaines de milliers de morts ont réduit notre capacité défensive mais nous avons failli en acceptant que nos morts soient conduits précipitamment aux cimetières, sans passer la nuit dans leur maison, sans les psalmodies des Talebs. Ce qui était un rite pratiqué par nos ancêtres depuis l’avènement de l'islam en terre maghrébine ! La Yadjouz ! Bidaâ ! Des termes nouveaux surgirent dans notre vocabulaire ! L'interdit élargissait chaque jour son champ d'action ! Nous avons abandonné nos habits pour le kamis importé du Pakistan, le djilbab, le hidjab, la burqa, le niqab, termes que nous ne connaissions même pas et qui désignent une manière de s'habiller qui n'a jamais pu rentrer en Algérie à l'époque où l'islam maghrébin leur fermait les portes de nos territoires, en protégeant la mode vestimentaire locale. Nos femmes ont honte de leurs prénoms et se font appeler «Oum Ali», «Oum Mohsen», etc. Mère de… Négation de son identité, de son existence en tant qu’être libre… Le planning familial du socialisme qui a donné de si beaux résultats, vole en éclats. Retour aux naissances non contrôlées et retour des enfants en bas âge dans les rues, jouant au milieu des détritus omniprésents !
Nous avons cédé le jour où nous avons cessé de fêter nos mariages et autres réjouissances familiales à la manière de chez nous. Rappelez-vous ces soirées musicales animées par les cheikhs de notre musique traditionnelle, sur des terrasses illuminées par les guirlandes et sentant bon les lilas, le jasmin et tant d'autres parfums qui nous ramènent à ces époques bénies ! Nos fêtes familiales étaient mixtes. Quoi de plus naturel car ce sont d'abord des fêtes... pour les familles ! Aujourd'hui, les sexes sont séparés au nom de la religion car on ne retient de cette religion que les interdits, les risques sexuels, comme si nous étions tous des obsédés incapables de nous maîtriser à la vue d'une femme ! Pourtant, il n'y a pas longtemps, nous dansions avec nos cousines et nos voisines dans le respect des liens de fraternité et de rites non écrits, non imposés par l'imam du coin, parce que, simplement, c’étaient la confiance, la correction, l'éducation et tant de valeurs qui ne veulent plus rien dire de nos jours.
C'est chaque jour que nous avons perdu ce qui a compté, tous ces jours où nous avons accepté de suivre la meute, oubliant que cette terre a son histoire, son identité, ses gloires passées et présentes. Pourquoi baisser la tête alors que les Amazighs ont donné des empereurs à Rome, des pharaons à l'Égypte, un père à l'Eglise chrétienne et des auteurs et scientifiques au rayonnement universel ! Le problème n'est pas l'islam. C'est notre soumission à des rites qui ne nous appartiennent pas, un corps étrange greffé au vrai islam qui n'étouffe pas les identités, au contraire. Nous en avons la preuve dans notre propre histoire. Nous en avons la preuve dans le monde entier : les musulmans américains ne s’habillent pas et ne vivent pas comme les Saoudiens, ceux du Kazakhstan vivent loin des rites du wahhabisme et continuent de vivre dans la joie et la fête, sans que cela affecte leur attachement à leur religion, ceux de Bosnie sont fiers de leurs habits, de leurs us et coutumes, ceux d'Inde ont une manière à eux, indienne, d'être musulmans. Je peux citer des exemples à l'infini.
Le mal est profond ! Mais il est un espoir qui vient de Kabylie ! Je le martèle ici depuis longtemps ! Malgré les efforts multiples de ceux qui veulent la dompter pour qu'elle devienne, elle aussi, wahhabite, cette région chère à nos cœurs, résiste toujours. D'abord en restant fidèle à la religion des ancêtres, celle qui a consacré «tajmaât», forum de sages ayant son siège à la mosquée locale, qui intervient, aux côtés des autorités élues, pour encadrer la communauté et servir de passerelle aux œuvres de bonne action et à tout ce qui va dans le sens de l’intérêt commun. Ensuite, en résistant collectivement par la manière de vivre algérienne, par la manière de s'habiller algérienne, en continuant à faire la fête comme de vrais Algériens, en enterrant les morts selon les rites algériens !
C’est une rude bataille parce que l’Algérie offre aujourd’hui le visage d’un Etat religieux où la liberté individuelle est malmenée et où ce sont des organismes publics qui pondent des instructions et des directives interdisant les habits non «orthodoxes», c’est la police et la gendarmerie qui font la chasse aux couples, ce sont les associations religieuses qui interviennent dans le débat public sans contradicteur ; il y a un climat d’intolérance généralisée doublé d’une misogynie jamais connue dans ce pays depuis l’antiquité ! Une interprétation réactionnaire et parfois fascisante de la religion, aidée par une école rétrograde et islamisée, fige la société dans une posture incompatible avec la modernité. Il en résulte des comportements dégénérés qui nous renvoient aux périodes sombres de l’humanité ! Chaque jour qui passe renforce le pouvoir des religieux analphabètes qui règnent sans partage sur la société. L’Etat, au lieu de jouer son rôle pour l’épanouissement culturel, a laissé faire. Il a fermé les cinémas. Il a réduit l’expression artistique à son plus faible niveau et à un espace qui se limite à la capitale et quelques villes. Il a autorisé la création de chaînes TV qui ont plus de cheikhs et d’imams que d’animateurs. Des cheikhs au discours obscurantiste choquant en ce début du troisième millénaire. Quand on jette un coup d’œil aux programmes TV de nos voisins, on comprend pourquoi nous n’avancerons jamais ! Cette descente aux enfers se fait sans résistance. Laminée par les pertes en femmes et hommes valeureux tués par le terrorisme islamiste, notre élite a été saignée à blanc par une émigration massive de nos cadres et intellectuels qui ont trouvé, ailleurs, un espace propice à l’épanouissement de leurs compétences.
Nous sommes à la fin d’un cycle et au début d’une mainmise totale des religieux rétrogrades sur la société – il en existe d’autres ouverts au progrès et fidèles à l’islam de nos ancêtres, mais ils sont marginalisés. Le combat de quelques intellectuels, épaulés par une minorité éclairée agissante, est certes courageux mais il fait face à une déferlante fondamentaliste qui avance sur des terres conquises et son issue me paraît incertaine. Cette Algérie qui a réussi à renvoyer les soldats à leurs casernes, est visiblement incapable d’obliger les imams à réintégrer leurs mosquées !
M. F.



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