Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
IRAK, PÉTROLE ET IDENTITÉ
Les saoudiennes autorisées à conduire
Par Hassane Zerrouky
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L’Arabie
saoudite a autorisé les femmes à conduire. Ça fait sourire peut-être
mais ce n’est pas rien quand on sait que dans ce pays, il n’y a pas si
longtemps, la radio et le téléphone, c’était «la yadjouze» comme disait
le FIS, que jusqu’aux années 1960, la télé, «la yadjouze»...
Reste que cette autorisation de conduire, résultat du combat d’une
minorité de femmes saoudiennes – ce qui montre qu’il suffit qu’une
partie de la société – même minoritaire – bouge pour que les choses
évoluent – survient deux mois après une autre mesure, décrétée en
juillet dernier : la pratique du sport en milieu scolaire pour les
jeunes filles dans les écoles publiques, et ce, alors qu’en Algérie, des
voix s’élèvent pour interdire le sport aux filles à l’école !
Selon les autorités saoudiennes, la pratique du sport pour les jeunes
filles en milieu scolaire s’inscrit dans le cadre de la Vision 2030, à
savoir le programme de réformes économiques et sociales piloté par le
prince héritier, Mohamed ben Salmane, dont l’objectif est que l’Arabie
saoudite ne soit plus, à terme, dépendante exclusivement de la manne
pétrolière, autrement dit, qu’elle ne soit plus un Etat rentier. Est-ce
à dire que le royaume saoudien est en train d’entrer dans la modernité,
en écorchant quelque peu la doctrine wahhabite ? A voir… mais soyons
attentifs aux évolutions.
Les Kurdes. Loin des interprétations complotistes, le référendum kurde
dans la région nord de l’Irak pose un vrai problème, celui du droit des
Kurdes à exister, celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et
ce n’est pas en déclarant, comme on l’entend sur certaines Tv arabes du
Moyen-Orient, que par ce référendum, les Kurdes sont en train de
poignarder dans le dos la «nation arabe» confrontée aux menaces
sionistes, qu’on répondra aux questions que pose ce scrutin
référendaire.
Bien évidemment, il ne faut pas être naïf. Même si les Etats-Unis se
disent opposés à la création d’un Etat kurde, il n’en reste pas moins
que ce sont eux, via leur projet de Grand Moyen-Orient (GMO) et une
guerre qui a fait plus d’un million de morts en Irak, qui poussent au
démembrement des Etats en entités ethnoreligieuses indépendantes les
unes des autres, plus souples et donc plus faciles à «manager» par le
grand manitou US et ses obligés régionaux.
La seconde question que pose ce référendum est celle de savoir si cette
région, qui n’a pas connu un moment de paix depuis les accords de
Sikes-Picot en 1920, a besoin d’une nouvelle guerre, alors qu’elle est
déjà embrasée comme elle ne l’a sans doute jamais été : une Syrie
plongée dans le chaos, un Irak en guerre depuis les années 70, un Israël
qui occupe impunément des territoires – Cisjordanie, Golan syrien – qui
de temps à autre bombarde les positions de l’armée syrienne et prépare
sa prochaine guerre contre le Liban, et n’attend que le feu vert de
Donald Trump pour en découdre avec l’Iran… Et au Maghreb, une Libye
plongée dans un chaos destructeur par ceux-là mêmes qui conseillent aux
kurdes la voie de l’indépendance.
En effet, dans ce processus de prolifération étatique auquel poussent
certains groupes d’intérêts occidentaux mais aussi arabes, c’est la
question des frontières actuelles qui est posée : or à propos de
frontières, on sait quand ça commence mais on ne sait pas quand ça
finira. D’autant que ni Ankara, dont les troupes sont déjà en Syrie et
en Irak, ni Téhéran qui soutient Baghdad, n’accepteront l’existence d’un
Etat kurde qui va se trouver enserré entre ces trois pays. D’autant que
Baghdad n’a pas encaissé le fait que les Kurdes aient profité de sa
guerre contre Daesh pour annexer Kirkouk, une ville revendiquée à la
fois par les chiites irakiens, les turkmènes – on les a un peu oubliés
alors qu’ils sont près de 500 000 dans cette région – et les kurdes.
En 2004, dans cette riche région pétrolière de Kirkouk, j’avais
rencontré un vieux Kurde, un sage. «Avant, me disait-il alors, tout le
monde vivait en harmonie ici. Moi-même je suis marié à une Arabe et j’ai
des petits-enfants mariés à des Turkmènes et des Arabes. Mais depuis
qu’on a découvert le pétrole, chacun s’est découvert une identité». A
jeudi.
H. Z.
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