Chronique du jour : A fonds perdus
Le mythe de «l’industrie 4.0»
Par Ammar Belhimer
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Erinç
Yeldan, professeur d’économie, doyen de l’Université turque de Bilkent,
membre de la direction de l’International Development Economics
Associates (IDEAs) dont le siège est à New Delhi, croit pouvoir révéler
ce qui se profile «au-delà des fantasmes de l’Industrie 4.0” dans une
contribution signée sur le site Social Europe(*). Il y explore les
nouvelles tendances du capitalisme mondial au cours de cette première
moitié du XXIe siècle. Trois d’entre elles lui paraissent significatives
: 1. La déflation, à savoir l'effondrement de tous les prix (y compris
les salaires et les taux d'intérêt) ; 2. Le blocage ou le gel de la
croissance de la productivité ; 3. L’élargissement ou l’accroissement
des inégalités de revenus et l’approfondissement de la fragmentation et
de l'exclusion sociale.
Si l'environnement déflationniste favorise la décélération des taux de
profit ainsi que les prix des produits de base et freine les
opportunités de production de capitaux, la fragmentation des couches de
revenus et l'exclusion sociale constituent «la principale source de
migration irrégulière et d'augmentation de la violence sociale à
l'échelle mondiale».
Pour les plus démunis, la détérioration est générale ; tout tire vers le
bas : les salaires, les droits sociaux et les conditions de travail.
Les politiques néolibérales de flexibilité et de privatisation poussent
le travail salarié vers l’informel et la vulnérabilité, avec pour
conséquences «une détérioration de la répartition des revenus et une
augmentation de la pauvreté».
Les jeunes sont les premiers à subir ce virage antisocial. Le chômage
atteint 71 millions de personnes parmi la frange des 15 à 24 ans. Ceux
parmi eux qui arrivent à trouver un emploi ne sont pas pour autant
sortis de la pauvreté, si l’on croit l'OIT qui chiffre à 156 millions le
nombre de jeunes travailleurs vivant dans des conditions de pauvreté
absolue. Les chercheurs de l'OIT ont défini la pauvreté absolue par
rapport au seuil de 3,10 $ par jour et révèlent que ce chiffre couvre
37,7% – soit plus du tiers – des jeunes qui travaillent.
La nouvelle politique économique dominante parle une nouvelle langue :
«La lutte contre l'inflation et la discipline budgétaire sont devenues
les nouveaux fétiches de la recherche mondialisée d'austérité, tandis
que les priorités du capital mondial ont été détournées vers les tables
de jeu du capitalisme de casinos. Des concepts tels que «crédibilité»,
«gouvernance», «transparence» sont entrés dans le jargon de l'économie,
car le terme «économies en développement» a été remplacé par «nouvelles
économies de marché émergentes» et des concepts comme «bourgeoisie
industrielle» ou «capital financier» ont été éclipsés pour être
remplacés par le concept neutre de ‘’joueurs’’».
La baisse tendancielle du taux de profit s’exprime par une rentabilité
décroissante du capital industriel et une tendance mondiale à la
désindustrialisation. Le capital financier a trouvé la parade à cette
menace : «Face à la tendance générale à la chute du taux de profit
industriel, les centres de capital mondial ont jugé plus pertinent de se
départir des secteurs industriels en secteurs spéculatifs pour compenser
la perte de rentabilité avec des retombées spéculatives de rentiers.»
Le rapport sur le commerce et le développement de 2014 de la Cnuced
rapporte ainsi que le taux de croissance des dépenses d'investissement
fixes a ralenti de manière significative dans le monde développé,
passant d'un taux annualisé de 3,4% dans les années 1970 à moins de 1,0%
en 2010-2014.
Ainsi, «la tendance générale à la baisse des investissements fixes dans
de nombreux pays est l'un des faits stylisés des deux premières
décennies du XXIe siècle».
Le courtermisme et la volatilité de la finance ont détruit l’économie
réelle, «l'expansion de produits lucratifs de financement spéculatif»
s’est faite au détriment des dépenses d'investissement en capital fixe,
entraînant une baisse des gains de productivité et l'augmentation du
chômage structurel : «L'OCD rapporte que la productivité du travail dans
les secteurs industriels, en particulier, est purement négative dans de
nombreux pays au cours de l'ère de la Grande Récession, une observation
qui semble persister dans la troisième décennie en cours du XXIe siècle.
La croissance de la productivité de la main-d'œuvre industrielle est
apparemment nulle en Amérique latine, tandis que l'Asie de l'Est
enregistre des taux de croissance de la productivité du travail certes
soutenus mais, toutefois, significativement volatils.»
Cette mutation du capitalisme mondial, sur fond de désindustrialisation,
a plusieurs conséquences : une pauvreté accrue, l'aggravation de la
répartition des revenus et l'intensification de l'exclusion et de la
violence sociales.
Que peut l’avènement de ce qui est communément appelé «Industrie 4.0» ?
«En tant que concept futuriste popularisé pour le XXIe siècle,
‘’Industrie 4.0’’ révèle une attente messianique d'une révolution
technologique englobant l'utilisation de techniques avancées de
conception numérique et de robotique pour la production de ‘’biens à
forte valeur ajoutée’’.»
La transformation de l'ordre technologique basé sur la robotique soulève
à son tour des questionnements d’ordre socio-politique : à qui
appartiennent les droits de propriété des robots ? Quid des Etats en
tant que propriétaires de capitaux publics ? Quid des sociétés
transnationales ?
«Les réponses socialement pertinentes à ces questions sont vitales,
elles font faire écho en nous le célèbre dicton de Marx : ‘’le capital
n'est pas une relation technologique, mais une relation sociale de
production’’.»
A. B.
(*) Erinç Yeldan, Beyond Fantasies Of Industry 4.0, Social Europe, 7
août 2017,
https://www.socialeurope.eu/ beyond-fantasies-industry-4-0-
global-capital-no-answers
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