Soirmagazine : ATTITUDES
Hospitalité
Par Naïma Yachir
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Au volant de sa voiture immatriculée à Chlef, Mourad débarque à
Boussaâda. Le voyage l’a épuisé. Il cherche désespérément un petit
hôtel. Tout ce qu’il veut, un lit où il peut dormir après une nuit de
conduite harassante. Un homme, la quarantaine bien entamée, remarque son
inquiétude. Il se dirige vers lui et lui demande :
- Vous venez de Chlef ? Vous avez l’air perdu, que cherchez-vous ?
- Un endroit pas cher où je peux m’allonger et me payer un bon somme.
- C’est tout. On va régler ça. Mais avant permettez-moi de vous offrir
un café.
-Volontiers.
- Garez votre voiture dans le parking et suivez-moi.
Mourad s’exécute sans se poser de questions.
Nos deux comparses se dirigent vers le café populaire de la ville et
s’attablent. Ils passent commande et font connaissance tout en sirotant
leur breuvage.
Vous venez donc de Chlef. Et que nous vaut votre visite ?
- Disons que je découvre mon pays que j’adore. Comme je ne suis pas
Crésus, je ne peux donc pas me payer le luxe d’un grand hôtel, alors je
suis à la recherche d’une petite bicoque où je peux passer quelques
jours et je reprendrai la route pour une autre destination.
- Vous êtes en quelque sorte un aventurier...
- Un peu, oui.
Et vous êtes originaire de Chlef ?
- Oui. J’y suis né, y ai vécu ma plus tendre enfance et suis retourné
pour m’y établir. Je suis un célibataire endurci, un retraité qui
profite de son temps libre pour faire du pays. Mon projet, c’est
d’écrire un livre sur les gens de mon pays. Je n’ai pas eu le temps de
voyager quand je travaillais. L’administration use. Je me rattrape
aujourd’hui.
- Je trouve ça formidable. Vous n’allez pas être déçu. Et ne cherchez
plus d’endroit où loger. Vous êtes mon hôte.
- Merci pour votre hospitalité.
- Je vais vous faire un aveu. En fait, quand j’ai vu le matricule de la
voiture, des souvenirs ont ressurgi. J’ai connu Chlef il y a dix ans. Je
n’ai pas fait d’études très poussées, mais je me débrouille dans le
commerce. Je sillonne le pays pour écouler ma marchandise. Un jour que
je me trouvais dans cette ville, j’ai été agressé par une bande de
voleurs qui après m’avoir asséné des coups de couteau se sont emparés de
mon argent et m’ont laissé par terre gisant dans mon sang. Je me suis
retrouvé à l’hôpital. Je ne connaissais aucun quidam, et en me
réveillant j’ai découvert des personnes qui venaient s’inquiéter de ma
santé. Je ne voulais pas effrayer ma mère, je ne lui ai donc pas parlé
de l’agression. Et bien figurez-vous que pendant mes quinze jours
d’hospitalisation, je recevais des visiteurs tous les jours. Dans un
mouvement de solidarité ils entraient dans la salle chargés de
nourriture de toutes sortes, de succulents plats préparés à la maison,
des friandises. Ils me bichonnaient, choyaient comme si j’étais un
membre de leur famille. Ils étaient peinés de ce qui m’était arrivé et
juraient par tous les saints que s’ils attrapaient les coupables ils les
corrigeraient. Ils me répétaient que j’étais leur invité, et un invité
est cher pour eux. J’en avais les larmes aux yeux, à telle enseigne que
j’ai vite effacé de ma mémoire l’attaque. Je garde de Chlef la
générosité de ses habitants, leur hospitalité, leur amabilité. Quand
j’évoque ce souvenir, j’en pleure encore. Et quand je vous ai vu, je me
suis tout de suite remémoré cet épisode de ma vie. Pour moi, les gens de
Chlef seront toujours mes invités.
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