Chronique du jour : Lettre de province
Le pouvoir et ses urnes : il reste à convaincre l’électeur !


Par Boubakeur Hamidechi
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Comment fera-t-on encore croire aux Algériens que le fait de glisser dans l’urne une enveloppe contribue à l’amélioration de leur sort ?
Ayant si peu à gagner au change, c'est-à-dire aux remplacements de leurs maires actuels, n’ont-ils pas fini par ne plus croire en la capacité des votes à changer quoi que ce soit dans l’infortune générale qui affecte la société dans son ensemble ? Perçues comme de respectables procédés politiques que l’on a détournés de leurs objectifs, les élections sont, de nos jours, loin de mobiliser l’électorat. L’idée selon laquelle nos urnes ne seraient que des «boîtes à trafic» pour d’inavouables simulacres, ne concerne pas seulement les votes majeurs que sont les présidentielles et les législatives.
C’est que lors du précédent renouvellement des assemblées locales (2012), des postulants apprirent à leurs dépens que les votes trafiqués avaient changé de mode opératoire après l’incursion des transactions financières comme critère. Grâce à l’octroi de places dans les listes des partis, une nouvelle catégorie d’édiles, issus du monde des affaires, parvint à contrôler des APC de premier plan.
C’est de la sorte que même les partis les plus influents se verront solliciter afin d’introduire des hommes d’affaires parmi le panel de leurs militants. D’ailleurs, dans certaines villes de moyenne importance, le FLN et le RND se permirent, à leur tour, le luxe d’accorder le privilège de la conduite de leurs listes à de notoires affairistes.
Rappeler, par conséquent, que ce furent essentiellement les partis du pouvoir qui, les premiers, mirent aux «enchères» une partie des sièges dans les assemblées locales, c’est expliquer justement que la délinquance politique dont souffrent nos élections n’est déjà plus le fait exclusif de l’appareil d’Etat et qu’elle implique dorénavant l’activité interne des partis politiques. Et si jusqu’à présent, les politologues ont toujours analysé les votes locaux sous l’unique prisme de l’importance ou la faiblesse des bassins électoraux de chaque parti, ils doivent dorénavant intégrer le paramètre de la «marchandisation» des sièges afin de mettre en exergue leur degré de connivence avec les lobbies d’affaires. C’est pourquoi, au fur et à mesure que les scandales des maires ripoux sont commentés dans les lieux publics et au moment où les sondages d’opinion indiquent une forte défiance à «tout ce qui ressemble» (sic) à un parti politique, peut-on malgré cela rêver d’une campagne électorale capable de séduire l’électeur en colère et l’amener aux bureaux de vote le 23 novembre ? Le pari est par avance perdu en ce sens que l’on s’accorde à dire que rien n’a changé après trois scrutins locaux (2002, 2007, 2012). Pour la vox populi qui refuse d’être transformée en voix des urnes, la stratégie de l’appareil d’Etat demeure foncièrement celle du passé si ce n’est l’introduction de quelques réaménagements techniques, lesquels s’avérèrent parfois préjudiciables au principe même de la transparence.
L’argument d’une «meilleure gestion» destinée aux territoires (le pays profond) en contrepartie d’une vaste adhésion électorale vient justement d’aggraver la suspicion chez ceux qui communiquent à travers les réseaux sociaux. Dubitatifs, ils se demandent pourquoi l’Etat marchande le «changement» alors que celui-ci devrait aller de soi maintenant. Car s’engager sur une autre perspective pour l’avenir à la seule condition qu’il y ait du répondant électoral ne peut être interprété que comme une caution politique.
Celle qui s’apparenterait, selon certains propos critiques, à un marché de dupes emballé dans un discours sur la démocratie. Alors que l’Algérie est affaiblie par ses échecs et au moment où elle est scrutée de toutes parts, le pouvoir modifie sa démarche en délaissant la stratégie des recompositions par le canal des appareils et la remplacer par la possibilité de regagner en notoriété à travers des plébiscites indirects : ceux qui doivent passer par les législatives et les élections générales. Peu lui importe dorénavant la manière dont vont se comporter les courants partisans pour parvenir à «acquérir» des voix pourvu que se réactive le souci de ramener l’électorat dans le chemin des urnes.
C’est-à-dire que l’enjeu vital est avant tout cette arithmétique qui doit ratifier sa pleine légitimité. En clair, la notion d’abstention n’est plus interprétée, avec morgue, cette posture de l’indifférence quand seuls les partis étaient ses cartes maîtresses. Craindre la défiance des urnes est considéré dorénavant comme le pire des virus qu’il doit éradiquer en lâchant du lest sur un certain nombre de pratiques douteuses dont celles du trucage des décomptes de voix que l’administration s’était chargée de perpétuer.
Il est vrai qu’elle se devait de doper en priorité la fameuse alliance trans-partisane réduite désormais au binôme FLN-RND. Mais alors si l’on peut considérer que le pouvoir commence à s’amender au sujet de la transparence des votes et que l’on peut mettre à son actif le fait qu’il a cessé de maquiller les taux d’abstention, il lui reste tout de même à accomplir l’impossible tâche de rendre crédibles aussi son discours et ses promesses de campagne.
Or, tout coince en haut lieu dans le domaine de la communication. Devenue son talon d’Achille depuis les résultats de ses référendums et ses présidentielles, elle éprouve d’énormes difficultés à capter l’écoute de la société lors des saisons de vote. De surcroît, elle manque dramatiquement de discernement dans l’élaboration de ses mots d’ordre. Ceux qu’elle diffuse sous forme de programmes simplifiés et qui se révèlent trop ambigus pour convaincre les sceptiques. C’est ainsi que, quoi qu’il dise ou qu’il promette au sujet de l’honnêteté des consultations électorales, le pouvoir n’est cependant pas en mesure d’aller vers le mea-culpa de peur que les aveux de ce genre ne se transforment en réquisitoire imparable pour le disqualifier. Une quadrature du cercle dans laquelle il se trouve enfermé malgré les concessions politiques faites aux «partenaires» politiques.
Sauf que ces derniers n’ont pas de réelles passerelles avec la société civile là où prospère le terreau du boycott de plus en plus contagieux même lorsqu’il s’agit de décider du choix d’un modeste maire de village.
N’étant, par conséquent, plus maître de la crédibilité des urnes, le pouvoir est quelque part démuni en terme de propagande pour regagner la confiance des populations.
Il est vrai que l’on doit se garder de parler de «changement» lorsqu’ il ne vous reste pour tirade que les slogans d’une autre époque. C’est dire qu’en terme de communication, la campagne des communales est bien mal engagée.
B. H.



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