Actualités : Gilbert Meynier n’est plus
Un historien rigoureux, humaniste et ami de l’Algérie
Par Lahouari Addi
Professeur à Sciences Po Lyon
L’historien Gilbert Meynier est décédé le 13 décembre à Lyon quarante
jours après la mort de sa femme Pierrette, militante des droits de
l’Homme et responsable de la section lyonnaise de la Cimade, association
qui aide les réfugiés et sans-papiers. Les futurs époux se sont connus
lors d’une manifestation contre la guerre d’Algérie en 1961 sévèrement
réprimée par la police au quartier La Guillotière à Lyon. Après
l’indépendance de l’Algérie, tous deux ont servi comme coopérants à
Constantine et Oran dans l’enseignement secondaire.
Pendant son séjour en Algérie, Gilbert Meynier a appris l’arabe qu’il
lit et parle avec aisance. A son retour d’Algérie, il a été professeur à
l’Université de Nancy après avoir soutenu une brillante thèse préparée
sous la direction de André Nouschi portant sur les transformations
sociales et économiques de l’Algérie dans les années 1910. La thèse a
été publiée sous forme d’ouvrage sous le titre L’Algérie révélée (Droz,
1980, réédité chez Bouchène en 2012) où sont analysées les conséquences
politiques de la Première Guerre mondiale sur une société soumise au
code de l’indigénat par un système colonial brutal et raciste qui lui
refusait l’insertion dans la modernité. Avec ce livre de près de 800
pages, Gilbert Meynier s’est imposé comme un historien incontesté de
l’Algérie coloniale reconnu par ses pairs comme Charles-Robert Ageron.
Ce dernier lui a demandé de prendre part à la rédaction du grand
ouvrage, Histoire de la France coloniale, 2 volumes, Armand Colin, 1996,
en compagnie de Catherine Coquery-Vidrovitch et Jacques Thobie. Quelques
années auparavant, il avait publié avec son ami Ahmed Koualakssis,
L’Emir Khaled, Premier Zaïm ?, L’Harmattan, 1987. Il s’intéressera,
comme historien, à la guerre de Libération, et écrira des livres majeurs
sur le FLN, parmi lesquels il faut citer Histoire intérieure du FLN
(Fayard, 2002) et Le FLN, Documents et Histoire, en collaboration avec
Mohamed Harbi (Fayard, 2004).
Il a été par ailleurs à la pointe de la contestation de la loi scélérate
votée en 2005 par l’Assemblée nationale française qui vante les aspects
positifs de la colonisation.
La communauté des historiens, qu’il a mobilisée, a obtenu l’abrogation
de l’article incriminé de la loi contestée. Gilbert Meynier ne se
lassait pas d’affirmer que l’histoire est une discipline académique qui
ne doit pas se plier aux exigences mémorielles revanchardes d’un côté ou
d’un autre. A cet effet, il a organisé un colloque international,
regroupant principalement historiens français et algériens, sur
l’histoire franco-algérienne.
Les actes de cette importante manifestation scientifique, qui s’est
déroulée à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Lyon, ont été publiés
sous forme d’ouvrage collectif, en codirection avec Frédéric Abécassis,
sous le titre Pour une histoire franco-algérienne. En finir avec les
pressions officielles et les lobbies de mémoire (La Découverte 2008).
Dès le début des révoltes arabes, Gilbert Meynier a fondé, avec Tahar
Khalfoune, juriste universitaire, et Zahir Harir, ingénieur en
informatique, le Forum de solidarité euro-méditerranéenne (Forsem) qui
organise régulièrement à l’ENS et à Sciences Po Lyon des conférences
animées par des spécialistes apportant des éclairages historiques,
sociologiques, économiques… sur les crises politiques des pays du Sud de
la Méditerranée. Ses interventions dans les débats qui suivaient ces
conférences étaient appréciées par l’auditoire, composé en grande partie
d’étudiants, pour leurs contenus informatifs et leurs orientations
théoriques et méthodologiques. Gilbert Meynier avait 75 ans et laisse
derrière lui trois enfants, Hélène, Pierre-Antoine et Jean-Luc, et de
nombreux petits-enfants.
Avec sa mort, la France perd un historien rigoureux et humaniste et
l’Algérie un ami au grand cœur.
L. A.
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