Culture : HOMMAGE
Cherchell commémore le 3e anniversaire du décès de Assia Djebar


Ce fut dans un regroupement convivial que fut commémoré, à Cherchell, le 3e anniversaire de la disparition de l’académicienne algérienne Assia Djebar, préparé grâce à une initiative citoyenne d’une élite culturelle cherchelloise composée de l’ancien censeur Hakem, Djemaï Maâmar, un ex-financier, le musicologue Batache Mohamed, l’ex-enseignant Bouhadda, Mme Tafida, la directrice de la bibliothèque, le professeur d’université Ghebalou et M. Maâzouz Othmane.
Cet événement a été parrainé par la municipalité de Cherchell, qui a pris en charge l’organisation de cette commémoration, où assistaient de grandes figures de la culture et de la littérature algériennes d’expression française et arabe, qui ont animé cet événement samedi passé. Nous citons dans ce cadre la présence du président de l’association «Les Amis de la rampe Louni-Arezki» (Casbah d’Alger), ainsi que des représentants du Café littéraire de Chlef et des personnalités de renom de la culture et de l’art algériens d’Alger et d’autres régions d’Algérie.
A ce titre, le professeur d’université et auteur d’expression française, Mohamed-Chérif Ghebalou, a donné le la à cette commémoration avec un thème percutant : «Itinéraire socio-littéraire de l’écrivaine algérienne Assia Djebar (1936-2015)», où ce dernier évoque le parcours de la défunte dans la société algérienne, à Cherchell, à Alger et durant ses périples, à l’Ecole normale de Sèvres, à Tunis, à Alger et à Rabat, mais aussi son parcours littéraire qui a aussi été mis en évidence avec plusieurs ouvrages que Assia Djebar à réalisés et qui furent exposés par le libraire Farid Saâdoun, dont son premier roman La soif (1957), où le travail littéraire d’Assia Djebar est animé par une longue réflexion littéraire sur les liens entre les hommes et les femmes en Algérie. Assia Djebar a, pour sa part, observé «cette séparation entre deux communautés antagonistes qui s’ignoraient et, partant, se doublait d’une division structurelle entre le monde intérieur, celui des femmes, et l’extérieur, celui des hommes, exigée par l’éducation algérienne».
Il convient de préciser qu'il a été remarqué que «certaines œuvres de l’écrivaine paraissaient pertinentes pour comprendre la trajectoire et la pensée d’Assia Djebar», notamment sa première production cinématographique et les deux romans qui suivront. Il a été, en outre, remarqué que «très tôt, cette écrivaine a fait le constat qu’il y a une prise de conscience qui la plongea dans dix années de silence romanesque, au cours desquelles elle quitta Alger pour Paris avant d’y retourner quelques années plus tard. A son retour, elle réalise en 1977 son premier film, «La nouba des femmes du mont Chenoua», qui réunit des récits de femmes sur la guerre.
Lors de son discours d’intronisation à l’Académie française en 2006, Assia Djebar a rappelé que «le colonialisme vécu au jour le jour par nos ancêtres, sur quatre générations au moins, a été une immense plaie». Assia Djebar écrit que les rapports entre les hommes et les femmes en Algérie, «hors les liens familiaux, sont d’une dureté, d’une âpreté qui laissent sans voix».
Dans le cadre du colloque «Femmes en lutte», le 8 mars 1990 à Fès, Assia Djebar commence son discours par la phrase suivante : «Pour les femmes arabes, je crois qu’on a fait en sorte, depuis 14 siècles environ, que les écrits des femmes soient enterrés, soient effacés, soient supprimés et, mon Dieu, quant aux paroles, on met bien plus souvent en avant, je dirais, les paroles les plus pleureuses, de celles qui pleurent, de celles qui sont en deuil et non pas tellement de celles qui revendiquent, de celles qui s’opposent et de celles qui se dressent». Ainsi, selon certains observateurs, le but de ce colloque fut de rendre hommage à la contribution littéraire et critique de cette première écrivaine du Maghreb qui a été reçue à l’Académie française en 2005, sans pour autant se limiter à l’univers post-colonial franco-algérien. Selon ces derniers, Assia Djebar remarque que «la parole féminine revendicatrice fut traditionnellement bâillonnée chez ses compatriotes, cette pratique de musellement transcende largement l’espace oriental. Car, en dépit des progrès vers l’égalité des sexes et les acquis avérés de la parité, même dans l’Occident du XXIe siècle l’expression féminine non conforme au ton de délabrement et du sentimentalisme considéré décent pour le «sexe faible» est susceptible d’être passée sous silence».
Ce fut ensuite au tour de M. Sari Mohammed, professeur à l’université d’Alger II, auteur et traducteur de retracer, «le parcours de 50 ans de Assia Djebar», au sein du livre «L’amour, la Fantasia» avec «l’Histoire et biographie dans le roman de Assia Djebar» où M. Sari évoquera la problématique de Assia Djebar concernant le sujet de la foi, et la dénonciation littéraire dans un contexte colonial oppressant en abordant le choix de l’écrivaine de choisir le nom de Djebar (l’intransigeante) et Assia au lieu de Fatma-Zohra, et dont l’expression française et l’interprétation outrancière coloniale risqueraient de travestir ce prénom noble de la fille du Prophète. Selon certaines critiques, «dans l’œuvre d’Assia Djebar prédominent la dialectique du rapport masculin-féminin ainsi que la dualité homme -femme en Algérie où prévalent des traumatismes culturel, historique et l’histoire personnelle, à l’origine des blessures culturelles associées à la colonisation de l’Algérie par la France, notamment dans son œuvre «l’Amour, la Fantasia». Selon ces mêmes critiques «le colon français, dont l’une des stratégies guerrières de domination coloniale qui apparaissait en filigrane consistait à provoquer outre des assassinats et des meurtres, mais aussi des bouleversements dans les structures sociale, culturelle et économique». M. Sari, dira par ailleurs que «cette auteure a différé jusqu’en 1978, son entrée à la cinémathèque d’Alger, «où s’observaient les obstacles de quelques cinéastes misogynes» et pour preuve «le refus de lui communiquer une copie du film lors du festival du cinéma». M. Sari décortiquera d’une façon pédagogique les œuvres de l’écrivaine, en évoquant aussi «L’amour, la Fantasia», où il sera question des enfumades du Dahra par le militaire français Pélissier.
Le 3e conférencier sera le professeur d’université Alger II, M. Abdelkrim Ouzaghla dans son thème de prédilection «la problématique de la traduction littéraire de Assia Djebar» où il axera son explication sur les différents aspects de la traduction notamment sémantique, historique, artistique et littéraire en particulier à travers «Les Femmes d'Alger», des tableaux créés par Pablo Picasso en 1955 qui sont une série de quinze peintures inspirées par le tableau «Femmes d'Alger dans leur appartement» d'Eugène Delacroix. Le conférencier évoquera dans ce cadre aussi, le tableau de l’artiste-peintre français Eugène Delacroix réalisé en 1834, notamment le tableau «Femmes d’Alger dans leur appartement» comparé avec l’œuvre de Picasso, «Femmes d’Alger» en 15 tableaux réalisés par l’artiste espagnol entre 1955 et 1957. Selon M. Ouzaghla, le lien entre l’œuvre de Picasso , d'Eugène Delacroix et l’œuvre de Assia Djebar «Femmes d’Alger dans leur appartement», réside dans «une traduction de la tradition dans l’innovation».
A l’issue de cet événement, un débat riche s’est instauré et où on a vu les interventions des artistes-peintres, M. Bekhti et M. Fendjel ainsi que des membres de la société civile et des citoyens de la ville de Cherchell.
Houari Larbi




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