Tendances
ET APRES ?

Youcef Merahi
merahi.youcef@gmail.com
Ce pays est le nôtre ; nous n’avons pas un autre de rechange. Sur le
plan du principe, ça se tient. Sauf que la réalité est souvent
trompeuse. Pourtant, ils sont des milliers d’Algériens à avoir trouvé un
pays de substitution ailleurs ; là aussi, c’est une réalité dont il faut
tenir compte. Par ailleurs, ils sont des milliers, pour ne pas dire des
millions, à tenter le pays de rechange par tous les moyens. Qu’on ne
vienne surtout pas me parler d’exil ! L’exil peut être une source de
richesse de toute nature. Allez dire à un adepte de la harga qu’il n’a
pas un autre pays que le sien ! Il vous rira au nez. Il aura une théorie
toute faite. Aussi, tous les profils sont ailleurs. Du toubib au garçon
de café, ils sont ailleurs. Un ailleurs où, semble-t-il, il est facile
de vivre. Ce pays est-il devenu soudainement anxiogène ? A moins que la
situation a pourri depuis l’indépendance ! C’est dommage que nos enfants
aillent «remplir» justement cet ailleurs qui n’est pas le nôtre. C’est
dommage, surtout, que nous n’ayons pas su les retenir. Car nous n’avons
pas su les retenir. Qu’avons-nous fait pour eux ? La joie de vivre s’est
rétrécie comme peau de chagrin. Autrement dit, rien ne va dans ce pays !
L’Algérien vit en Algérie, comme un zombie. Au jour le jour. N’ayant
pour rêve que de partir ailleurs. Y compris ceux de ma génération.
Dernièrement, j’ai rencontré un vieil ami. Comme on dit, on a roulé
notre bosse, ensemble. Sexagénaire, mais bon pied bon œil. Ou presque.
On ne sait pas ce que cachent nos artères. S’il est vrai qu’on ne se
voit plus, car chacun ménage son quotidien, à sa mesure. Cependant, nos
retrouvailles sont tristement joyeuses. «Alors, vieux, ça gaze ? » Dans
un sourire forcé, il me répond : «Ça va tellement bien, que je fiche le
camp d’ici.» Interloqué, je n’ai pas su réagir. Il continue : «Je vends
tout ce que j’ai. Pas grand-chose. Je prends un aller simple. Et je me
taille. Je m’installe au sud de la France. Pas à Neuilly, comme tu le
constates. Une petite ville du sud de la France.» Dans un souffle
patriotique, je lui rétorque : «L’bled, sahbi !» «Je n’ai plus d’autre
bled que le livre de grammaire, que nous avons utilisé au primaire. T’en
rappelles-tu ? Mes enfants sont là-bas, depuis des années. Mon épouse
vient de les rejoindre. De quel bled parles-tu, alors ? Je m’en vais. Ma
part de ce bled, je l’offre à qui voudra l’avoir. Je pars la conscience
tranquille…» Je préfère taire la suite. Les politiciens. La corruption.
Tous les mandats. Le tribalisme. La prédation. Le mal de vivre. Le
wahhabisme. La sinistrose… J’avais les cheveux dressés sur mon crâne
velu de vertige. Je n’ai pas su lui répondre. Le convaincre de rester. A
quoi ça sert ? Il est convaincu du contraire. Quelque part, je lui donne
raison. Maintenant, allez dire à un hittiste de ne pas fuir par tous les
moyens. Ce jour-là, mon ami avait la voix grave, le regard perdu et le
geste désordonné. Ça se voyait, il en avait gros sur le cœur. Sa
décision est irréversible, il ira au bout de son départ. Au bout de son
exil. Encore un cœur qui ira, là-bas, vivre ce qu’il n’arrive pas à
vivre chez lui. Et on vient nous barber avec la «main de l’étranger», ou
la «main intérieure». Pour précipiter la chute par le biais des
mouvements sociaux.
Quand une année blanchit, il faut le reconnaître. Et dire que c’est une
année blanche. Nous l’avons eue lors du boycott scolaire. Que l’on se
rappelle de cette année-là ! Personne n’a levé le petit doigt. Nos
enfants (ceux de la Kabylie) ont sacrifié une année complète. Si je fais
ce rappel, c’est juste pour dire à Madame la Ministre de l’Education que
l’année, pour moi du moins, est plus blanche que blanche, selon la
célèbre publicité d’Omo. Une cassure de deux mois dans les études ne se
rattrape pas d’un claquement de doigts. Ou d’une décision ministérielle.
Ni par la radiation des grévistes. Ni par le recrutement des
réservistes. Il faut reconnaître l’année blanche et la déclarer telle
quelle, en espérant que l’année prochaine soit meilleure. L’année
prochaine ? Mais ce sera 2019 ! Désolé, je retire ce que j’ai dit. Plus
d’année blanche ! Il faut rattraper le retard. Koul âtla fiha khir !
Deux mois, c’est rien. Du pipi de chat ! Mettons tous les enseignants
grévistes à la porte ! Allez ! Go ! Et recrutons ceux de l’Anem. Il ne
faut surtout pas attendre l’année prochaine ; elle est réservée
exclusivement aux élections présidentielles. Avec le cinquième mandat en
poche, les résidents «résideront» toujours dans les hôpitaux ; le
service civil sera un vieux souvenir ; les enseignants signeront la
charte de l’éthique ; les bidasses n’auront que six mois d’encasernement
; les syndicats autonomes se mettront sous la bannière de la glorieuse
UGTA. Tout ça à la faveur du cinquième mandat. Heureusement que nous
l’avons, d’ores et déjà, ce cinquième mandat. Qui nous permettra de
recevoir nos mandats de vieux retraités chaque 20 du mois. 2019 sera
l’année du sacre ! Et par là, l’année des vaches grasses, dont les
mamelles seront gorgées de pétrodollars. Il n’y aura plus de harga. Plus
de chômeurs, l’éducation nationale aura tout absorbé. Il n’y aura plus
de terrorisme. Ni de fatwa-maison. La joie de vivre inondera les
trottoirs de notre maison Algérie. Plus de violence. Ni d’incivisme. Le
cannabis sera dépénalisé. L’Algérien pourra «pétarader», à sa guise. Et
un pétard, un ! Ceux qui refusent de penser à 2019 ont tort. Mais ils
changeront d’avis, cette année-là. Comme la chanson de Cloclo. Désolé
pour ce retard en arrière ! Et après ? C’est simple comme bonjour !
L’Algérie sera assise au Conseil de sécurité, oui, et avec un droit de
veto. Que dites-vous de cela ? Tu rêves, mon coco ! Et alors, n’ai-je
pas le droit de rêver ? A moins que le rêve soit mis dans la liste des
produits interdits d’importation ? Le rêve, n’est-il pas une production
nationale ? Je pose la question aux plus avertis. L’faïqine ! Alors,
vivement l’année 2019 !
Je suis triste pour la JSK. Triste à pleurer ! En position de relégable,
la fierté du pays. Le club le plus titré. Que s’est-il passé depuis ?
Grandeur et décadence. Qui va la dégager de cette place ? Un mouton noir
à Sidi Belloua ? Un changement d’entraîneur ? Radier tous les joueurs ?
Et faire jouer les espoirs ? Pardonner à Ekedi ? Voilà une énigme
footballistique ! Ekedi, une perle qui n’a rien d’une perle. Et si on
jouait les derniers matchs au stade Oukil-Ramdane ! La baraka des
anciens joueurs pourra intercéder, non ? Je vois bien Kolli marquer des
vingt mètres. Et Haouchine stopper toutes les attaques adverses. Et
Annane porter la balle très haut. Et si Kouffi aggravait la marque. Et
si Rafaï distribuait. Et si Djezzar calmait le jeu. Stop, mon coco ! Tu
t’es bloqué aux années soixante-dix, alors que nous sommes à la veille
de 2019. Réveille-toi, tu rêves ! Et après, laissez-moi rêver ; j’ai
droit au rêve, ne serait-ce que cela !
Y. M. |