Hommage à Benabdelmalek Ramdane et ses compagnons
Par Ouanassa Siari Tengour, historienne
siari25.dz@gmail.com
Dans diverses communications, l’historien Fouad Soufi a déploré le peu
de recherches relatives à l’histoire du 1er Novembre 1954, comme
évènement fondateur à l’origine du déclenchement de la guerre de
Libération nationale, à l’échelle de tout le territoire algérien.
Il est vrai que la connaissance des évènements de cette période est
restée prisonnière d’une historiographie rivée principalement à la
nécessité de rétablir l’ordre et la sécurité dans les Aurès d’abord, en
raison de l’importance des attaques perpétrées dans la nuit du 31
octobre au 1er novembre 1954, et du nombre de victimes. La Kabylie et
l’Algérois viennent en second lieu. L’Oranie n’est pas en reste,
contrairement à un préjugé infondé(1), puisé dans les communiqués
officiels, adressés à l’opinion des Français d’Algérie, pour les
rassurer.
La dépendance de l’écriture de l’histoire, à partir des archives écrites
ou orales, ne dispense pas de se poser des questions sur les réalités
sociopolitiques qui ont prévalu et qui ont dicté aux hommes du moment le
passage à la lutte armée.
Se contenter de reproduire les gros titres des journaux contemporains de
l’évènement est une autre manière d’en réduire la portée réelle et
d’occulter ce pourquoi les premiers insurgés de Novembre 1954 ont engagé
le combat ou comment «la prise de conscience collective» a mûri, au
point de se cristalliser dans la définition d’un programme commun
d’actions exécutées dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, au
nom du droit à l’insurrection.
Dans cette modeste contribution, je propose aux lecteurs une courte
présentation du maquis du Dahra, où de nombreuses actions ont eu lieu.
Elles furent menées, au nom du Front de libération nationale (FLN)
naissant, par des groupes d’Algériens, acquis à l’idée d’indépendance,
dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, principalement sur le
territoire de la commune mixte de Cassaigne/Sidi-Ali.
Le Dahra dépendait de la Zone 5/l’Oranie placée sous la direction de
Larbi Ben M’hidi. Benabdelmalek Ramdane, un de ses adjoints qui a
organisé et dirigé les attaques dans la région de Cassaigne/Sidi Ali
(Mostaganem), est tombé au champ d’honneur le 4 novembre 1954, à la
suite d’un accrochage avec les forces de l’ordre françaises. Il est l’un
des premiers martyrs de la révolution algérienne.
Le Dahra, terre de résistance
Le choix de l’implantation du maquis dans le Dahra ne s’est pas fait au
hasard. Ce pays montagneux, situé à l’est de la ville de Mostaganem,
s’étire de l’embouchure du Chelif au mont du Chenoua, à l’ouest. Au
nord, les monts du Dahra longent la mer Méditerranée ; au sud, ils sont
limités par la vallée du Chelif. «Par son étendue, le Dahra occupe la
troisième place, après les Aurès et la Kabylie.»
Au cours du XIXe siècle, les populations de cette région ont opposé une
vive résistance aux troupes coloniales françaises.
Le triste souvenir des «enfumades du Dahra» survenues au mois de juin
1845 est encore vivace dans la mémoire des descendants de cette région.
Il est associé au combat que mena Mohammed Ben Abdallah, plus connu sous
le nom de Boumaza. Le général Pélissier est l’auteur du massacre de la
grotte de Nekmaria, connue sous le nom de Ghar El Frachich où la tribu
des Ouled Riah fut exterminée. De l’avis de ses pairs, il était coupable
«d’un acte déplorable, d’un meurtre consommé avec préméditation sur un
ennemi vaincu, sur un ennemi sans défense». Tel est le sens qu’il faut
accorder à l’entreprise de la pacification, pour ouvrir la voie à
l’établissement de la domination française par le recours à la violence
et aux spoliations. La traduction de cette politique se concrétisa par
le cantonnement ou resserrement des populations de la région sur des
terres moins fertiles et la création de villages de colonisation.
A la fin du XIXe siècle, 6 centres de colonisation sont créés sur le
territoire de la commune mixte de Cassaigne. Ils disposent de plus de
1200 hectares prélevés sur les terres du douar Chouachi. Ce sont
Bosquet/Hadjadj, Cassaigne/Sidi-Ali, Lapasset/Sidi Lakhdar, Ouillis/Ramdane
Benabdelmalek, Picard/Khadra, Pont du Chelif/Sidi Belattar.
A la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale, la
commune mixte de Cassaigne/Sidi Ali a une population totale de plus de
68 000 habitants dont 66 800 sont Algériens. La majorité de la
population rurale vit de l’exploitation de lopins de terre ou trouve à
s’employer dans les fermes coloniales. La proximité de la ville de
Mostaganem offre quelques débouchés au port mais le chômage est grand et
la paupérisation de la population est quasi générale.
Le Dahra, lieu d’entraînement pour les militants de l’OS
A la faveur de la Seconde Guerre mondiale et de la rapide évolution du
mouvement national, la diffusion des idées politiques pénètrent plus
massivement les campagnes algériennes. L’idée de la libération de
l’Algérie du joug colonial fait son chemin et imprègne l’imaginaire
collectif.
Aussi, l’adhésion aux partis nés durant cette période a-t-elle
progressé. On enregistre ainsi entre 300 à 400 affiliés ou sympathisants
au PPA-MTLD pour le seul douar Chouachi. Les échos de la vie politique
dans la ville de Mostaganem qui abrite toutes les tendances
nationalistes parviennent dans ce milieu rural et contribuent à
encourager une plus grande mobilisation des esprits.
En raison de ses caractéristiques géographiques, les monts du Dahra
furent choisis par les chefs de l’Organisation Spéciale (OS), créée en
février 1947, comme lieu de préparation à la formation paramilitaire.
C’est ainsi qu’au mois d’août 1948, les militants de l’OS s’adonnent à
des exercices d’endurance en traversant tout le Dahra, de Novi/Sidi
Ghilès (Cherchell) aux environs de Aïn Defla, dans la vallée du Chelif.
Au printemps 1950, l’organisation de l’OS fut découverte par la police
française qui procéda à de nombreuses arrestations dans le milieu de ses
militants.
Le procès des «47» de l’OS, qui eut lieu à Oran, le 6 mai 1951(2),
révéla à l’opinion publique leur existence et leur projet. Parmi eux
figurent Ahmed Zabana, Hadj Ben Alla et Hamou Boutlelis. Les
conséquences de cette crise entraînent la dissolution de l’OS prononcée
par la direction du parti. Entre sa dissolution et sa reconduction (2e
congrès du MTLD, avril 1953), les militants de l’OS qui ont réussi à
échapper à la police entrent dans la clandestinité totale.
C’est dans ce contexte que de nombreux militants de l’OS, originaires du
Constantinois, trouvent refuge dans l’Oranie. C’est le cas des militants
Benabdelmalek Ramdane de Constantine, de Abdelhafid Boussouf de Mila,
Larbi Ben M’hidi de Biskra, Barkat Slimane de Annaba/Bône, Didouche
Mourad d’Alger, Amar Ghazali de Aïn Beïda... S’ils parviennent à vivre
dans la clandestinité totale, c’est qu’ils trouvent à l’échelle locale,
auprès des militants du parti PPA-MTLD de l’Oranie, toute l’aide
nécessaire dont ils ont besoin. Il existait dans les principaux centres
urbains de l’Oranie : Oran, Mostaganem, Tlemcen, Aïn Témouchent,
Mascara, Relizane, Maghnia, Nedroma, Palikao/Tighennif, Saïda, Tiaret,
des sections du parti. Durant la décennie 1945-1954, le PPA-MTLD essaima
dans l’arrière-pays des villes et s’implanta dans les centres
périphériques.
Cette lente pénétration du parti dans le monde des campagnes allait, non
seulement élargir sa base sociale, mais constituera, au moment décisif,
le creuset de la résistance patriotique. Ainsi la commune mixte de
Cassaigne/Sidi-Ali abritait une grosse section du PPA-MTLD, comprenant
quelque 400 adhérents répartis essentiellement dans les douars Chouachi,
Belhadj, à Ouillis, Bosquet/Hadjdadj, à Naimia, fraction du douar M’zila.
Il est évident que la proximité avec Mostaganem où la section était
particulièrement active, exerçait une réelle influence dans tout
l’arrondissement.
Cette influence était renforcée par l’emprise religieuse à Cassaigne/Sidi-Ali
du cheikh Ziane Mohamed Abdelbaki qui ne ménageait pas son soutien au
PPA-MTLD. Parmi les militants du PPA-MTLD de la région de Sidi-Ali/Cassaigne
émergent les noms de plusieurs militants qui ont su créer une dynamique
dans ce milieu rural, placé sous haute surveillance de l’administrateur
de la commune mixte, assisté des caïds et des gardes champêtres. Ce
sont, parmi tant d’autres, Mohamed Bechlaghem Ould Ketroussi, originaire
de Chouachi et qui dirigeait la médersa «L’éducatrice» d’obédience PPA,
à Mostaganem, Bordji Amar, Benamane Benothmane (il avait été placé en
résidence surveillée à Aflou, en 1943), Sahraoui Abdelkader.
A la veille du 1er Novembre 1954
Dans l’état actuel des connaissances, la documentation est très
fragmentaire et ne permet pas de donner un aperçu exact ni de
l’implantation(3) réelle du parti ni des préparatifs au passage à la
lutte armée.
La crise du PPA-MTLD jette le désarroi dans les rangs : cadres et
militants de base sont divisés entre messalistes et centralistes. La
reconduction de l’OS, à l’issue du second congrès du MTLD, au mois
d’avril 1953, et la création éphémère du CRUA, au mois de mars 1954, ne
parvient pas à ressouder les rangs du parti déchiré mais ouvrit la voie
au rassemblement des anciens de l’OS dont quelques- uns venaient d’être
libérés de prison, à l’exemple de Hadj Ben Alla, Ahmed Zabana, Ouadah
Benaouda, Guedifi Benali, Aït Zaouche Mammar(4).
Au lendemain de la réunion des «22» (juin 1954), quatre de ses membres
se retrouvent à la tête de l’organisation de l’insurrection, au niveau
de la Zone 5 qui recouvre l’Oranie.
Ce sont Hadj Ben Alla, Larbi Ben M’hidi, Abdelhafid Boussouf et
Benebdelmalek Ramdane. Tous sont des professionnels du parti et ont en
partage l’expérience acquise dans les rangs de l’OS. Avec ses
compagnons, Larbi Ben M’hidi, membre de la direction de la Révolution,
s’attela à mettre sur pied, en un temps extrêmement cours, une
organisation en mesure de déclencher l’insurrection, une fois la date
fixée.
Selon les rares témoignages, il échut à Benabdelmalek Ramdane de
préparer les groupes du Dahra. Ses contacts sont Amar Bordji, Mohamed
Belhamiti, Douar Miloud, Sahraoui Abdelkader. Ces pionniers de la
Révolution sont des enfants du pays. Tous sont des militants du MTLD qui
ont pris leurs distances par rapport aux tensions qui déchirent le
parti. C’est avec eux que Benabdelmalek procède à la désignation «des
groupes de choc» et qu’il décide des actions à exécuter.
Au préalable, dès le mois de septembre, ils se rencontrent
régulièrement, plus d’une fois, à Oran, à Mostaganem, El Hachem(5) et
dans les différents lieux boisés du Dahra : les forêts de Sidi Youcef,
Sidi Slimane (Zentis), Ouled Arbi. Selon Mohamed Benhamiti, dit
Bendehiba, le PC de Benabdelmalek Ramdane fut établi au djebel Chorfa,
au douar Achaâcha.
Le 31 octobre 1954, les hommes sont réunis à Aïn Abid, ils reçoivent les
dernières instructions concernant les actions à mener. Tous ne disposent
pas d’armes à feu, mais ils sont déterminés à déclencher la lutte armée,
pour la libération de l’Algérie.
Le 1er Novembre 1954 dans la région de Cassaigne/Sidi-Ali
Plusieurs actions ont ciblé des fermes coloniales dont le sabotage du
transformateur électrique et des lignes téléphoniques, ainsi que la
gendarmerie de Cassaigne/Sidi-Ali. Au cours ce cette nuit, vers 1h15,
des groupes de partisans pénètrent dans la ferme Monsenegro, située non
loin de Ouillis. Le gérant de la ferme voisine, Mira Alexandre, est
alerté par le bruit du portail de la ferme Monsenegro.
Il reconnaît Hamiti Affif et Kassous Ahmed. Le passage inattendu d’une
voiture, conduite par Jean-François Mendez, accompagné de Laurent
Francois(6), provoque un tir de coups de feu, dont la responsabilité
revient à Douair Miloud. Ayant entendu l’appel au secours du gérant, les
deux jeunes gens se dirigent vers la gendarmerie de Cassaigne. Là, pour
la seconde fois, devant la porte restée fermée de la gendarmerie, ils
essuient plusieurs coups de feu, tirés par Abdelkader Sahraoui qui
atteignent mortellement Laurent Francois.
L’attaque de la gendarmerie échoue pour plusieurs raisons. L’arrivée de
la voiture de Mendez et Laurent surprit le groupe de Sahraoui qui
s’empressa de tirer sans se rendre compte que c’étaient des civils.
Ceux-ci venaient donner l’alerte à la gendarmerie. «Ils tirent sur la
cloche pour réveiller les gendarmes.» La présence fortuite de Mendez et
Laurent, et les coups de feu décident de la retraite des hommes de
Belhamiti et de Sahraoui. Par prudence, ils renoncent à s’introduire à
l’intérieur de la caserne et à s’emparer de l’armurerie, alors qu’ils
avaient commencé à couper les barreaux d’une des fenêtres de la façade
ouest du bâtiment.
Malgré les appels au secours de Mendez, la porte de la gendarmerie resta
close. Il dut se rendre vers le centre de Cassaigne pour alerter les
gardes de nuit, l’administrateur adjoint de la commune et le docteur
Gibert. Tous ensemble, ils se rendent à la caserne de la gendarmerie où
les premiers soins sont donnés à François Laurent, blessé grièvement.
L’autre cause de l’échec est liée au fait que le sabotage du
transformateur électrique situé au centre de Ouillis a été empêché, à la
suite de l’intervention du garde de nuit Megheni Abdallah.
La plongée de la région du Dahra dans une totale obscurité aurait été
plus propice à l’attaque de la gendarmerie. Mais seules les coupures des
lignes téléphoniques(7), à différents endroits, ont isolé la région du
Dahra de la ville de Mostaganem.
Pratiquement, le même scénario se reproduisit à la ferme de Jeanson,
située à Bosquet/Hadjadj. Le garde de nuit, Boutlelis Ahmed, alerté par
les aboiements de son chien, se retrouva en présence de cinq hommes.
Attaqué, le garde se défend et tire sur ses agresseurs deux coups de
feu. Enfin, les attaquants des deux fermes ont été reconnus et leur
signalement fourni aux gendarmes.
Au matin du 1er Novembre 1954, le Dahra se réveille dans une atmosphère
de guerre. Le préfet Lambert, informé successivement de la découverte du
cadavre du chauffeur de taxi Samuel Azoulay, puis de l’attaque de la
gendarmerie de Cassaigne, prend les mesures d’urgence, en mobilisant
toutes les forces de l’ordre disponibles : troupes, gendarmerie, police.
Des renforts sont spécialement envoyés à Cassaigne où les premiers
renseignements réunis ont permis d’identifier les auteurs des
différentes actions. Aussitôt les recherches commencent en vue de leur
arrestation. On traque ceux qui furent reconnus, mais également les
militants du MTLD et ceux qui possèdent une arme de guerre. Le 2
novembre 1954, les gendarmes procèdent à l’arrestation de 7 hommes.
Parmi eux, les responsables de l’attaque de la gendarmerie (Abdelkader
Sahraoui Ould Mihoub et Mohamed Belhamiti dit Bendehiba). Les jours
suivants, les arrestations continuent au gré des enquêtes, voire des
dénonciations.
Le jeudi 4 novembre 1954, un ratissage est organisé au nord de Bosquet/Hadjdadj,
dans la forêt de Ouled Sidi Larbi. Au cours de l’accrochage, dans le
ravin de l’oued El-Abid, Benabdelmalek Ramdane, «Si Abdallah», tombe au
champ d’honneur tandis que Miloud Douair est gravement blessé. La
Révolution venait de perdre l’un de ses fondateurs. Il était âgé de 28
ans.
A la date du 18 novembre 1954, le rapport de la gendarmerie signale
l’arrestation de 58 hommes qui sont immédiatement placés sous mandat de
dépôt à Mostaganem, tandis que 11 autres sont activement recherchés.
Parmi eux, Amar Bordji, considéré comme le responsable régional.
Celui-ci mourra en martyr, les armes à la main, le 22 décembre 1954. Sa
mort, rapportée en première page de L’Echo d’Oran triomphalement, ne met
pas fin au «terrorisme» car le déclenchement de l’insurrection n’est pas
circonscrit à cette seule région. Il est étendu à l’ensemble des régions
de l’Algérie et au niveau de l’Oranie, des foyers insurrectionnels se
sont déclarés à Oran, dans la région de Turgot/Terga et Saint-Lucien/Zahana.
Un groupe de partisans dirigé par Ali Cherif Cheriet s’apprête à
attaquer la caserne d’Eckmühl dans le but de s’emparer des armes et
munitions. L’opération s’acheva par un revers mais fit une victime
civile, en la personne du chauffeur de taxi, Samuel Azoulay. Le second
objectif fut confié au groupe dirigé par Ahmed Zabana qui devait allumer
un incendie à la base aérienne de Lartigue/Tafraoui. Il fut ajourné en
raison de la défection du groupe de protection, placé sous les ordres de
Abdallah Sotra.
Le groupe de Ouaddah Benaouda
Mardi 3 novembre, non loin des grottes de la plage Sidi Djelloul(8)/Terga,
le groupe dirigé par Ouaddah Benaouda dit «Si Ahmed» attaque des
gendarmes et des gardes champêtres (le garde champêtre Emile Peyre est
blessé). Ce groupe dispose de 15 hommes répartis en 3 sous-groupes,
placés, respectivement, sous les ordres de Kouini Abdelkader, dit Naceur,
Oussaâd Salah et Berraho Kada, dit «l’horloger».
La riposte des forces de l’ordre coloniales fut un vaste ratissage qui
se continua toute la nuit du 3 au 4 novembre, grâce aux renforts venus
de Sidi Bel-Abbès, Rio Salado/el-Malah, Aïn Témouchent et Oran. Il
aboutit à l’arrestation de Berraho, blessé, et de Kerarma Benaouda et
Benbouha Habib, dit «Bouha», Yahia Ben Lakhal, Belhadj Mohamed, dit «Hamou»,
Bengana Salah et leur chef Ouaddah.
Après les interrogatoires à la gendarmerie de Rio Salado/El-Malah, la
police découvre l’importance de l’organisation de ces partisans
originaires de Rio Salado et de Aïn Témouchent. Ces «bandits», comme les
désignent la police et la presse, obéissent aux ordres de leur chef Hadj
Ben Alla. Ils ont pris connaissance de la proclamation du FLN et l’appel
de l’ALN et sont donc acquis à la lutte armée en vue de la libération de
l’Algérie de la domination française.
Le groupe de Ahmed Zabana
de Saint-Lucien/Zahana :
«les libérateurs de l’Algérie(9)»
Le garde forestier François Braun est tué à la maison cantonnière située
au lieu-dit «La Mare d’eau» (entre Saint- Lucien/Zahana et Oggaz), lors
d’une attaque menée par Zabana et ses compagnons au soir du 4 novembre
1954. Ils récupèrent un fusil de chasse, une mitraillette et un
revolver.
Aussitôt, les recherches sont lancées par la police et la gendarmerie
françaises. Elles sont facilitées par les informations détenues par la
PRG(10) depuis la fin du mois d’octobre 1954. Le groupe de Zabana
était-il infiltré ? Aussi les recherches furent-elles orientées
immédiatement du côté de la forêt de Moulay Ismaël (région de Oued
Tlélat et Sig). Une compagnie de zouaves de la caserne d’Eckmuhl arrive
en renfort pour prêter main-forte aux forces locales. Le 8 novembre
1954, la grotte Ghar Boudjlida (à 3 km d’El-Gaâda) est encerclée. A
l’issue d’échanges de coups de feu, Zabana, Abdallah Fettah et Mohamed
Mechraoui sont grièvement blessés tandis que Brahimi Abdelkader tombe au
champ d’honneur. La fouille de la grotte permet la récupération de
nombreux documents dont des manuels techniques (cours d’électricité), 7
cartes d’état-major de la région, des règlements de manœuvre de
l’artillerie, un aide-mémoire des Forces françaises libres (FFL)(11).
Les interrogatoires permettent de reconstituer, à peu de choses près,
les groupes des insurgés de novembre 1954, d’identifier les principaux
responsables dont beaucoup étaient affiliés à l’OS.
On repère les lieux où ils tenaient leurs réunions. On apprend alors, à
la lecture des bulletins de renseignement quotidiens, que l’Oranie est
réellement en effervescence, sous la direction de Larbi Ben M’hidi, Hadj
Ben Alla, Houari Souiyah, Abdelhafid Boussouf… Des coupures de lignes
téléphoniques, des pierres placées sur les rails, des incendies de
dépôts de liège (Hafir, CM Sebdou), des distributions de tracts du FLN
sont signalés ici et là. Ils se poursuivent au lendemain du 1er Novembre
1954.
En conclusion, l’histoire de cette période commence à peine à être
étudiée, elle n’a pas encore livré tous ses secrets. On aurait tort de
croire que cette histoire se résume aux seules tentatives d’attaques
dont la plupart ont échoué(12) et à la longue liste de l’arrestation des
premiers insurgés ou nationalistes figurant dans les fichiers de la
police française. Une telle conjecture est erronée à double titre…
Du côté des autorités françaises, bien qu’elles aient pris connaissance
de la proclamation du FLN, elles se sont complues à ignorer la question
de l’indépendance, confondant les insurgés de novembre 1954 avec des
malfaiteurs, des fauteurs de troubles ou des bandits. S’adressant aux
maires du département, le 5 novembre 1954, le préfet Lambert d’Oran
n’hésite pas à déclarer : «Ces actes de banditisme sont le fait
d’individus isolés.»
Pourtant, dans les documents récupérés lors de l’arrestation de Zabana,
la police trouve la lettre qu’il n’a pas eu le temps d’envoyer à ses
parents et où il leur déclare : «j’ai choisi le sacrifice de ma vie pour
l’indépendance de ma patrie.» Et les Algériens, qu’en pensent-ils ?
Sont-ils tous pour l’ordre colonial ? Sont-ils sensibles aux prémices de
la guerre qui commence ? Ont-ils conscience du tournant qui se profile ?
Les rumeurs les plus contradictoires sont rapportées par les indicateurs
de la police. Entre ceux qui sont dans l’expectative sont signalés ceux
qui invitent leurs compatriotes «à faire quelque chose, tout de suite»
(à Ghazaouet), alors que certains appellent, ouvertement, la population
de Kristel «à se joindre aux forces de la libération». En fait, en
l’absence de canaux d’expression, c’est la rumeur qui sert de baromètre
pour apprécier l’état d’esprit des Algériens ou du moins leurs
inquiétudes. Au crépuscule du 5 novembre 1954, un jeune à Tlemcen
raconte que «les journaux ont annoncé que lorsque le ciel sera
rougeâtre, la guerre entre musulmans et Français éclaterait».
Quant aux nouvelles des Aurès, elles sont amplifiées à souhait. Leur
réception conforte l’horizon des possibles et les attentes collectives.
A la lumière de ces quelques fragments, l’évènement prend déjà un tout
autre sens.
C’est dire que si «l’ère de la commémoration» de l’évènement est
nécessaire, afin que nul n’oublie, sa mise en perspective n’est possible
que s’il est connecté à «une histoire, mais aussi à une géographie
culturelle et sociale» qui reste à faire.
O. S. T.
1) «L’Oranie, dont les principaux chefs viennent du Constantinois, a
des moyens limités….», écrit Guy Pervillé dans Atlas de la guerre
d’Algérie, publié en 2003, aux éditions Autrement. Faut-il rappeler que
le PPA-MTLD regroupait, dans les années 1950, quelque 20 000 militants
et 18 000 adhérents et sympathisants répartis à travers tout le pays.
Pour ne citer que l’Oranie, des sections du PPA-MTLD existaient à Oran,
Tlemcen, Mostaganem, Aïn-Témouchent, Mascara, Saïda, Tiaret, Relizane,
Chlef/Orléansville, Ghazaouet, El-Bayadh/Géryville, Béchar. Sans compter
les sections de l’UDMA, du PCA et des cercles culturels relevant de
l’Association des Ulémas musulmans algériens, qui ont contribué à tisser
les fils d’une identité nationale…
2) Ils sont suivis d’autres procès, celui des «56» à Blida, des «121» à
Annaba/Bône et des «27» à Béjaïa/Bougie.
3) Si l’organisation du parti est connue, la composition humaine l’est
beaucoup moins, au vu de l’instabilité due aux arrestations et à la
destruction des documents. Les seules données que la police française
fournit dans ses propres archives ne sont pas toujours fiables. Dues aux
informateurs et autres indicateurs, elles exigent d’être lues avec
beaucoup de précaution.
4) Tous les noms cités ont fait partie du groupe des militants de l’OS,
arrêtés au printemps 1950. Ils furent condamnés à trois ans de prison et
trois ans d’interdiction de séjour.
5) Il relève aujourd’hui de la commune Sayada, ex Pélissier, non loin de
Mostaganem. El-Hachem était un lieu de passage obligé entre Mostaganem
et le Dahra.
6) Tous deux revenaient de Mostaganem et rentraient à Picard. François
Laurent est un civil, il n’appartient pas à la brigade de la gendarmerie
comme le prétend Mohamed Belhamiti.
7) Rapport gendarmerie Mostaganem, 3 novembre 1954, ANOM, département
Oran//159
8) Au lieu-dit Camerata
9) Titre rapporté par l’Echo d’Oran du 6 novembre 1954.
10) Anom, département d’Oran, //159, rapport PRG du 9 novembre 1954.
11) Les FFL représentent les forces armées ralliées à la France Libre
dirigée par le général De Gaulle.
12) Les actions menées contre les casernes à Batna, Blida, Oran, à
Cassaigne ont toutes échoué. |