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Rubrique Ici mieux que là-bas

La dernière image de Nasredine Guenifi

Extérieur jour-cimetière - Qu’est-ce qui peut passer par la tête quand on se trouve dans une allée de cimetière parsemée de gravier de la banlieue parisienne sous 38° à l’ombre? C’est un peu comme si la puissante lumière solaire dressait un écran sur lequel passe, contre son gré, les rushs d’un passé qui s’accroche ferme.
D’abord, on observe les visages. Ils sont venus, ils sont tous là, ou presque ! Plutôt presque. Beaucoup s’en sont allés, eux aussi, déjà ! On les connaît tous, presque tous. L… dit cash : « Regarde, c’est Untel ! Qu’est-ce qu’il a vieilli ! »
L… se ravise et ajoute : « Je suis sûr qu’il doit en dire autant de nous. »
Loi implacable des mégapoles où la vie quotidienne bouffe jusqu’au dernier filament de ton temps, certains ne se sont pas rencontrés depuis des lustres. Cela fait penser — un peu artificiellement, il est vrai — à Camus qui, en retrouvant après une longue séparation ses amis d’Alger, notait qu’il regardait leurs visages et qu’il savait seulement qu’ils avaient été jeunes ensemble et qu’ils ne l’étaient plus.
Ça a rappelé subrepticement ce tout début de la décennie noire lorsque nous ne nous retrouvions qu’à l’occasion des obsèques d’amis et de camarades assassinés, c’est-à-dire une à deux fois par semaine. Triste cérémonial qui n’en finissait pas ! On en était arrivé à connaître tous les cimetières d’Alger et des environs.
Dans cette allée de l’exil, c’était en quelque sorte cette même histoire tragique qui se répétait ou, du moins, qui se continuait sous d’autres formes. Comme dans toute histoire, pour mieux comprendre, il faut partir du début.
Le 6 juin 1994, un jeune stagiaire à la RTA de 20 ans, du nom de Hichem Guenifi, était assassiné par les intégristes dans son quartier de Bachdjarrah, dans la banlieue d’Alger. Son père, Nasredine Guenifi, syndicaliste pugnace dans le domaine de l’audiovisuel, cinéaste, militant du PAGS, lui-même menacé pour ses engagements, décida de mettre sa famille traumatisée à l’abri en France. Que celui qui n’a jamais été confronté à la mort jette la première pierre ! Il fait partie de ces milliers d’Algériens qui, persécutés ou du moins impuissants devant le sort qui les attendait, choisirent de rester en vie, fût-ce au prix de l’exil. Ces milliers d’Algériens, en dépit de la douleur de la perte et de l’éloignement, ont continué à se battre pour une Algérie démocratique, et de progrès, pour un Etat de droit.
Intérieur nuit-pièce vide, juste une chaise - Un flot de souvenirs des années militantes vient rouvrir la blessure, et induire cette interrogation nocturne, sans issue. Comment des militants qui ont pris des risques depuis leur plus jeune âge en luttant dans des organisations patriotiques et progressistes pour l’émancipation du peuple algérien et la libération de la patrie de toutes les oppressions, ont-ils fini par être chassés de leur pays, et pour certains, l’heure venue, être enterrés en exil chez l’ex-colonisateur ? C’est le drame dans le drame.
En quasiment 30 années d’exil, un autre enracinement s’effectue à l’échelle familiale. Alors se pose la question de la dernière demeure. Asma Guenifi, la fille du cinéaste, y répond avec toute la gravité nécessaire dans un post sur sa page Facebook : « Une partie de la famille de Constantine souhaite que mon père soit enterré là-bas, ceux d’Alger souhaitent qu’il soit enterré à Alger, le monde du cinéma algérien souhaite lui aussi lui dire au revoir… Nous partageons vos douleurs et vos souhaits, mais le souhait de mon père est de rester auprès de sa famille et de ses petits-enfants… Il va être inhumé au cimetière de Saint-Denis, notre ville d’exil. »
Flashback - Je revois Nasredine Guenifi dans des réunions dans les années 1970-1980. C’était une figure du monde du cinéma. Il avait participé à nombre de films importants et cumulé une expérience considérable dans la construction du cinéma national qu’il avait intégré sitôt l’indépendance. Il n’avait pas 20 ans. Il était de toutes les luttes pour un cinéma national progressiste. Il fut un élément capital de la section syndicale du CAAIC (Centre algérien pour l’art et l’industrie cinématographique). Il a été un membre actif de l’UAAV (Union des arts audio-visuels) qui se réunissait au siège de la revue Les 2 écrans.
En exil, quelques années plus tard, nous nous sommes retrouvés dans un café. Il avait du coup la soixantaine passée. Je lui ai demandé ce qu’il faisait. Il m’a répondu qu’il avait entrepris de rafraîchir ses connaissances en s’inscrivant à des études de cinéma à l’université : « Je découvre que je croyais savoir et que je ne savais pas grand-chose. »
La grandeur se mesure à l’humilité. Heureusement, il put continuer à travailler dans ce cinéma algérien, exigeant et libre, auquel il avait tant donné. Ainsi, réalisa-t-il un documentaire sur René Vautier, son maître, ce maquisard derrière la caméra. Il réalisa, j’allais dire in extremis, le film auquel il tenait tant, Nous n’étions pas des héros, tiré du récit de Abdelhamid Benzine Le camp. Où il est question de la souffrance des prisonniers algériens dans les camps pendant la guerre de Libération. Il rêvait de tourner un biopic sur Maurice Audin.
C'est une bobine qui brûle.
A. M. 

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