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Le petit juge qui a fait tomber les colonels

TRINTIGNANT. - Quel rapport entre l’actualité, le film Z de Costa Gavras et le juge grec Christos Sartzetakis ? Apparemment aucun. À moins que… On ne sait jamais, yak ?
D’abord, le film. Tourné en 1969, il pose encore aujourd’hui cette question — plutôt superficielle, difficile d’en disconvenir — : Comment un film réalisé par un cinéaste français d’origine grecque et interprété par de grands acteurs français (et de grands acteurs algériens aussi, dont Hassan El Hassani, Agoumi, Habib Réda), co-écrit par l’écrivain espagnol Jorge Semprun, peut-il être répertorié en tant que film algérien ? C’est pourtant le cas, et c'est tant mieux!
Tiré d’un roman de Vassilis Vassilikos, écrivain grec en exil opposé à la dictature, qui raconte l’assassinat du député de gauche Grigoris Lambrakis et met en cause la répression de l’opposition écrasée sous la botte militaire, le film était en quête d’une coproduction. Fer de lance de la lutte progressiste, y compris dans le domaine du cinéma, l’Algérie de Boumediene avait proposé de s’engager dans la matérialisation du projet. Quand un responsable du cinéma algérien expliqua au colonel-président qu’il s’agissait d’un film à charge contre le régime grec des colonels, Boumediene aurait répondu en souriant : « Sais-tu que nous sommes un régime de colonels ? Mais nous, nous n’avons rien à voir avec des colonels grecs, nous sommes des révolutionnaires. »
Le montage financier, avec ses connotions fatalement politiques s’agissant d’un film contre la dictature grecque soutenue alors par les États-Unis, le tournage et la sortie de Z mériteraient sans doute d’être davantage connus. Divers protagonistes ont raconté l'expérience, dont Costa Gavras lui-même dans ses mémoires Va où il est impossible d’aller (Seuil 2018).
Petit détail glané quelque part, à l’occasion du décès récent de l’acteur français Jean-Louis Trintignant. Compte tenu de la modicité des moyens du film et de son caractère engagé, Trintignant avait renoncé à percevoir son cachet.
JUGE. - Mais c’est surtout l’histoire de ce petit juge, incarné par Trintignant, qui s’est dressé seul contre la gangue militaire qui vaut d’être évoquée. Toute ressemblance avec la… fiction algérienne est évidemment fortuite.
VICTOIRE. - Le 22 mai 1963, lors d’un meeting pour la paix, le député progressiste Grigoris Lambrakis, fédérateur de l’opposition de gauche, est victime d’un attentat présenté dans un premier temps comme un accident de la circulation. Il décède cinq jours plus tard. Un jeune juge de 34 ans, Christos Sartzetakis, est chargé du dossier. Il suspecte d’entrée de jeu un assassinat politique et réunit des preuves de la complicité de hauts gradés de la gendarmerie et de la police. Résistant aux pressions et même aux menaces de sa hiérarchie qui l’enjoint d’accréditer la thèse de l’accident, il prend le risque d’enchaîner les interrogatoires et de poursuivre son enquête. Il révèle ainsi le poids de l’influence des groupes paramilitaires dans les partis de droite, sous-traitants de l’armée et des services de renseignement . En mettant en examen un colonel de la gendarmerie et l’inspecteur général des armées, il déclenche un séisme politique. On peut imaginer le courage, voire l’héroïsme dont fit preuve ce jeune magistrat sans appui pour faire triompher le droit et la vérité contre des forces qui avaient tout intérêt à l’instrumentaliser dans leur omerta.
Quand, plus tard, le social-démocrate Papandreou accéda au poste de Premier ministre, il entreprit de mettre le juge à l’abri en l’expatriant en France. Une bourse d’études lui est allouée.
JUNTE. - Mais le 2 avril 1967, la coalition militaire d’extrême droite que le juge avait dénoncée prend le pouvoir. C’est le coup d’État des Colonels. La junte est soutenue par les États-Unis en raison de la situation de la Grèce dans la configuration géostratégique en Méditerranée.
Christos Sartzetakis est sommé de regagner la Grèce. Sitôt rentré, la junte exige sa démission. Le juge tient tête au régime militaire fasciste et refuse. Il est révoqué. Entre-temps, les assassins de Lambrakis, qui avaient été jugés avec clémence, ont été libérés et les hauts gradés mis en cause réintégrés dans leurs fonctions. Le juge Sartzetakis devient alors un symbole de la résistance aux colonels, ce qui lui vaut d’être arrêté et torturé. Après 11 mois d’incarcération, la pression internationale aboutit à sa libération. Réduit au silence, malade et sous la menace d’une nouvelle incarcération, il vit sans ressources.
PRÉSIDENT. - Le 24 juillet 1974, la dictature tombe. Les colonels et leurs sbires sont arrêtés et les prisonniers politiques libérés. Le juge Christos Sartzetakis réintègre la magistrature. En 1985, le Parti socialiste le présente comme candidat à la présidence. Le juge est élu à la magistrature suprême.
Lorsqu’on l’interrogea plus tard sur son apport à son pays, ce ne fut pas son bilan de président qu’il fit valoir, mais ces quelques mois durant lesquels, petit juge de province, il eut, à lui tout seul, le courage de démonter une conspiration militaro-politique. Il entra dans l’Histoire comme ce petit grain de sable qui enraye les machines les plus puissantes.
A. M.

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