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Rubrique Ce monde qui bouge

Combats d’arrière-garde

Comment rester sous les feux de l’actualité et occuper la scène médiatique ? C’est simple. Pour ceux qui n’ont rien à proposer, comme A. Bengrina, on pointe l’amazighité et ceux qui s’en revendiquent, ou on instrumentalise l’Histoire. Car, pour ce monsieur, ce n’est pas la détention de l’universitaire Fatiha Briki, le chômage des jeunes, la pauvreté ou la récession économique qui l’empêchent de dormir, mais l’amazighité. Dans sa ligne de mire aussi, Mohand Ouamar Benelhadj, le secrétaire général de l’ONM (moudjahidine), coupable à ses yeux de lui avoir rappelé quelques vérités historiques concernant justement la Kabylie durant et après la conquête coloniale. En effet, A. Bengrina, dont le parti qu’il dirige ne peut se targuer d’avoir obtenu un score massif le 12 juin dernier, ne semble pas connaître l’histoire de la guerre de Libération.
Pour ce faire, il aurait fallu, en plus de l’arabe, qu’il maîtrise un tant soit peu la langue française car, plus de 90% des documents et archives sur cette guerre et le mouvement national sont en français. Il aurait appris que cette région de Kabylie avait concentré plus du tiers de l’armée coloniale lors de l’opération Jumelle en 1959-61, opération qui faisait partie du plan Challe : un plan qui visait à réduire l’ALN à une peau de chagrin région par région, en Kabylie, dans le Centre, l’Ouarsenis et le Nord constantinois. 
Au lieu d’encourager les jeunes à maîtriser, en plus de l’arabe, le français et l’anglais – Britanniques et Américains ont beaucoup écrit sur le mouvement national et la guerre de Libération nationale – quoi de mieux pour le dirigeant d’El-Binaa et ses amis que de criminaliser la langue de Molière, ce « butin de guerre » (dixit Kateb Yacine), afin, sans doute, que les jeunes d’aujourd’hui ne puissent pas accéder aux archives et ne connaissent que la version aseptisée de l’histoire du FLN/ALN, de l’Etoile nord-africaine (ENA), du PPA-MTLD, du Crua et du Groupe des 22, version que cette frange de l’islamisme politique a en partie réussi à faire figurer dans les manuels d’histoire, et enseignée à nos enfants durant les années 70-80 et même après !
Pour terminer, rafraîchissons la mémoire du dirigeant d’El-Binaa qui feint d’ignorer que la déclaration du 1er Novembre 1954 a été écrite en français. Et qu’en dépit de ses dérapages verbaux, à connotation anti-unité nationale, il n’a même pas été rappelé à l’ordre par qui de droit ! Alors que pour moins que ça, de jeunes activistes du Hirak sont poursuivis en justice et condamnés. 
Dans un tout autre but, Nordine Aït Hamouda a pris quelques légèretés avec l’Histoire et enflammé les réseaux sociaux, accusant, entre autres, l’Émir Abdelkader d’avoir « vendu l’Algérie à la France » ! Mais que sait-on de l’Émir Abdelkader dont on a du mal à imaginer que durant 17 ans, il a guerroyé à cheval contre un ennemi puissant, mieux équipé et aguerri par les guerres napoléoniennes, en parcourant l’Algérie d’ouest en est et du nord au sud ? Sait-on qu’il avait réussi à unifier les deux-tiers du pays sous une seule autorité politico-administrative coiffant huit khalifalik (régions), institué un impôt égalitaire, mis en place une armée de 8 000 fantassins, 2 000 cavaliers, et 240 artilleurs pour la plupart, dit-on, d’origine turque car étant les seuls à savoir utiliser l’artillerie et institué, selon René Galissot, un service militaire avant l’heure? 
Mais face à une armée de 108 000 hommes - un soldat français pour 25 habitants d’après R. Galissot - qui avait entrepris de détruire méthodiquement les bases de l’État mis en place par Abdelkader – villes pillées, incendiées et rasées, enfumades, massacres, incendies des récoltes et des vergers dans les plaines, en Kabylie et dans le Titteri – c’est un Émir traqué et épuisé par 17 ans de combat, ne disposant que de quelques centaines d’hommes en 1847, dans un pays socialement disloqué, réduit à la misère, avec des villes dévastées et vidées de leurs habitants, des « villes fantômes » (1), qui a fini par mettre un genou à terre. 
Alors au lieu de parler de trahison, il faut peut-être s’interroger sur ce qui a provoqué sa défaite militaire dans cette Algérie du XIXe siècle et ne pas perdre de vue que c’était un homme de son temps. Sans plus. Quant au reste, comme par exemple le fait qu’il aurait désapprouvé la révolte d’El Mokrani ou de qualifier Messali Hadj de traître, laissons aux historiens le soin d’en débattre sereinement au lieu de politiser l’Histoire. 
H. Z.
(1) Selon René Galissot, il a fallu attendre 50 ans et plus, pour voir les villes algériennes, restées « fantômes du passé citadin arabe et turc », se repeupler.

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