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Rubrique Ce monde qui bouge

Hirak, les mots et leur sens

Sommes-nous au XXe siècle ? Le fait de voir l’universitaire Saïd Djabelkhir traîné devant la justice par des adeptes de l’inquisition est sidérant. Cette affaire, sans précédent depuis 1962, n’a pas provoqué beaucoup de réactions. Lors du 111e Hirak, ceux qui se sont solidarisés avec Djabelkhir n’étaient, à vrai dire, pas très nombreux. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la suppression de la liberté de conscience dans la Constitution révisée de 2020 risque d’être un appel d’air pour tous les censeurs d’un autre âge pour qui le religieux doit primer sur le politique et le reste. 
Bref, en cette veille du 112e Hirak qui aura lieu à quelques jours du début du mois de Ramadhan, ce sont ces slogans clivants scandés chaque vendredi et le mouvement Rachad qui font l’actualité. Mourad Dhina, l’un de ses responsables, a cru utile de s’adresser directement à ces franges démocrates du Hirak qui doutent sur ses intentions. Sans tout à fait se dévoiler, il a voulu rassurer en expliquant que son mouvement ne pèse pas et qu’il n’est qu’« une goutte d’eau dans l’océan du Hirak » ! 
D’abord c’est faux. Parce que Rachad a atteint ses objectifs. Il fait parler de lui. Ses thèmes sont présents. Et parmi ceux-ci, il en est un qui domine les vendredis du Hirak — « État civil et non militaire » — sans compter cette merveille de révisionnisme martelée par Larbi Zitout, via le slogan « Services de renseignement-terroristes», consistant à imputer la violence des années 90 à l’institution militaire. Et à blanchir par la même occasion le FIDA, l’AIS, le GIA dont les massacres de civils et enlèvement de femmes, pourtant revendiqués, sont mis au compte d’une manipulation par les services. Et dans ce savant amalgame révisionniste, Larbi Zitout et Mourad Dhina excellent, l’un dans une posture de pourfendeur des services, le second dans une posture rassurante et victimaire, aidés en cela par cette culture de l’oubli consacrée par la loi sur la Concorde civile et la réconciliation nationale… 
Reste que ce sont ces slogans, apparus depuis le 22 février 2021, et dont le Hirak aurait pu se passer, qui ont provoqué et ravivé les fractures et les clivages des années 90 et rien d’autre. Ce sont ces slogans qui ont créé un malaise dans les rangs du Hirak et qui sont à l’origine du décrochage de tout ou partie des élites et des couches moyennes du mouvement populaire.  
Quant au slogan phare « État civil et non militaire » qui domine les marches du Hirak, il n’a rien à voir avec le principe — « primauté du politique sur le militaire » — énoncé par la Charte de la Soummam ni avec le slogan « Algérie libre et démocratique ». 
Plus encore, du moment que certains acteurs du courant démocrate du Hirak ont eux-mêmes renoncé à des principes telles la liberté de conscience et l’égalité citoyenne entre femmes et hommes qui implique l’abolition du code de la famille, cela ne peut qu’aller dans le sens souhaité par M. Dhina et ses amis. 
Mourad Dhina toujours, affirme qu’il est « contre l’État théocratique ». Reste qu’État théocratique et État islamique qu’il n’évoque jamais ne recouvrent pas la même chose. En politique, le choix des mots est important. 
Rachad dit qu’il est pour un État de droit. Dès lors pourquoi hésite-t-il à adhérer sans ambiguïté à une Charte qui stipulerait noir sur blanc l’établissement d’un État de droit garant des libertés individuelles et collectives, dont la liberté de conscience et l’égalité de statut entre femmes et hommes(1) et comportant des garde-fous institutionnels empêchant toute confiscation du pouvoir par un parti pour mettre fin à la démocratie et aux libertés ? 
Enfin, ce n’est pas la place de Rachad qu’il faut préserver au sein du mouvement populaire, il n’en a nul besoin. Mais celle de l’esprit du Hirak du printemps 2019, à savoir ce besoin de changement, de libertés, de démocratie, cet esprit de fête qui a vu cette jeune femme exécuter un pas de danse un 22 février 2019 – le pourrait-elle aujourd’hui ? – ou ces femmes et ces hommes danser sur un air de Bella Ciao au cœur d’Alger et d’Oran, avant que des esprits chagrins ne les en dissuadent au prétexte qu’il ne faut pas heurter la sensibilité du peuple ! 
Bon Ramadhan et à jeudi. 
H. Z. 

(1) Ces deux principes ne figurent pas dans la charte de Rachad. 

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