Quelque part sur l’autoroute. Peut-être que c’était entre un panneau
indiquant Baraki et une bonne femme syrienne faisant la manche sur
l’asphalte parce que les «frères algériens » ne lui ont proposé que ça
comme solidarité. Digression terminée, pour ne pas mettre le pied dans
une autre histoire. Sur l’autoroute Est-Ouest, comme s’il y en avait une
autre, entre la voie de droite et celle du milieu, se tenait un jeune
homme. Il a trente ou quarante ans ? On ne sait plus, son visage était
voilé par une barbe sans identité qui ruisselait trop sous le soleil
pour indiquer un âge. Sérieusement, le bonhomme tenait un «fardeau»
entre les jambes et droit dans les sandales, il proposait des bouteilles
d’eau minérale aux automobilistes. Certains d’entre eux, apparemment
trop sensibles pour les lieux et pour la situation, écarquillaient les
yeux en sortant carrément la tête hors de la vitre. Pourtant, s’il y a
des gens étonnés qu’on… soit étonné par le… spectacle, ils ne manqueront
pas d’arguments. C’est que sur cette autoroute Est- Ouest qu’on appelle
ainsi pour qu’elle ne soit pas confondue avec les nombreuses autres qui
sillonnent notre vaste et beau pays, on aura tout vu et peut-être un peu
plus. Reste-t-il alors de la place pour quelque surprise ? C’est
possible. Un jeune homme, pas si jeune que ça, qui s’installe sur une
ligne blanche séparant deux voies de circulation rapide pour vendre de
la flotte par un temps de canicule de retour, ce n’est pas banal, il
faut en convenir. C’est que les bouteilles n’étaient même pas fraîches
mais ce n’est pas le plus drôle. A vrai dire, il n’y avait rien de drôle
du tout, en l’occurrence. Plutôt périlleux, puisque le vendeur d’eau
extraterrestre se retrouvait chaque fois pris en… sandwich entre deux
véhicules dont les conducteurs devaient penser à tout au moment où ils
arrivaient sur lui, sauf à acheter de l’eau ! On aurait pu penser que le
vendeur d’eau, comme des milliers d’autres de sa condition qui vivent de
bric et de broc a trouvé le petit «business » d’où tirer sa baguette
quotidienne. Il fait chaud et sur l’autoroute, il n’est pas toujours
évident de trouver de l’eau dans des conditions normales, humaines, pour
le voyageur. Le vendeur d’eau, on craignait plutôt pour sa vie à
l’instant où on l’aperçoit sur l’asphalte entre un bolide et un
mastodonte. L’histoire a fini par révéler son mystère, il est venu
proposer ses bouteilles aux retraités de l’armée poussés à bloquer
l’autoroute parce qu’ils ne pouvaient pas exprimer leur colère dans des
conditions… normales, humaines. Quand les gendarmes avaient «dégagé les
insurgés», la circulation s’est fluidifiée et il ne restait que des
automobilistes dans leurs automobiles. Pressés d’arriver après avoir
trimé des heures durant, ils écrasaient leurs pédales. Seul
l’extraterrestre avec son fardeau entre les jambes pouvait ralentir leur
cadence.
S. L.
S. L.