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Rubrique Constances

Délire pour vie normale

Sur le ton de quelqu’un à qui on ne la fait pas facilement, un quinquagénaire comme on en a fait depuis toujours et sous toutes les latitudes nous racontait la dernière fois comment sa vie… n’a pas changé d’un pouce depuis que s’est installé la… fièvre du coronavirus. Dans le mot « fièvre », ne voyez aucun jeu de mots mais vous pouvez imaginer une équivoque. La fièvre comme manifestation d’une température maladive, la fièvre qui fait les dynamiques et les enthousiasmes de la vie ou la fièvre comme symptôme du Covid-19 ? On ne sait pas, de toute façon, c’est juste un effet style déjà pas très fin à son « lancement » et qui ne pouvait logiquement pas le devenir maintenant qu’il est usé jusqu’à la corde. Mais notre « quinqua » n’a jamais eu à s’encombrer de mots savants. D’abord parce qu’il n’en a pas les moyens, puisqu’il a même oublié qu’il a été à l’école, tellement sa scolarité a été sommaire. Il aurait pu l’illustrer par la formule « les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures » mais pour les mêmes raisons, il ne la connaît pas. De toute façon, il n’en a pas besoin pour séduire, même s’il est rare qu’on le prenne au sérieux. Notre quinqua a « son public » qui l’écoute tel qu’il est. Avec ses mots, ses images, sa gestuelle, quelques vérités que tout le monde n’ose pas en public et une poignée de mensonges monumentaux que tout le monde lui passe par respect à son statut de bout-en-train aussi fantasque qu’attachant. Alors, quand on lui a dit qu’on va bientôt retourner à la vie normale, il éclate d’un rire bruyant, du genre à vous faire passer tout le monde pour des cons. Et lui, le perspicace qui a tout compris vous le dira : pour retrouver quelque chose, il faut l’avoir perdue. Et, bien sûr, pour la perdre, il faut d’abord l’avoir. Il ne le dit pas vraiment ainsi mais on ne peut pas le traduire autrement. Est-ce que la vie normale, c’est la belle vie ? Personne ne lui a posé la question mais il va quand même finir par répondre. Parce que lui, il ne répond jamais aux autres, il parle. Ou il fait les questions et les réponses ou alors il fait les réponses sans se poser de questions. Alors, il y est allé de bon cœur : « Je ne sais pas quand ça a commencé, le coronavirus, le confinement, le couvre-feu, l’assouplissement, la spéciale-Ramadhan, la très spéciale-Aïd, les masques, le mesures-barrières, la distanciation physique et/ou sociale… Bien sûr, il y a toujours une dose de mauvaise foi dans le propos mais personne ne le lui dit. Alors, il continue, de toute façon, il aurait continué même si quelqu’un lui en avait fait la remarque : « Moi je me lève comme d’habitude à sept heures, je vais vendre mes légumes au marché et je reviens regarder la télé et dormir. Je me repose le dimanche pour aller à la pêche et personne n’a fermé la mer. La vie normale, je pense que c’est la belle vie. Prendre des vacances, aller au restaurant, aller au cinéma, voyager, faire du sport, s’offrir de beaux habits et faire des cadeaux à ceux qu’on aime… » Et notre quinqua repart dans son rire strident et interminable.
S. L.

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