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Rubrique Constances

Indigènes !

Au moment où les Algériens investissent la rue pour dire au système que  seule sa fin est digne d’intérêt et susceptible de faire leur bonheur, le pouvoir leur rappelle l’idée qu’il se fait toujours d’eux : un peuple sans dignité, capable de taire ses frustrations et contenir ses colères pour un plat de lentilles. On ne guérit pas de ses certitudes, surtout quand on se les a fabriquées tout seul. D’avoir tout pris, tout distribué aux copains et aux coquins jusqu’à dilapider même les restes parce qu’il n’a pas d’idées pour en faire quelque chose, le système est resté sur ses «victoires». En l’occurrence, il a le mérite de la clarté. Il ne va pas se mettre à fonctionner avec un autre logiciel alors qu’il n’a aucune intention de se mettre à jour, même pas dans quelque attitude de pure forme qui puisse faire illusion. C’est pourtant le mépris des Algériens, plus que tout, qui a déclenché l’avalanche. 
En tout cas beaucoup plus que leurs certitudes, qui ont culminé sur l’infamante formule du «tube digestif». 
Ils ont fini par ne même pas respecter «ça», poussant l’arrogance jusqu’au bout, sans vergogne, sans limite. Il est vrai qu’ils promettent la viande et la banane pour tous, il est vrai que celui qui a dit aux Algériens qu’ils ne sont pas obligés de manger du yaourt est au seuil du pénitencier. Aussi vrai que les mairies sont en train de délivrer des attestations de pauvreté quarante ans après la suppression du… certificat d’indigène. Ça fait des années qu’ils sont interpellés sur l’affront, sur l’humiliation qu’ils infligent aux plus faibles à l’orée de chaque Ramadhan après les avoir laissés sur le carreau le reste de l’année. C’est qu’ils ont la «conviction» ferme et tenace : non seulement le peuple est un tube digestif mais il aime l’avilissement. On le traîne dans la boue jusqu’à ce qu’il oublie qu’on… détourne même «son» couffin du Ramadhan. Ils ont «bouffé le pays», on ne va pas faire attention aux bidons d’huile que la rapine en haut lieu cède aux derniers couteaux. Chacun se sert là où il peut, n’est-ce pas ? Et on se fait un malin plaisir à voir les pauvres, qui ne sont pauvres que parce qu’ils sont roublards et vicieux, joncher les parvis municipaux pour se déchirer autour de la pitance du «mois». Comment font-ils le reste de l’année ? Il ne manquerait plus que ça : se soucier tout le temps du quotidien des bouffeurs de yaourt. Ils veulent maintenant qu’on parte ? Alors on les attend pour le Ramadhan. Le tube digestif double de contenance et la rue est peuplée de faux pauvres qui vont se jeter sur le steak et la banane venus des lointaines Amériques. C’est au seuil de leur jeûne compulsif que s’arrêtera leur colère. Alors, on enfoncera le clou. En les rappelant à leur indigence, à leur… indigénat. Les parvis de mairies vont remplacer toutes les places Audin assiégées du pays et le baluchon viendra à bout de l’emblème national chevillé au corps. Il n’y aura pas de slogan, seul comptera l’arrivée devant le «distributeur» qu’il ne faut surtout pas énerver. Il faut adopter un profil bas face au distributeur après avoir pleurniché devant l’agent délivreur du certificat de pauvreté. Ils ont tout faux tout le temps les bouffeurs du pays qui accablent les mangeurs de yaourt. Ceux qui goûtent déjà la soupe en prison, ceux qui ne sont plus très loin et ceux qui vont finir par arriver. Avant-hier, nous étions mardi et demain, nous serons vendredi.
S. L.

 

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