Il y a deux jours, un « khabir », qui squatte les plateaux TV depuis des
mois, s’inquiétait au micro d’un démembrement « privé » de l’ENTV : «
Vous vous imaginez ce qui peut se passer quand, dans deux semaines, 1,8
million d’étudiants vont retrouver les bancs de l’université ? ». On
aura compris, ce ne sont pas tant les étudiants qui rentrent de vacances
pour reprendre leurs cours qui font peur à notre spécialiste en rien du
tout. Et pour cause, les étudiants, qui l’empêchent manifestement de
dormir, ce sont de potentiels manifestants qui, en plus de grossir
considérablement le volume de la contestation, le font deux fois par
semaine. Au-delà de leur nombre qui donne visiblement des cauchemars à
tous ceux qui n’arrêtent pas de nous « expliquer » que le mouvement
s’essouffle, ses troupes deviennent clairsemées et ses rangs infiltrés
au point que ses mots d’ordre dérapent, les étudiants sont redoutés pour
ce qu’ils mettent comme détermination et apportent comme lucidité, comme
capacités d’organisation ou parfois comme inspirations de génie.
S’agissant du nombre, tout le monde sait ou doit savoir que depuis qu’on
a vu des millions d’Algériens investir les rues aux quatre coins du
pays, il est devenu dérisoire de l’évaluer. A partir d’un certain seuil
de « participation », il n’est plus besoin de compter. Seule, la… police
a peut-être compris, à son corps défendant : elle n’a jamais donné ses
chiffres, comme il est de tradition dans le monde ! Sinon, il y a eu
certainement des vendredis et des mardis plus épais que d’autres. Ce
n’est pas parce que la chaleur a empêché des Algériens malades ou
avancés dans l’âge de battre le pavé une fois par semaine que le
mouvement s’est « essoufflé » et ses rangs sont de plus en plus «
clairsemés ». Et personne n’a jamais dit que les blocages d’autoroute,
les « barrages filtrants », les camions à eau, les bombes lacrymogènes,
la matraque et les arrestations n’ont dissuadé personne de continuer à
marcher, c’est… physiquement irrationnel. Mais la vérité, rassurante ou
cauchemardesque selon la posture de chacun, est qu’en dépit de « tout ça
», le mouvement est toujours aussi imposant, aussi déterminé, aussi
tenace et aussi lucide. Bien sûr qu’il y a des étudiants qui ont pris
des vacances ou « fait un break », comme on dit dans le langage des
branchés, et ils méritent leur « repos de guerriers ». Mais ce n’est pas
leur « retour » qui inquiète notre « expert » en mission de prospective.
C’est plutôt le fait que leur absence momentanée n’ait rien changé à la
donne. La « permanence », si on consent à user de ce terme pas vraiment
adapté à la situation, a été grandiose et souvent elle était du même
niveau que tous les vendredis et tous les mardis d’avant. Et si la
rentrée est tant redoutée, ce n’est pas pour les raisons qu’on veut bien
nous fournir. C’est que pendant l’été, il s’est passé des choses et à la
« rentrée », il s’en passera d’autres en conséquence. Que cela se fasse
avec plus de monde, c’est tant mieux, mais ce n’est pas le plus
déterminant.
S. L.
S. L.