Tebboune, les jeunes et la main tendue

Cela s’est passé hier au journal télévisé de 13 heures de l’ENTV. Le discours prononcé par le nouveau chef de l’Etat, après la proclamation des résultats, venait d’être rediffusé. Dans la sélection d’images et de propos, il a été prioritairement question de «jeunes» et de «Hirak». On ne peut pas savoir si l’arrière-pensée de M. Abdelmadjid Tebboune est d’en parler comme s’il s’adressait à deux entités différentes mais se poser la question a posteriori ne relève pas forcément d’un procès d’intention. Aux «jeunes», Tebboune a déclaré qu’il «prendra toujours parti pour eux». Il leur a aussi promis beaucoup de choses, dont l’accès à des… postes de ministres et d’autres responsabilités. Au Hirak, il «tend la main» et promet un «dialogue global et sérieux» qui sera l’esquisse d’une «nouvelle République», qui est au cœur de leur colère et de leurs revendications. Dans la foulée, Abdelmadjid Tebboune avait aussi parlé de la liberté de la presse où il avait dit qu’il était prêt à aller au-delà de tout ce qu’on pourrait imaginer. Et quand l’ENTV a enchaîné, comme pour donner un prolongement de terrain au propos du chef de l’Etat, on pouvait logiquement attendre que la main tendue au Hirak succède aux promesses faites aux jeunes dans le « reportage » qui suivait. La séparation des deux pouvait ne pas être compréhensible mais bon… L’ENTV est donc allée dans «l’Algérie profonde» à la rencontre des jeunes et leur tendre le micro. Ils voulaient tous du travail, plus de structures sociales, plus d’infrastructures sportives, des trains, des hôpitaux… tout ce qui peut améliorer leur niveau de vie et contribuer à leur épanouissement. Normal. L’aspiration à une vie meilleure est toujours naturelle, y compris dans les pays où les choses ne se passent pas si mal. On imagine alors ce qui peut en être à Messaâd ou Aïn-el-Kebira. Problème, aucun des jeunes interrogés n’a lié ses rêves de promotion à un projet politique, celui exprimé par des millions de… jeunes Algériens depuis bientôt une année. On a donc été chercher et trouver des jeunes qui ne savent pas ce qui se passe dans leur pays, ce qui n’est vraiment pas mal comme performance professionnelle. L’idée est aussi vieille que les colères populaires en Algérie. Les problèmes sociaux sont une réalité et la volonté politique de les prendre en charge, même formulée dans la velléité par le pouvoir, ne peut pas être contestée sans le risque infamant d’être désigné comme un privilégié en marge des préoccupations des plus faibles. Trop tôt chez les relais publics pour donner un prolongement aux intentions de M. Tebboune au-delà des questions socioéconomiques ? Peut-être, car il faudra quand même attendre qu’il les formule avec plus de précision et dans des termes qui leur donnent une chance d’aboutir. Ayant accédé au pouvoir dans les conditions que tout le monde connaît, il lui est déjà difficile de convaincre de la sincérité de sa «main tendue». Même en y mettant tout le volontarisme du monde, la ligne de fracture est telle qu’il faudra au Hirak faire preuve d’une sacrée disponibilité au compromis pour envisager des solutions du genre. De part et d’autre, rien n’indique cette direction pour le moment.
S. L.