Un mouton en taxi

Il était trop jeune pour un retraité et un peu trop enflammé pour un ancien gendarme mais on n’y peut rien contre certaines discussions. Il faut toujours faire son «évaluation» des… dégâts dans l’une ou l’autre des deux options possibles : ou vous encaissez sans broncher en avalant toutes les énormités qu’on vous sert en guise d’occupation, jusqu’à votre débarquement du véhicule comme si on venait de vous sauver la vie. Ou alors répliquer et, dans ce cas, vous pouvez vous attendre à tout. Souvent au pire mais les miracles existent. Les chauffeurs de taxi ont cette (souvent désagréable) manie de se croire obligés de vous faire la discussion, en attendant de vous faire les poches. Déjà que ce n’est pas donné pour ceux qui «consentent» à vous prendre au compteur, vous imaginez ce que vous allez débourser quand ils vous imposent la «course». Vous imaginez bien aussi qu’à partir de ou vers certains quartiers, le compteur, il ne faut pas y compter. Il faut carrément l’oublier, mon frère, il a été installé juste parce que c’est une obligation… légale. Oh, la légalité ! Est-ce que les taxis sont dans la légalité quand ils oublient le compteur pour vous saigner au forfait ? Non, ils sont dans l’illégalité la plus totale mais c’est « comme ça ». Comment ça, c’est comme ça ? Notre chauffeur de taxi d’hier a donc commencé par nous dire que la bavette ne servait à rien. On s’en doutait un peu mais on a appris à ne pas entendre mieux. Et puis on ne perd jamais rien à attendre. Une fois expédiée la courte introduction du masque, il «avertit» : je suis un officier de la gendarmerie à la retraite. La bavette ne protège pas du coronavirus mais la fonction de gendarme prémunit contre la bêtise, dans sa tête et sur ses lèvres, ça sonne comme une évidence. Et tout de suite après, il faut entamer l’autre… évidence : le mouton. Ce n’est pas une obligation religieuse mais juste un rituel auquel tout le monde n’est pas tenu ? Il y a d’autres manières de célébrer l’Aïd qu’égorger une bête au moment où les enfants commencent à s’y attacher ? Les points de vente et d’achat peuvent être dangereux parce qu’ils constituent de potentiels espaces de transmission du virus ? Le pays devrait avoir d’autres occupations en ce moment que la chair d’ovin ? Il fait trop chaud, ce qui augmente les risques de propagation d’autres maladies à un moment où une seule suffit déjà à notre malheur ? Non, dans le répertoire à questionnements de notre taxi, il n’y a rien de tout ça. C’est juste que le mouton est trop cher et il va «falloir» se saigner ! Pourquoi il va falloir ? C’est comme ça. Au revoir, sergent, je n’ai pas besoin de vous demander combien je vous dois. Quand c’est une course, c’est convenu d’avance. Enfin, convenu… !
S. L.