S’il est encore de ce monde, Mohamed Brahimi doit couler une retraite
tranquille et discrète du côté de Hassi Messaoud où il a fait
l’essentiel de son parcours professionnel, à moins que l’appel du
bercail ne l’ait rappelé à El Goléa, sa belle et magique oasis natale.
Mohamed Brahimi, qui a commencé à bosser dans le pétrole dès les
premières découvertes, a débuté comme simple ouvrier, avant d’apprendre
à dompter le feu sur le tas. Il s’est ensuite formé au plus haut niveau
jusqu’à devenir le plus illustre spécialiste de la sécurité aux puits
dont il a été le premier responsable pendant des années. Quasiment
légendaire, il a évité à la région pétrolière plusieurs catastrophes en
allant sauver des puits en feu grâce à son savoir-faire, son courage et
sa disponibilité professionnelle sans faille. Mohamed Brahimi aurait pu
céder à l’appel des sirènes, il a eu la reconnaissance des plus grands
du monde dans sa spécialité et naturellement, il n’a pas manqué de
propositions alléchantes, à la fois en termes de promotion sociale, de
perfectionnement technique et de notoriété. Mais il est resté, avec tout
ce que cela suppose. L’injuste anonymat compris. Pourquoi on vous parle
de Mohamed Brahimi aujourd’hui ? Un hasard et une envie subite de coup
de cœur pour un compatriote humble et méritant. Mais pas que. Un ami a
récemment eu la belle inspiration de rappeler cet homme à notre bon
souvenir sur la Toile. Du coup, on s’est également rappelé à quel point
nous nous sommes faits orphelins de nos héros et de nos lumières. Nous
nous sommes d’abord rappelé nos héros de la libération. D’avoir fait de
certains d’entre eux des dieux, le discours officiel leur a ôté, dans
l’emphase, l’approximation et parfois la mauvaise foi, cette part
d’humanité et de droit à l’erreur qui font aussi les grands destins.
D’en avoir occulté d’autres, il a insidieusement introduit le doute sur
l’engagement des premiers. D’avoir falsifié des parcours pour de petits
desseins, il a dressé les uns contre les autres, pour que nous nous
retrouvions incapables de repères communs. Nous voilà donc orphelins de
héros. Parce qu’on nous en a trop fabriqués, parce qu’on en a trop
oubliés, parce qu’on en a trop édulcorés. On ne sait rien de nos héros
qui ont combattu les hordes terroristes et les combattent toujours. Les
soldats vaillants, les policiers braves, les enseignantes qui ont refusé
d’abandonner leurs élèves, les restaurateurs qui ont défié l’horreur en
refusant de fermer boutique, les pharmaciens qui n’ont pas livré de
médicaments à l’armée des ténèbres, les paysans chevillés au corps de
leurs champs… Nous voilà orphelins des Algériens éclairés, des Algériens
bâtisseurs, des Algériens utiles. Pays sans héros, sans exemples, sans
visages emblématiques, nous refoulons nos coups de cœur comme nous
taisons nos douleurs. Survient de temps à autre quelque fulgurance pour
nous le rappeler. Mais demain, nous recommencerons.
S. L.
S. L.