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Rubrique Contre poings

Khaled Barkat : «Barakat»

Je n’oublierai jamais ce sourire éternellement scotché à ses lèvres. Ces yeux toujours éveillés et rieurs. Ces cheveux à peine parsemés sur un crâne bien fait. Khaled, c’est juste une tête. Un homme, un Algérien qui rassure. Un artiste qui assure. Le jeu de mots est facile : Khaled Barkat : barakat. Il signifie ce qu’il signifie. La terre, les rivières, la mer… Tous ces territoires perdus par l’Algérie nouvelle. A-t-on fini avec l’ancienne ? 
Khaled Barkat, quel âge as-tu ? Franc, il répond : « Je ne sais pas. Je n’ai jamais compté. » Le calcul lui fait peur. Il a 63 ans. La mort ou la vraie vie ne sont pas très loin… Son sort le fait rire. Fils d’une grande famille de moudjahidine, fils de chahid, lui-même cadet de la révolution, formé à l’Académie de Tlemcen, il rit de son devenir. De notre avenir. « L’âge, je n’ai jamais compris. Ça fait peur. Gamin, je voulais grandir pour atteindre le comptoir sur lequel mon père posait le verre qu’il partageait avec ses copains .» 
Khaled est né à El-Harrach. Pas tout à fait. Avec des parents recherchés par l’armée coloniale, sa mère a été obligée d’aller l’éjecter quelques kilomètres plus loin. À Dirah. Barkat a grandi sur les rives de l’oued El Harrach. Aux côtés de Dilem. La bibliothèque de Belfort porte le nom des frères Barkat. Une famille de martyrs. «Lorsque les Français ont quitté l’Algérie, ils ont donné une grande maison meublée à ma grand-mère. Il y avait là un piano. J’y ai mis le doigt. Je mimais les chants patriotiques .» 1966, je rentre à l’Académie des cadets de la révolution de Tlemcen. Khaled raconte : «Je n’ai pas connu mon père. On m’a séparé de ma mère et on m’a mis des rangers aux pieds.» Il poursuit : «  C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour devenir militaire .» 
Lorsque Khaled a décidé de quitter l’armée, on lui a proposé un deal : rembourser douze millions de centimes ou quatre ans de service national. Khaled a fini par être libéré, dispensé, au titre d’enfant de chahid. Barkat est revenu aujourd’hui à sa cour de récréation. Malgré le Covid, la solitude et une grosse opération au dos, il remonte en scène. Khaled Barkat a fait une école et un diplôme de géodésie. Juste après ces études d’ingénierie, il a rejoint l’École normale supérieure section musique. Il fonde alors le groupe de rock Beavers à Meissonier. 
À l’armée, il apprend à jouer de l’accordéon, de la guitare, la percussion et ... du rugby. Au milieu des années 80, Khaled sort un album phare Zourini, tariq hayati. Khaled a cette réflexion fulgurante : « Quand on veut faire de l’art, il faut être spontané. Il ne faut pas réfléchir. Il ne faut surtout pas être intelligent .» Khaled vit dans la foule. C’est un être social, introspectif. Il dit lui-même qu’il n’est pas Fellag, qu’il n’est pas une star. Le public algérien l’a découvert dans le film La citadelle de Mohamed Chouikh. «J’avais pris trop de risques à l’époque. J’étais militaire et je ne pouvais pas supporter cette situation. Je ne peux supporter les grades et les bureaux. Je ne suis pas docile.» 
Khaled, parlant de l’Algérie d’aujourd’hui, dit : « Je pense comme toi. Je ne sais pas si nous pouvons apporter des réponses. Dans les années 90, en pleine période noire, j’étais marié avec Maridès, une Espagnole. J’étais chanteur, comédien, elle était artiste. Nous étions ciblés. Nous avons été obligés de quitter l’Algérie. Nous avons été rapatriés en Espagne. Nous avons vécu à la frontière de l’amour et de la mort. J’ai pensé qu’en France, je pouvais retrouver mon équilibre. J’y ai vécu tout le temps à la limite du suicide. Si j’étais resté là-bas, ça aurait mal tourné. En rentrant en Algérie, j’ai sauvé ma peau et j’ai retrouvé l’apaisement. J’ai rebondi. J’ai créé un studio d’enregistrement, j’ai retrouvé le cinéma, la comédie, la réalisation. Après mon film Titi, je suis en train d’installer au village de Ouadas dans la wilaya de Béjaïa, les décors qui reconstituent le bagne de Cayenne. Nos ancêtres bagnards étaient des hirakistes.» Le Hirak d’aujourd’hui permet, d’après Khaled, d’affirmer que nous sommes conscients, que nous sommes un peuple vivant. Barkat dit aussi qu’il y a eu, tout de même, des résultats. La planète sait, aujourd’hui, que nous avons des femmes chez nous. Nous ne sommes pas des sauvages. 
Le monde sait que nous ne demandons que du pain. Le pain aussi le sait, désormais. 
M. O.

 

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