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Algérie, la moitié de la population à la merci de l’autre

Par Razika Adnani(*)
L’Assemblée nationale est l’une des Chambres du Parlement dont le rôle est la représentation du peuple détenteur du pouvoir législatif. Parce qu’un peuple est constitué d’une moitié d’hommes et de l’autre moitié de femmes, pour qu’une Assemblée nationale représente le peuple il faudrait qu’elle soit constituée d’autant de femmes que d’hommes. Or, en Algérie, non seulement cela n’a jamais été le cas mais un net recul est constaté dans la représentativité des femmes au sein de la nouvelle Assemblée nationale élue le 12 juin 2021 où seules 34 femmes siègent sur 407 députés. Les femmes occupaient 118 sièges dans la législature précédente. De ce fait, l’Assemblée nationale algérienne ne représentant pas le peuple algérien mais seulement la moitié du peuple algérien, les hommes, n’est pas en accord avec elle-même.

Une Assemblée anticonstitutionnelle ?
L’article 16 de la Constitution algérienne affirme que « l’Assemblée élue constitue le cadre dans lequel s'exprime la volonté du peuple ». Or, cette nouvelle Assemblée nationale est le cadre dans lequel s’exprimera uniquement la volonté de la moitié du peuple, celle des hommes, étant donné que les lois sont votées selon la majorité et que la voix des 34 femmes sera donc insignifiante devant les 373 voix masculines.
Quant à l’article 19, il stipule que « l'Assemblée élue constitue (…) le lieu de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques ». Or, dans cette situation, seuls les hommes participeront à la gestion des affaires publiques. Cela revient à dire que la moitié de la population, les hommes, décidera pour les droits et l’avenir de tout le peuple et notamment de l'autre moitié, les femmes. Ainsi, l’Assemblée nationale non seulement n’est pas en accord avec elle-même, elle est également incohérente avec la Constitution.
Le problème se complique davantage lorsqu’on sait que l’Algérie est une société très marquée par la domination masculine. Il suffit d’aborder les inégalités juridiques et sociales dont sont victimes les femmes pour provoquer la réaction des hommes considérant que tout droit accordé aux femmes est un privilège dont on les prive. Dans toutes les sociétés, la lutte des femmes pour leurs droits d’être humain et de citoyen, c’est contre la domination masculine qu’elles l’ont menée. C’est l’homme qui refuse que la femme soit un être humain complet, ou un être humain au même niveau que lui, et une citoyenne à part entière. Ainsi, à l’Assemblée nationale algérienne où les lois sont votées, l’adversaire des femmes dans leur lutte pour leurs droits sera en même temps l’arbitre comme il l’a toujours été depuis l’indépendance. Voilà pourquoi cette Assemblée sera davantage un lieu où s’exprimera la volonté des hommes à consolider leur domination sur les femmes qu’un lieu où les femmes pourront accéder à leurs droits reconnus pourtant par la Constitution.
En effet, la Constitution affirme que la République assure « l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens et citoyennes » (article 35) et que ne prévaut « aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe » (article 37). Or, d’une part, les discriminations existent même dans la représentativité des hommes et des femmes au sein de l’Assemblée nationale ainsi qu’au Sénat, où 9 femmes siègent sur 123 hommes, et au gouvernement qui compte uniquement 5 femmes sur 34 ministres. Et d’autre part, les femmes ne peuvent pas exercer leur droit de décider pour leur avenir et celui de leur pays au même titre que les hommes.
Cette très timide présence des femmes au niveau des institutions de l’État et du pouvoir leur impose le silence, alors que pour des raisons culturelles elles s’expriment déjà très peu. Dans de telles conditions, le devoir de l’État est de veiller à réaliser les conditions qui permettent une représentativité des femmes au sein des institutions de l’État autant que des hommes.

Les risques
Le combat des femmes algériennes depuis 1984 concerne en premier lieu l’abolition du code de la famille qui les considère comme des êtres inférieurs et les hommes comme des êtres supérieurs, ce qui va à l’encontre du principe de l’égalité sur lequel se fonde la justice sociale. Toutes les femmes algériennes sont confrontées à cette injustice dès lors qu’elles se retrouvent devant la loi et finissent par se rendre compte que celle-ci est faite par les hommes et pour les hommes. Avec une Assemblée nationale qui ne compte que 34 femmes sur 373 hommes et dans une société marquée par le conservatisme et le retour du religieux, non seulement les femmes ne réussiront jamais à en finir avec ce code injuste, mais elles risquent de perdre le très peu de droits qu’elles ont pu difficilement obtenir. D’aucuns diront que certaines femmes sont elles aussi très conservatrices et consolident la domination masculine. Certes, cependant dans une Assemblée où la moitié des députés sont des femmes, la probabilité de changer la loi est importante alors qu’elle est quasi inexistante quand les députés sont presque tous des hommes et, de surcroît, dans leur majorité, des conservateurs.
Cependant que la moitié des représentants du peuple doivent logiquement être des femmes n’est pas lié aux discriminations que leur fait subir le code de la famille. C’est seulement ainsi que l’Assemblée nationale doit être , autrement dit, qu’elle représentera le peuple dont la moitié sont des femmes. L’Algérie appartient aussi bien aux femmes qu’aux hommes et les femmes ont le droit de participer à la gestion du pays. Un pays qui est administré uniquement par des hommes, où la voix des femmes n’est pas importante ou écoutée, se prive de l’autre moitié de sa population et de ce qu’elle peut apporter comme vision et solutions.
Mais cette nouvelle Assemblée nationale pose inévitablement la question des discriminations à l’égard des femmes qui sont le premier problème social, moral et politique dont souffrent les femmes en Algérie, comme dans les autres pays à majorité musulmane.
Les femmes vivent l’injustice que la société leur inflige avec douleur, ce qui se répercute sur leur santé physique et morale et ce recul dans la représentativité des femmes au niveau de l’Assemblée nationale n’est pas un bon signe pour elles. Ce recul n’est pas non plus un bon signe pour les hommes, car dans une société où les femmes ne sont pas épanouies, les hommes ne peuvent pas l’être non plus. Ce n’est pas un bon signe non plus pour les enfants ; beaucoup de femmes déversent leur colère et leur souffrance sur leurs enfants.

L’abrogation du code de la famille par décret présidentiel
Toutes ces conditions font que le code de la famille doit être abrogé par décret présidentiel. C’est au président de la République de rendre à la femme algérienne sa dignité humaine et son statut de citoyenne à part entière et surtout de sortir l’Algérie de sa médiocrité, de ses contradictions, de son blocage et de sa détresse. D’autant plus que ce code n’est pas en accord avec la Constitution.

Charia ou domination masculine
Cependant, pour le législateur algérien, le code de la famille ne peut pas être aboli car il est issu de la Charia et que celle-ci exige d’être appliquée. Un argument qui est rétrograde et inexact en même temps. Il est rétrograde, car les lois de la Charia remontent aux premiers siècles de l’islam et on ne soumet pas la famille algérienne du XXIe siècle aux lois qui ont administré une société qui a existé il y a des siècles. Il est inexact, car le droit algérien ne fait pas référence à l’esclavage alors qu’il est codifié dans 25 versets coraniques. Tous les pays à majorité musulmane ont, entre le XIXe et le XXe siècle, déclaré caduque et abrogée cette pratique déshumanisante pour ceux qui en sont victimes ainsi que pour leurs bourreaux.
Le droit algérien ne fait pas référence non plus aux châtiments corporels, tel celui de la main coupée pourtant inscrit dans le verset 38 de la sourate 5, La Table. La question n’est donc pas celle de la Charia, mais plutôt de la domination masculine, sinon comment expliquer que toutes les recommandations de ces versets avaient été abrogées ?

D’autres règles coraniques sont également négligées par les musulmans
Ce ne sont pas les seules règles coraniques que les musulmans ont négligées. Le verset 173 de la sourate 2, La Vache, permet la consommation du porc en cas de nécessité alors qu’aucun musulman ne l’envisage, même en cas de grande famine. Les religieux interdisent également la consommation du vin alors qu’elle est autorisée dans le verset 67 de la sourate 16, les Abeilles : « Des fruits des palmiers et des vignes vous retirez une boisson enivrante et un aliment excellent il y a vraiment là un signe pour des gens qui raisonnent .» La consommation du vin est également autorisée dans le verset 43 de la sourate, Les Femmes : « Ô croyant ne prie pas en état d'ivresse » qui est pourtant médinois. Et en Algérie, on peut facilement se permettre de taper chez son voisin pour lui demander des comptes au sujet de sa vie privée, se déroulant à l’intérieur de sa maison, au nom de la religion. C’est une preuve que les Algériens ne prennent pas en compte le verset 105 de la sourate 5, médinoise également, qui leur recommande clairement de s'occuper de leurs propres affaires : « Ô les croyants vous êtes responsables de vous-mêmes celui qui s’égare ne vous nuira point si vous, vous avez pris la bonne voie .» Ces versets sont négligés ou abrogés soit parce qu’ils ne répondent pas aux valeurs sociales et morales des juristes des premiers siècles de l’islam qui ont mis en place le corpus législatif musulman. Soit parce qu’ils se sont trouvés devant des versets qui s’opposaient et qu’il fallait faire des choix. Aucun musulman ne peut prétendre qu’il applique toutes les recommandations qui sont inscrites dans les textes coraniques.
Pour en finir, la lutte contre la domination masculine n’est pas une question de femmes seulement. Elle est aussi du devoir des hommes. La morale veut que, lorsqu’on donne deux parts de gâteau à une personne alors qu’on en donne une seule part à son voisin ou à sa voisine, ce soit à cette personne de dire : «Non je n'en veux pas, c’est injuste.»
C’est une lutte qui ne concerne pas seulement le code de la famille, mais aussi la présence des femmes et leur représentativité dans les différentes institutions.
Quant à ceux qui ont besoin d’être en accord avec leur religion, rien sur le plan religieux n’empêche d’abolir le code de la famille et d’instaurer l’égalité entre les femmes et les hommes devant la loi. Ils n’ont qu’à utiliser les mêmes arguments qui leur ont permis d’abolir l’esclavage, les châtiments corporels et beaucoup d’autres versets et font qu’ils ne s’introduisent plus dans les textes de loi de la République algérienne.
R. A.

(*) Razika Adnani est philosophe et islamologue. Elle est membre du Conseil d’orientation de la Fondation de l’Islam de France, du Conseil scientifique du CEFR, membre du groupe d’analyse de JFC Conseil et présidente fondatrice des Journées internationales de philosophie d’Alger. Elle est auteure de plusieurs ouvrages parus chez UPblisher, l’Aube dont le dernier est Pour ne pas céder, textes et pensées publié en février 2021 par UPblisher.
De 2014 à 2016, elle donne un ensemble de conférences sur le thème « Penser l’islam » à l’Université populaire de Caen de Michel Onfray. De 2015 à 2017, elle contribue aux travaux du séminaire « Laïcité et Fondamentalismes » organisé par le Collège des Bernardins.
En 2018 et en 2019, c’est à l’université permanente de Nantes puis au Centre d’étude du Fait religieux qu’elle donne deux cycles de conférences, l’un sur « La pensée musulmane » et l’autre sur « La réforme de l’islam du XIXe siècle à nos jours ».
Razika Adnani collabore à de nombreuses émissions et journaux (Marianne, Figaro, Le Monde, La Croix…). Razika-adnani.com
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