Par Ahmed Tessa, pédagogue-auteur
Ils sont venus des quatre coins du monde arabe, d’Afrique subsaharienne, d’Europe (Belgique, Bulgarie, France, Chypre, Suisse) d’Amérique (Canada) et d’Asie (Azerbaïdjan, Chine, Sri Lanka). Du 2 au 6 novembre 2022, le site balnéaire de Hammamet en Tunisie a abrité les travaux du Ve Congrès des enseignants arabes de langue française.
Pas moins de 300 participants ont assisté à cet événement. Ce sont des représentants d’associations nationales d’enseignants de langue française, des universitaires et des adhérents venus des pays arabes et dont les associations nationales sont membres de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF). Des enseignants et inspecteurs algériens ont été invités à assister à ces joutes pédagogiques instructives.
La présence active des Algériens n’a pas échappé aux organisateurs de cet important rendez-vous : ils étaient une centaine. Le président du congrès, M. Samir Marzouki, professeur émérite à l’Université de Mandouba (Tunisie), leur a rendu hommage pour leur engagement à se former et échanger idées et expériences. Sur la page Facebook de l’ATPF (Association tunisienne pour la pédagogie du français), on peut lire : «Merci à nos amis algériens pour leur présence. Sans vous, le congrès n'aurait pas eu ce succès.» C’est en ces termes que le secrétaire général de l’ATPF, Abdelwahed Abdelmalek, leur a rendu hommage, ainsi qu’aux autres participants. Il est à signaler que c’était du beau monde : des enseignant(es) retraité(es) ou en activité, des inspecteur(ices) et des universitaires, pour la plupart adhérents dans des associations pédagogiques de wilaya. Hommage mérité : sur les 140 communications données en conférences-débats, tables rondes et ateliers, pas moins de 30% sont l’œuvre des Algérien(nes). On a aussi assisté à un geste fortement apprécié : la Fédération internationale des professeurs de français a eu la présence d’esprit d’offrir une prise en charge gratuite aux jeunes enseignants(es) âgés de moins de 35 ans et de leur dédier un atelier de formation spécifique, en marge du congrès.
«Enseigner le français au XXIe siècle»…
… Tel est le thème central choisi pour cette Ve édition du Congrès de la CMA (Commission du monde arabe de la FIPF). De quoi susciter curiosité et intérêt. Le menu est riche et varié et le couple pédagogie/didactique en est le seul plat servi : de quoi mettre de l’eau à la bouche des mordus de l’enseignement.
Le mercredi 2 novembre 2022, en présence de l’inspecteur général du ministère de l’Éducation tunisien, d’un représentant de l’ambassade de France et de la présidente de la FIPF, la cérémonie d’ouverture a eu pour cadre la belle salle Hannibal de la Médina de Hammamet.
La première conférence en plénière a été suivie avec une grande attention du fait de son importance et des nouveautés que l’auteur a apportées. En plaidant pour la bienveillance linguistique, le Pr Jean-Louis Beacco (Université Paris III) a, dans l’intitulé de sa communication («Enseigner le français aux allophones en mode bilingue»), montré les bienfaits de faire s’appuyer mutuellement les langues enseignées. Cela renforce la langue d’enseignement et facilite l’accès à la langue étrangère.
Cette théorie est confirmée par une innovation pédagogique menée ici en Algérie dans le cadre du projet Lecture/Plaisir & Ecriture créative. À l’instar des autres qui se sont succédé tout au long du congrès, la communication du Pr J.-L. Beacco a donné lieu à des débats de haute facture. Exit la vieille tradition de l’enseignement exclusivement dispensé dans la seule langue.
La grande surprise qui a ému l’assistance – mais agréablement appréciée — est la présence de Mlle Aichouche Abir, sur son fauteuil roulant. Elle est détentrice d’un diplôme de licence en didactique du français, de l’université Mohamed-Lamine-Debaghine de Sétif. Son mérite et celui de ses parents résident dans son exemplaire cursus scolaire, du cycle primaire à la fin du secondaire. Elle l’a suivi avec brio dans des écoles et dans des classes ordinaires, avec toutefois l’accompagnement/soutien d'une auxiliaire de vie scolaire (une AVS). Cette dernière étant rémunérée par les parents. Ce fut une belle leçon de courage, d’abnégation et… d’amour de la part des parents.
La présentation de ce formidable exploit éducatif a servi de tremplin pour M. Mohammed Kentache, ex-président de l'association des parents d'enfants IMC de Sétif et actuellement consultant en handicap et inclusion auprès de Handicap International. Sa communication, «Les activités périscolaires au service de l’inclusion des enfants handicapés», nous a ouvert de nouveaux horizons sur les enfants à besoins spécifiques. Avec son expérience de 30 ans dans le domaine, M. Kentache a connu des satisfactions qu’il a tenu à présenter via des photos. Ce sont des enfants heureux, des autistes et des trisomiques et dont certains ont réussi à grimper la difficile échelle scolaire.
Parler du XXIe siècle, c’est forcément aborder les nouvelles technologies numériques ou comment les adapter au contexte scolaire. Qui aurait pensé que le smartphone pouvait servir aux apprentissages scolaires en déclenchant la motivation de l’élève ? Un thème présenté de façon vivante par le Guinéen Diallo Thierno Abdoul. Dans le même registre, le Marocain Ouamari Mimoun a abordé les bienfaits des tableaux blancs interactifs en lieu et place du classique tableau noir (ou vert). Le Français Agaesse Julien a mis en exergue l’adaptation (au numérique) des jeux de société pour renforcer la collaboration et les interactions entre les élèves.
Incontestablement, l’enseignement du français à l’ère du numérique a drainé de nombreux communicants. Toutefois, le questionnement légitime n’a pas été absent pour remettre la relation pédagogique enseignant/élèves au cœur du processus éducatif. Sur ce point, le Chinois Zou Shengjia a porté un «regard critique sur l’enseignement du français à l’ère numérique en s’appuyant sur le contexte chinois».
Il nous est difficile de cerner l’ensemble des communications (140 au total), seulement le point positif relevé par l’ensemble des congressistes réside dans l’excellente organisation mise en place par les animateurs de l’ATPF. Avec le sourire et la convivialité, les chevilles ouvrières du congrès — Sami Hammami, Afef Mahmoudi et Amel Ferchichi, entre autres — ont facilité le dépaysement de ceux et celles qui sont venus de loin. De nouveaux liens d’amitié professionnelle se sont tissés, d’autres se sont renforcés : toute cette belle alchimie humaine sera au service de nos élèves une fois de retour dans les salles de classe. Ne sont-ils (les élèves) pas les principaux bénéficiaires de toute cette surchauffe de neurones engendrant de nouvelles pistes pour l’enseignement… pas seulement du français, mais aussi des autres langues ? Comment ne pas saluer les belles soirées culturelles organisées par l’ATPF? Un récital de poésie déclamé par le Pr Samir Marzouki (poète et écrivain) a fait sortir les mouchoirs chez les âmes sensibles. Ou ce gala de chants en arabe merveilleusement traduits du français par une jeune femme à la double vocation : enseignante de français et chanteuse de talent. Elle a réussi à toucher «l’inaccessible étoile» en faisant parler en arabe des géants de la chanson française tels que Brel, Ferré, Piaf. En plus de ces soirées festives, la visite de sites touristiques de Tunisie a figuré dans le programme récréatif : les ruines romaines de Carthage, les villes de Sousse, Nabeul et le mythique village de Sidi Boussaid.
Si l’au-revoir a été empreint d’émotions, la clôture du Congrès arabe des enseignants de français a été grandiose… pour mieux se retrouver dans deux ans, dans un autre pays arabe.
A. T.
P.S. // Contrairement à leurs collègues des pays arabes dont les associations nationales sont officiellement agréées, les enseignants de français algériens attendent l’agrément de leur Association nationale (Anef) depuis… plus de 20 ans.
