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Rubrique Contribution

Comment l’islam politique a pris le pouvoir en Tunisie

Par Lotfi Maherzi
S’il fallait un premier symbole de la rupture politique et culturelle en Tunisie depuis la révolution du Jasmin de 2010, tant célébrée à l’étranger, c’est bien l’affirmation de la puissance de l’islam politique et son parti Ennahda, mouvement affilié aux Frères musulmans, qui devient la première formation politique avec une position de force au gouvernement, au Parlement et aux municipales. Une véritable consécration des islamistes tunisiens qui, désormais, contrôlent  tous les échelons sensibles du pouvoir politique grâce à une influence certaine sur les rédactions de la Constitution et des lois institutionnelles mais aussi à une entreprise de noyautage et de remise en cause de l’État de droit, une attitude de complaisance avec les salafistes radicaux et une volonté tenace d’islamisation et de rupture identitaire avec l’héritage de Habib Bourguiba, père de la Tunisie moderne. 

La Constituante décidée par le mouvement populaire a permis aux islamistes d’arriver démocratiquement au pouvoir alors qu’ils n’ont joué aucun rôle dans le déclenchement et le succès de la révolution
Au lendemain de la révolution, le problème de la gouvernance transitoire était confronté à plusieurs propositions institutionnelles : gouvernement provisoire suivi d’élections présidentielles, gouvernement d’union nationale, gouvernement de salut public. Mais tous ces choix étaient considérés par la rue comme autant d’habillages d’un système révolu. 
Le peuple encore mobilisé refuse ces changements dans la continuité et exige l’adoption d’une Assemblée constituante pour rédiger la nouvelle Constitution et la dissolution du gouvernement provisoire et de l’Assemblée des députés. C’est ce choix populaire qui a été retenu et officialisé le 3 mars 2011 par le Président par intérim Fouad Mebazaa.
Sept mois après, le 23 octobre 2011, le parti islamiste Ennahda, de plus en plus influent grâce à ces actions caritatives et de prédication  dans les mosquées, est le grand gagnant des premières élections libres de l’Assemblée constituante. Une victoire considérée par les démocrates et laïques comme inattendue et injuste d’autant que les militants d’Ennahda n’étaient pas aux premières loges du soulèvement populaire et que leur chef, Rached Ghannouchi, devenu deuxième personnage de l’État, auto-proclamé «Président de tous les Tunisiens» est revenu en Tunisie le 14 janvier 2011, bien après la chute du président Ben Ali.
Fort de son succès, Ennahda devient désormais numériquement et politiquement la force la plus importante et la plus influente de l’Assemblée constituante chargée de rédiger la nouvelle Constitution. Sans doctrine économique fiable ni expérience du pouvoir réel et en fin stratège, elle désigne, en octobre 2011, un gouvernement de coalition baptisé «Troïka», composé d’islamistes et de sociaux- démocrates qu’elle place en première ligne sur le terrain social et de contestation, tout en s’octroyant les postes régaliens les moins risqués et les plus sucrés du gâteau.
Hamadi Jebali, figure historique des islamistes tunisiens, devient Premier ministre. Un cauchemar pour les démocrates qui rappellent le discours lyrique de ce dernier dans lequel il évoquait, le 13 novembre 2011, la victoire d’Ennahda comme un «moment divin, une nouvelle étape civilisationnelle, dans un sixième califat inchallah». 
Un imaginaire de violence et de conquête qui incarnerait pour Hamadi Jebali la résurrection des valeurs islamiques de l’Empire ottoman, abolies par Kemal Atatürk, grand inspirateur de l’ancien président tunisien Habib Bourguiba.

Ennahda profite des deniers de l’État et de financements opaques pour récompenser et fidéliser sa base électorale
Dès son arrivée au pouvoir, Ennahda est accusé d’utiliser les dispositions relatives à l’amnistie générale adoptées au lendemain de la révolution, pour favoriser ses partisans et militants recrutés dans les classes moyennes, les cités populaires et les régions défavorisées. Une base populaire estimée entre 15 et 20% au moins des électeurs, partagée entre des militants qui adhèrent aux référents religieux du parti et ceux qui se sentent abandonnés par le gouvernement et les partis politiques.
Un électorat qu’Ennahda tient à fidéliser et récompenser en pratiquant le clientélisme. Plus de 200 000 partisans et sympathisants, souvent incompétents, ont été placés dans l’administration publique et dans d’autres secteurs stratégiques afin d’en prendre le contrôle. Les témoignages de la presse tunisienne abondent sur d’autres cadeaux faits à ses électeurs sous forme de moutons du sacrifice, d’ouverture de patente, de licence de taxi ou de circoncisions groupées.
Alors d’où vient l’argent et la puissance financière sans commune mesure avec les budgets des autres partis de l’opposition ? Ennahda a en fait toujours refusé de communiquer sur l’origine de ses fonds et la comptabilité du parti, soutenant simplement que ses ressources proviennent des contributions de ses adhérents.
Mais les rapports des magistrats de la Cour des comptes tunisiens mettent en évidence l’opacité de la comptabilité du parti et alimentent la thèse de financements occultes en violation de la loi. De son côté, la presse tunisienne a toujours soupçonné les islamistes de percevoir des fonds provenant d’intérêts étrangers dont le Qatar, pays qui s’est impliqué bien avant la révolution comme le bailleur de fonds le plus important des islamistes tunisiens. Aide qui semble se poursuivre aujourd’hui, avec le financement par l’ONG  Qatar Charity, d’innombrables réseaux associatifs d’Ennahda dans le but non avoué est d’islamiser la société par le bas.
L’on comprend dès lors  les nominations dans le premier gouvernement de la Troïka contrôlé par les islamistes de personnalités tunisiennes proches du Qatar à des postes-clés, comme on comprend également l’emprise qatarie sur des secteurs stratégiques de l’économie tunisienne. En plus des largesses des émirs, Ennahda a mobilisé, en février 2020, ses députés pour défendre la création d’une caisse de compensation intitulée «Caisse de la dignité et de dédommagement» d’un montant de 10 millions de dinars, destinée à l’indemnisation de ses militants. 
Selon les députés de l’opposition, au total, Ennahda aura coûté au contribuable tunisien pas moins de 12 milliards de dinars, l’équivalent de presque 4 milliards d’euros durant les dix dernières années.
Voilà comment les islamistes profitent de leur réseau qatari et de leur prise de pouvoir pour abuser des deniers de l’État, s’y financer et financer les associations de charité écrans qui se proposent en théorie de secourir les pauvres et les moins démunis. Un leurre qui masque l’ADN d’un parti fondamentalement conservateur qui prône un système économique néolibérale caractérisé par la domination des riches sur les pauvres. Il ne peut prétendre à la posture du parti des pauvres et des exclus quand il encourage une politique économique de bazar et de l’informel ouverte aux intérêts du capital étranger avec, à terme, la destruction de la production nationale. 

Ennahda insiste pour que les règles religieuses soient inscrites dans la Constitution
Dès le début de la rédaction du premier projet de la Constitution de juillet 2012, les rapports entre le politique et le religieux sont au cœur du débat entre députés modernistes et islamistes. Ces derniers, devenus la principale force au sein de la Constituante, font le forcing pour s’attaquer à l’héritage de Habib Bourguiba, avec comme objectif essentiel la remise en cause du Code du statut personnel décrété le 23 août 1956. Un code historique à l’avant-garde du monde arabe qui interdit la polygamie et la répudiation, institue le divorce judiciaire aux mêmes conditions pour les femmes et les maris, fixe l’âge minimum du mariage à 17 ans pour les filles et exige le consentement de la femme pour la validité de son mariage. 
A la place, les députés islamistes ne cachent pas leur ambition d’imposer la charia comme source de la législation dans le cadre d’un État religieux ni celle d’appliquer l’idée moyenâgeuse de la «complémentarité de la femme avec l’homme au sein de la famille et en tant que véritable partenaire de l’homme dans la construction de la nation». Ils se sentent pousser des ailes lorsqu’en plein débat sur la rédaction de la Constitution, les partisans de l’islam politique, toutes tendances confondues, salafistes, djihadistes, Frères musulmans, multiplient les manifestations de rue, les prêches dans les mosquées, voire les coups de force pour faire pression sur le gouvernement et la Constituante pour mettre en place une Constitution islamiste. Mais ces pressions s’expriment dans un contexte socioéconomique alarmant. Sur le plan sécuritaire, la situation est gérée avec passivité, voire avec des procédés en sous-mains d’entente entre le ministre de l’Intérieur affilié à Ennahda et les salafistes djihadistes dont le groupe le plus violent, Ansar al-Sharia, est impliqué dans  les assassinats de personnalités politiques, des attaques contre des femmes, des artistes et les forces de sécurité. De plus en plus visibles, les salafistes envoient massivement les jeunes Tunisiens pour le jihad en Syrie et en Irak avec le laisser-faire actif d’Ennahda. Sur le plan économique, le bilan est calamiteux ; chômage, corruption, abus de pouvoir, dégradation des services publics, économie informelle, injustice sociale plongent la Tunisie dans la crise économique et financière la plus grave depuis la chute du président Ben Ali en janvier 2011.
Cette cascade de dérapages a massivement mobilisé les femmes tunisiennes et le camp moderniste attachés à la défense d’une Tunisie tolérante et laïque au point de contraindre Ennahda, affolé de voir le scénario égyptien se répéter en Tunisie, à se retirer de la coalition au pouvoir au profit d’un gouvernement de technocrates. Comme ces mobilisations immenses ont acculé les députés d’Ennahda à accepter un projet de Constitution plus consensuel en cédant sur une Constitution qui reconnaît le caractère civil de l’État et qui ne fait aucune référence à la charia initialement proposée comme source de droit.
Enfin, ils ont accepté également que la Constitution garantisse la liberté de conscience et consacre l’égalité homme/femme. Mais ce recul stratégique ne remet en cause ni l’idéologie d’un parti dont la visée primordiale demeure l’instauration d’un État islamique avec des positions rigides, liberticides et non négociables sur les questions relatives à l’identité, à l’égalité dans l’héritage, à la dépénalisation de l’homosexualité ou à la consommation du cannabis ou encore à l’abolition de la peine de mort. Comme toujours dans le discours islamo-populiste, c’est une ligne rouge défendue au nom de la charia, des textes religieux et de la souveraineté du peuple. Une escroquerie intellectuelle qui a embarqué Ennahda indéniablement dans le chemin de l’homophobie, de l’intolérance, du racisme et du terrorisme. En témoignent les menaces envers les démocrates comme celle faite par l’islamiste Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice durant la «Troïka» et actuel député au Parlement qui déclarait en 2012 : «Si vous êtes 50 000 policiers, nous avons 100 000 kamikazes.»

Ennahda a imposé le régime parlementaire et le mode de scrutin proportionnel car ils lui permettent d’être en position de force dans le véritable pouvoir : l’Assemblée des représentants du peuple
Entre un régime parlementaire, préConstituante, fortement influencés par leurs collègues d’Ennahda, ont finalement opté pour un régime parlementaire afin, insistent les islamistes, de se prémunir contre un retour possible de la dictature. Ils procèdent alors à une nouvelle répartition des pouvoirs accordant à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) une place au centre du pouvoir institutionnel. Désormais, le chef du gouvernement dispose de prérogatives plus larges que celles du président de la République puisqu’il est chargé de fixer la politique générale de l’État et n’est plus constitutionnellement sous la tutelle du président de la République mais seulement responsable devant le Parlement. Un système idéal pour Ennahda, car il lui permet de se présenter en force dans la future ARP désormais devenue le véritable lieu du pouvoir. 
Même bénéfice avec l’adoption, en 2014, de la loi qui établit un mode de scrutin proportionnel à un tour et au plus fort reste pour les élections au Parlement. Les rédacteurs de cette loi, toutes tendances confondues, considèrent que le multipartisme est nécessaire et que le scrutin à la proportionnelle favorise justement une représentation plus large des tendances politiques au sein du Parlement.
Mais en réalité, le scrutin proportionnel est le mode le plus favorable aux islamistes. Pour trois types de raisons : d’une part, il permet de donner plus de poids aux considérations religieuses qu’aux références partisanes, les électeurs et la base islamiste du parti vont voter plus pour celui qui avance la pensée politico-religieuse du parti que pour un député anonyme. 
D’autre part, les islamistes sont conscients que le scrutin proportionnel entraîne une Assemblée très divisée qui rend très difficile la formation d’une majorité stable au sein du Parlement. Avec sa majorité relative assurée, Ennahda sait pertinemment qu’il devient incontournable dans les jeux d’alliance avec des partis aux programmes antagonistes.

Il sera en position de force pour négocier des compromis sans être obligée de traduire en programme, en réalisations, en projets ses intentions politique. Enfin, Ennahda sait également que le scrutin proportionnel va contribuer à transférer le pouvoir du Parlement aux chefs des partis politiques pour la plupart sans pouvoir électoral réel, donc incapables de constituer des majorités de coalition sans la présence dominante d’Ennahda. 

Avec «Ettawafek» (le compromis), Ennahda brouille le paysage politique tunisien, bonifie sa présence au sein de la société et s’octroie des espaces de pouvoir de décision
Depuis l’automne 2014, l’expérience chaotique de la «Troïka» a cédé la place au compromis «Ettawafek» entre Ennahda et les partis modernistes ou centristes comme Nidaâ Tounes, Tahya Tounes, Qelb Tounes et d’autres au nom de la sacro-sainte stabilité du pays.  A l’origine, Ennahda avait le choix entre deux stratégies : devenir le principal parti de l’opposition parlementaire ou contracter des alliances avec les démocrates et plus précisément avec son ancien adversaire aujourd’hui décédé, Beji Caïd Essebssi, leader du parti Nidaâ Tounes, arrivé à la tête des élections législatives.
Le choix des islamistes pour la seconde option était en fait dicté par l’expérience chaotique de leur gestion de la «Troïka». Ils ont compris qu’ils ne pouvaient partager seuls le pouvoir et accepter la responsabilité d’un échec probable. Ils sont aussi conscients qu’ils ne disposent d’aucun programme crédible autre que des promesses électorales peu opérantes, qu’ils ne pourront pas répondre aux attentes immédiates de la population et qu’ils ne résoudront pas à eux seuls les problèmes colossaux des Tunisiens. Alors, ils ont préféré mettre, dans le jeu politique, cette nouvelle carte du compromis et de l’unité nationale afin de bonifier leur présence au sein de la société et mieux négocier les espaces de pouvoir, transformés en transactions politiques opaques entre états-majors d’Ennahda et les autres partis démocrates avec pour seul objectif, le partage de position d’influence pour la conquête du pouvoir.
Les Tunisiennes et Tunisiens qui ont opéré le vote utile au profit des partis démocrates pour s’opposer aux islamistes voient dans la présence de ces partis dans les cohabitations avec les islamistes  une erreur politique qui s’apparente à une trahison, sinon à une capitulation idéologique et politique. D’autres encore accusent l’ancien président Beji Caïd Essebssi et les autres partis démocrates d’avoir affaibli, voire disloqué le front unitaire en acceptant le deal avec les islamistes alors qu’ils avaient toujours proclamé, haut et fort, que jamais, au grand jamais, il n’y aurait d’accord gouvernemental avec les islamistes s’ils ne renonçaient pas officiellement et dans les faits à leur projet islamiste. 

Ennahda a utilisé les démocrates comme sous-traitants pour les accompagner discrètement à tous les pouvoirs
A l’évidence, ces compromis, ces arrangements secrets, ces effets pervers qui caractérisent le paysage politique tunisien depuis 2014 n’ont rien coûté politiquement aux islamistes pire, ils les ont bonifiés. Ils leur ont permis d’avoir un brevet de respectabilité avec ce double souci masqué : obtenir la caution de partis démocrates, dont la présence précieuse dans les alliances gouvernementales leur procure une posture fréquentable puis se servir à terme des démocrates comme sous-traitants, voire marchepied à leur conquête politique du pouvoir. Entreprise aisée, car Ennahda sait que dans le compromis qui les lie aux démocrates, elle est dans un rapport de forces où ses partenaires démocrates sont loin d’avoir l’avantage numérique, encore moins la décision politique. Leur représentation modeste ne leur donne aucune légitimité pour négocier ou exiger une quelconque concession ou condition, notamment sur le plan des libertés civiques et d’opinion, à un parti hégémonique qui s’est renforcé avec l’accès aux responsabilités premières. Dans les faits, cette hégémonie contraint les démocrates à un statut de marginalité. Les ministres qu’ils représentent sont davantage des supplétifs que des partenaires. Ni le président de la République ni le chef du gouvernement ne peuvent décider ni s’engager dans les dossiers importants, autrement qu’en négociant avec le Parlement présidé par Rached Ghannouchi, le chef d’Ennahda.
Et puis, les islamistes savent que leur supériorité sera maintenue grâce notamment à l’impuissance des partis modernistes à occuper le terrain de la contestation populaire, car incapables de gérer les phénomènes du sacrifice et du volontariat qui les dépassent. Ils savent qu’ils sont incapables de transformer la mobilisation sociale des citoyens en vraie mobilisation politique susceptible d’inverser les rapports de force dominants. Enfin, ils connaissent la nature des rivalités des partis démocrates associés à l’action gouvernementale. Ils savent qu’ils ne disposent pas d’une culture ou d’une tradition unitaires ni de vision politique et économique commune. Et quand bien même auront-ils cette volonté, il leur manquera toujours la vision stratégique de l’union nécessaire pour se maintenir ensemble assez longtemps pour faire la différence.
Pour de nouveaux Tunisiens, les dirigeants des partis démocratiques ont été incapables de défendre dans le cadre du compromis, un État respectable et respecté garant des fonctions régaliennes, des droits fondamentaux et solidaires avec les plus défavorisés. En fait, loin de bâtir un contrepouvoir à l’hégémonie de l’État Ennahda et de fournir des réponses concrètes pour freiner son influence débordante, ils se présentent comme une sorte de pragmatiques opportunistes, prêts à tous les silences, toutes les complaisances et autres capitulations, du moment que cela peut les maintenir dans l’échelle illusoire et provisoire du pouvoir. 

Ennahda recrute une multinationale américaine pour relooker discours et stratégie de communication
La crainte d’un possible scénario à l’égyptienne, le bilan catastrophique de leur gestion durant la «Troïka», leur implication dans la violence politique et les assassinats de personnalités politiques tunisiennes poussent les islamistes à normaliser leur image en changeant la forme et le contenu de leur communication.
Pour y parvenir, ils se sont offerts les services d’une multinationale de la communication, spécialisée dans la gestion de crise et de lobbying international. Selon la presse internationale, (Humanité, Jeune Afrique, Kapitalis…), le contrat a été conclu pour un montant de 18 millions de dollars via le bureau d’Ennahda à Londres.  La prestation visait à « assister le parti dans ses activités de sensibilisation des médias et à soigner ses relations publiques aux niveaux national et international. Le maître-mot de ce lifting politique est de changer la perception des islamistes désormais qualifiés de parti « musulman démocrate » et non « islamiste », terme jugé dommageable. Le contrat prévoit également que la multinationale américaine veille à ce que les médias du monde entier accordent à l’information une place privilégiée en soulignant l’importance démocratique de cette évolution. 
Depuis, Ennahdha a fait un vrai travail de fond sur sa communication et le vocabulaire utilisé. Elle rhabille sa radicalité islamiste d’un voile de respectabilité complètement adapté à la rhétorique du compromis et de l’unité nationale. Rached Ghannouchi et son état-major lissent leur discours et cultivent une image de concorde et de compromis, loin des déboires, des dérives et des assassinats durant leur gouvernance.
Désormais, leur référence idéologique n’est plus officiellement la confrérie des Frères musulmans, mais le Parti de la justice et du développement turque (AKP), considéré par Ennahda comme respectable et fréquentable car il a su allier démocratie et islamisme sans jamais mentionner que le président turque Recep Erdogan a été contraint par la Constitution d’Atatürk qu’il a d’ailleurs largement grignotée depuis son arrivée au pouvoir en 2003. Sont-ils sincères ? Bien évidemment non, répondent de nombreux Tunisiens, car ils n’ont ni la culture démocratique ni la volonté de réforme. C’est plus un virage en trompe-l’œil qui masque un programme qui fait toujours primer le religieux sur le politique.

Le compromis entre les démocrates et Ennahda a accordé aux islamistes le temps de noyauter discrètement les institutions de l’État et d’entreprendre une islamisation rampante avec la volonté de changer la vie des Tunisiens dans le domaine vital de leur identité arabo-musulmane.
Les processus de compromis entre les gouvernements successifs et les islamistes d’Ennahda ont accordé à ce parti le temps d’opérer un quadrillage de terrain et de noyauter discrètement et avec patience les départements de la Justice, de l’Intérieur, de l’Education et bien d’autres secteurs stratégiques comme les lieux de culte. Les islamistes ont placé leurs imams convertis en porte-voix du parti dans l’indifférence et le silence des gouvernements successifs. 
Cette pratique de tromperie est au cœur de leur stratégie pour infiltrer la République et élargir leur base. D’ailleurs, leur masque est tombé le jour où leur chef spirituel, actuel président du Parlement, Rached Ghannouchi, filmé à son insu, demandait aux salafistes pressés d’en découdre de la patience et de la raison, le temps de terminer le job (noyautage) et de contrôler l’armée
Dès lors, rien ne les arrête pour imposer par la dissimulation, le mensonge et le double langage une islamisation imperturbable sur fond de manifestations symboliques de religiosité. Ainsi, le hidjab est devenu l’uniforme féminin de référence, conseillé sinon imposé par des militants aux aguets. Dans les mosquées, les appels à la prière se font à coups élevés de décibels suivis dans certaines mosquées salafistes de prêches virulents qui exigent l’application de la charia, l’interdiction de la vente d’alcool et le lancement de fatwas contre les festivals de musique qualifiés de sataniques.
L’héritage laïque du président Bourguiba semble complètement bousculé par cette ré-islamisation grandissante et de longue haleine de la société tunisienne. Une islamisation dont le révélateur le plus fort est l’activisme des réseaux caritatifs et associatifs d’Ennahda qui, en toute impunité, implantent sur tout le territoire de centaines d’écoles et de jardins d’enfants coraniques. Une stratégie discrète encouragée par une figure-clé d’Ennahda, Abdelfattah Mourou, réputé pour sa féconde tunisoise et ses blagues, qui promettait en février 2012, sous le ton de la confidence, au prédicateur salafiste égyptien, grand militant de l’excision féminine Wajdi Ghanim de «séduire les enfants pour mieux les opposer à leurs parents». Car, dit-il, «nous n’avons pas besoin des parents, nous avons besoin des enfants». 
Mais depuis les dernières élections législatives, Ennahda n’est plus le seul  à mobiliser les populations à travers la référence religieuse. Il est concurrencé par un parti d‘extrême droite fasciste «Iitilaf al-karama» (recouvrons notre dignité), qui a fait une irruption fulgurante sur la scène parlementaire, bousculant l’échiquier politique interne, faisant montre d’un activisme verbale violent et appelant l’éradication de toute influence étrangère avec comme objectif l’islamisation de la société tunisienne. Idéologiquement et affectivement proches d’Ennahda, des députés de ce parti sont allés jusqu’à appeler, au Parlement, au meurtre en invoquant l’apostasie (takfir) à l'encontre de la présidente du Parti destourien libre (PDL) Abir Moussi, parce qu’elle a osé critiquer et dénoncer le dirigeant d’Ennahda et les Frères musulmans. Alors que l’apologie de la violence et du terrorisme est un crime puni par la loi, les partis dits démocrates au Parlement qui, normalement, s’emparent de chaque occasion pour s’indigner, ont choisi le silence pour ne pas froisser leurs partenaires islamistes au gouvernement. 
Tous ces faits démontrent que la Tunisie connaît une contre-révolution silencieuse avec le triomphe d’une version salafo-frériste de l’islam qui impose sa norme à l’islam malékite tunisien tout en encourageant une violence symbolique incroyable contre la société tunisienne et les valeurs de l’héritage de Bourguiba. C’est une entreprise qui soulève le problème encore plus important de la cohésion nationale. Ce n’est pas seulement la Tunisie et son identité musulmane qui sont en péril, mais également la civilisation et la culture arabo-judéo-berbéro-musulmane  dont elle est porteuse. Sans doute, le vivre-ensemble, élément-clé de la vie sociale de la Tunisie, a désormais un avenir de plus en plus incertain.
En résumé, depuis son accession au pouvoir, Ennahda a favorisé un parlementarisme impuissant, un code électoral pervers, des cohabitations contre-nature, un délitement économique et social, une stratégie de ruse, de dissimulation et de double langage dans le seul but est de promouvoir une non-gouvernance chaotique et anarchique dans laquelle les lois ne sont pas respectées ni appliquées. Cette stratégie a sans nul doute permis aux islamistes de rendre problématiques les libertés individuelles et collectives arrachées par la révolution, comme la liberté de croyance, d'opinion et l'indépendance du pouvoir judiciaire. 
La remise en cause,  en toute impunité, de l’État de droit voulu par la Constitution est un signe suffisant à accréditer la thèse d’une contre-révolution conservatrice avec une volonté de conquête forcée et violente de tous les pouvoirs. Aussi, faut-il être crédule et naïf pour espérer, un moment, qu’Ennahda et ses réseaux islamistes en Tunisie et dans le monde laisseraient aujourd’hui un gouvernement de coalition, fragile et sous contrôle, démanteler leurs acquis idéologiques, politiques et financiers. Ils ne céderont pas et ne pourront céder sur ces points car ils constituent la quintessence de leur projet.
L. M.

 

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