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Rubrique Contribution

Congrès du CNRA au Caire du 20 au 28 août 1957

Par Ali Chérif Deroua
Ce congrès a été l'objet de toutes les interprétations plus ou moins malveillantes, déformées ou tronquées de la majorité de ceux qui ont écrit à ce sujet.

Acteurs de l'événement, historiens et tous ceux qui s'y sont intéressés arrivent à des conclusions excessives avec des arguments plus que discutables sur la légalité de la réunion, la  non-conformité avec les statuts du FLN et surtout la révision de certaines décisions du Congrès de la Soummam, ainsi que la légitimité de la composante humaine du CNRA et de la nouvelle direction désignée.
Loin de moi tout esprit moralisateur, ni de rôle d'historien ou d'acteur, n'ayant pas participé à ce congrès. C'est le point de vue et surtout le témoignage d'un moudjahed qui s'intéresse à la Révolution algérienne au même titre que tout Algérien ou Algérienne qui aime son pays et qui, entre autres, a été le secrétaire de la réunion du GPRA tenue au Caire du 29 juin au 10 juillet 1959. Je pense qu'à ce titre, j'ai le droit et le devoir de témoigner. Au lecteur d'en juger.
Pour comprendre l'historique de cet événement, il faut se référer aux conditions requises et adoptées dans la Charte du Congrès de la Soummam pour convoquer un congrès ordinaire.
Liste adoptée à la Soummam par les 17 membres titulaires et des 17 membres suppléants telle que publiée dans les archives de la Révolution.(1)
Ben Boulaïd Mostefa décédé, Zighoud Youcef décédé, Krim Belkacem présent, Ouamrane Amar présent, Ben M’hidi Larbi décédé, Bitat Rabah prisonnier, Abane Ramdane présent, Benkhedda Benyoussef présent, Aïssat Idir prisonnier, Boudiaf Mohamed prisonnier, Aït Ahmed Hocine prisonnier, Khider Mohamed prisonnier, Ben Bella Ahmed prisonnier, Debaghine Lamine présent, Abbas Ferhat présent, El Madani Tewfik présent, Yazid Mhamed présent.
Adjoint Ben Boulaïd ? Non mentionné, Bentobal Lakhdar présent, Mohammedi Saïd présent, Dehiles Slimane présent, Boussouf Abdelhafid présent, Mellah Ali décédé, Benyahia Mohamed présent, Lebdjaoui Mohamed prisonnier, Temmam Abdelmalek prisonnier, Dahleb Saâd présent, UGTA ? Non mentionné, Louanchi Salah prisonnier, Thalbi Tayeb présent, Mehri Abdelhamid présent, Francis Ahmed présent, Brahim Mezhoudi présent.
Soit un total de 18 membres présents, 8 membres titulaires et 10 membres suppléants au Congrès du Caire du 20 au 28 août 1957.
Dans le même document(2), il est écrit : «Nota : la convocation du CNRA est faite par le Comité de coordination et d'exécution (CCE) s'il le juge nécessaire ou sur la demande de la moitié plus un de ses membres ; les délibérations du CNRA ne sont valables que si 12 (sic : je reproduis textuellement ce qui est écrit sur document 2) membres titulaires ou suppléants sont présents ; en principe, le CNRA se réunira une fois par an tant que les hostilités dureront.»(2)
Toutes les conditions requises par les statuts sont remplies.
Convocation : il a été convoqué par les 4 membres du CCE sur les 5, Ben M’hidi ayant été arrêté, torturé et assassiné par l'ennemi le 4 mars 1957. Pour preuve, les 4 membres du CCE étaient présents au Caire.
Quorum : la présence de 18 membres sur 34, soit la totalité des membres non décédés ou prisonniers de l'ennemi.18 membres sur 34 représentent la majorité absolue requise. Il est à  signaler qu'aucune délégation de pouvoir n'a été envoyée par les membres détenus. 
5 nouveaux membres, tous ayant des responsabilités militaires, ont été cooptés. C'est ainsi que : 
Wilaya 1 : Chérif Mahmoud a remplacé Ben Boulaïd et Lamouri Mohamed a remplacé l'adjoint non mentionné de Ben Boulaïd.
Wilaya 2 : Bentobal a remplacé Zighoud et Benaouda Benmostefa a remplacé Bentobal.
Wilaya 5 : Boussouf a remplacé Ben M’hidi et Boumediène a remplacé Boussouf.
Une autre désignation a été celle de Amara Bouglez, responsable de la base de l'Est qui faisait partie intégrante de la Wilaya 2.
Soit 5 nouveaux membres, Cherif Mahmoud, Lamouri Mohamed, Benaouda Benmostefa, Houari Boumediène et Amara Bouglez.
Délai : le délai a été respecté à la lettre puisque le congrès s'est tenu à la même date, soit un an jour pour jour après celui de la Soummam. 
Lieu : Le Caire a été choisi à l'unanimité des 4 membres du CCE pour :
- éviter de choisir entre Rabat et Tunis, le choix de l'une des capitales mécontentant  automatiquement l'autre ;
- éviter l'afflux des journalistes étrangers qui gravitent autour du FLN en Tunisie et au Maroc ;
- garantir la sécurité des participants, mieux assurée au Caire, l'Égypte  ayant rompu ses relations diplomatiques avec la France après l'agression de Suez.
- Mais aussi, pourquoi le cacher, lier des alliances avec l'Égypte et Nasser et combler ainsi le vide laissé après l'arrestation des 5 leaders lors du détournement de l'avion du 22 octobre 1956.
Par ailleurs, la décision de la convocation de ce congrès a été prise dans les monts de Chréa (Blida) début avril 1957, avant la séparation et la sortie du territoire algérien des 4 membres du CCE. Abane et Dahleb sont sortis via la frontière avec le Maroc, Krim et Benkhedda via celle de Tunisie. C'est ainsi que Bentobal est sorti avec Krim et Benkhedda fin mai 1957, que Dehiles (colonel Saddek) a rejoint Abane et Dahleb via le Maroc début juin 1957, que Mohammedi Saïd a rejoint Tunis fin juillet 1957.
De nouveau réunis à Tunis début juin 1957, les 4 membres décident à l'unanimité la convocation du congrès, la date et le lieu.
À partir du 4 juillet 1957, la totalité des 18 membres titulaires et suppléants se trouvent au Caire à part Mohammedi Saïd qui les rejoindra vers la fin du mois. 
Trop de problèmes étaient sur la table des négociations:
- ceux qui découlaient de l'absence de la délégation extérieure et la Wilaya 1 à la Soummam ;
- ceux de la gestion d'une année de la Révolution par le CCE ;
- ceux de la cooptation ou désignation de nouveaux membres du CNRA ;
- la composition d'une nouvelle direction en tenant compte du contexte (tenue du congrès à l'extérieur), du contexte politique et du rapport de force ;
- et surtout la gestion de l’ambition et de l’ego de certains membres.
Les discussions ou entretiens  étaient très difficiles. Les clans se sont formés par conviction, par intérêt, par ambition, par opportunisme, par jalousie de l'autre ou des autres. 
À ceux qui aiment compter les jours du 4 juillet au 20 août 1957, il y a eu 46 jours de palabres, de recherches d'alliances, de «trahisons» avec des débats souvent houleux, des confrontations d'idées sans concession, des incidents de langage regrettables, des provocations, mais l'intérêt de la Révolution a toujours prévalu. Après l'orage, un consensus a été dégagé grâce à l'adoption à l'unanimité moins 2 abstentions sur la primauté de l'intérieur sur l'extérieur. Ce fait mérite bien d'être signalé.
Le mérite revient à tout un chacun de tous les membres présents sans exclusive, en particulier à ceux qui y ont «laissé des plumes», plus spécialement à Abbas, incarnation du consensus, jouant l'intermédiaire entre les différentes fractions, «arrondissant les ongles et angles» durant les tractations du 4 juillet au 20 août 1957, puis présidant les débats du 20 au 28 août 1957.
Une  mention à Benyahia Mohamed qui a assumé le rôle de secrétaire du congrès avec brio. Depuis cette date jusqu'à l'indépendance, il a assumé la charge de la gestion du CNRA et les convocations.
Malheureusement, plus tard, beaucoup ont fantasmé sur le sujet, ce qui est fort regrettable.
Plusieurs versions contradictoires des débats ont été avancées par certains acteurs présents et surtout certains historiens et analystes. Tout un chacun est responsable de sa version. 
En relisant le procès-verbal de cette réunion, il faut retenir surtout :
- «le CNRA a voté à l'unanimité la déclaration des principes suivants...»
- «Abane et Dehiles se sont abstenus lors du vote sur l'absence de différence entre l'intérieur et l'extérieur.»
Il y a incompatibilité entre les termes utilisés, unanimité et abstention. Aux historiens d'expliciter cette incompatibilité dans la mesure du possible, sans parti-pris, subjectivisme, dans le seul intérêt de l'Histoire de la Révolution.
Dans les procès-verbaux publiés à ce jour, il manque 2 décisions dont la principale est la désignation au sein du CCE d'un COMITÉ PERMANENT DE LA RÉVOLUTION, constitué de Abane, Bentobal, Boussouf, Chérif Mahmoud, Krim et Ouamrane. La seconde porte sur la nomination au grade de commandant de Omar (Ali Telidji) directeur des transmissions nationales de la Révolution.

COMITÉ PERMANENT DE LA RÉVOLUTION 
À titre d'exemples, voici quelques extraits des points de vue d'historiens qui confirment ce que j'avance:
1- Yves Courrière écrit en 1970 : «Abane se rendit compte de l'isolement dans lequel il allait se trouver lorsque le CNRA désigna à  l'intérieur du CCE un COMITÉ PERMANENT chargé des affaires courantes, constitué de Ouamrane, Krim, Bentobal, Boussouf Chérif Mahmoud et Abane, seul politique face à 5 colonels.»(3)
2- Mohamed Harbi à plusieurs reprises a utilisé les termes COMITÉ MILITAIRE ou COLLÈGE  MILITAIRE au sein du CCE : «C’est là qu'est né au sein du CCE un COLLÈGE MILITAIRE composé de Krim, Bentobal et Boussouf, soit une direction à 2 étages».(4)
3- Gilbert Meynier écrit : «Un COMITÉ de 6 membres régnait sur le CCE. Il comprenait théoriquement Abane, flanqué de 5 colonels et noyé dans une masse militaire.»(5)
Ces 3 historiens rapportent pratiquement la même chose. Ils diffèrent seulement dans l'appellation officielle de cet organisme. Pourquoi, dans quel but ? 
Mieux, ce que j'avance est confirmé par les écrits des deux présidents du GPRA, MM. Abbas Ferhat et Benkhedda Benyoucef.
Abbas écrit en 1958 textuellement : «Le GPRA réunit le COMITÉ PERMANENT DE LA RÉVOLUTION, compléta le CNRA et nomma les membres de l'Assemblée nationale consultative.» Remarque : à cette date, le CPR a déjà perdu 2 de ses membres,  Abane et Ouamrane.
Benkhedda écrit textuellement : «N'ayant rien pu faire face à l'arbitrage du COMITÉ PERMANENT DE LA RÉVOLUTION et du CNRA dont la composition est contestée par certains, le gouvernement s'est trouvé paralysé.»(7)
Ce CPR s'est installé à partir de septembre 1957 à Tunis ; les autres membres du CCE se sont installés : Abdelhamid Mehri à Damas, Lamine Debaghine au Caire et Ferhat Abbas à Rabat, puis Montreux (Suisse) après un accident de voiture qui l'avait cloué au lit pendant 3 mois.
Après la mort tragique de Abane, décembre 1957, le retrait de Ouamrane, juillet 1958, puis la mise à l'écart de Mahmoud Chérif, décembre 1959, il ne restait que ceux qu'on allait qualifier de «les 3 B», à savoir Krim Belkacem, Bentobal Lakhdar et Boussouf Abdelhafid.
A ceux qui doutent de cette contribution, afin de ne plus berner cette jeunesse algérienne avide de connaître les réalités de la Révolution algérienne, afin de ne plus falsifier notre Histoire commune, ô combien glorieuse, permettez-moi de rappeler au lecteur la parution, il y a 14 ans, d'une contribution dans le Quotidien d'Oran du 28 juin 2007 sous le titre «La réunion du GPRA au Caire du 29 juin au 10 juillet 1959».
Dans cette contribution, j'avais cité ce COMITÉ PERMANENT DE LA RÉVOLUTION.
Mieux, j'avais envoyé par email, 5 jours avant la parution, une copie à Si Mehri, ministre du GPRA, donc acteur ayant assisté à la réunion.
Voici en retour, par email du 22 juin 2007, le commentaire de Si Mehri sur la contribution : «Mon cher Si Ali, je vous encourage ENCORE UNE FOIS à continuer dans cette direction de TÉMOIGNAGE HISTORIQUE de ceux qui ont VÉCU LES MOMENTS EXALTANTS de la Révolution algérienne.» A. MEHRI.
Je témoigne et continuerai à le faire par fidélité à la mémoire de tous ceux qui se sont sacrifiés pour notre chère Algérie. Redevable à  cette Révolution, je n'oublierai jamais le message prémonitoire et émouvant que nous a légué le martyr — et quel martyr— Didouche Mourad : «Si nous venions à mourir, défendez nos mémoires.»
A. C. D.

La prochaine contribution portera sur le rôle de Saâd Dahleb durant la Révolution.

(1) Archives de la Révolution algérienne par Mohamed Harbi, éditions Dahleb, page 165.
(2) idem page 165.
(3) La guerre d'Algérie, tome 3. L'heure des colonels, éditions Casbah, page 156.
(4) Conférence Agir pour le changement démocratique en Algérie (ACDA), 28 mars 2014 à Paris.
(5) Histoire intérieure du FLN 1954-1962, éditions Casbah, page 344.
(6) Ferhat Abbas, Autopsie d'une guerre, Alger Livre Éditions, page 239.
(7) Benyoussef Benkhedda, La Crise de 1962, éditons Dahleb, page 136.

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