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Rubrique Contribution

ÉCOLE La refondation, unique solution (1re partie)

Sans pour autant justifier le recours à la grève du collectif des enseignants du primaire – et ce, pour absence de couverture syndicale – il est indéniable que leurs revendications sont tout à fait légitimes. Faudrait-il encore les avancer avec des propositions concrètes. Toutefois, elles ont le mérite d’être inédites car JAMAIS soulevées à ce jour, sinon par des voix individuelles restées sans écho depuis des années. Or, à les analyser de près, on remarque qu’elles postulent une rupture totale avec le fonctionnement actuel du système scolaire algérien – tant sur le plan pédagogique que sur le plan organisationnel. En effet, coupler la baisse du volume horaire hebdomadaire de l’enseignant du primaire, l’allègement des programmes et le corps unique pour les enseignants de tous les cycles – pour ne citer que ces trois revendications – signifie, ni plus, ni moins, procéder à une refondation de l’école algérienne. Ce sera là l’objet de cette contribution qui est loin de prétendre donner la recette miracle. Nous essayons seulement de proposer des pistes de réflexion à partir d’un constat sans complaisance, quoique non exhaustif,  établi dans nos précédentes contributions de septembre et janvier 2020 (dont la « Réforme de l’école/… et si elle était périmée ?». Le Soir d’Algérie du 5 janvier 2020).

Archaïsme pédagogique
Comparons le vécu scolaire de deux générations d’élèves dans un pays anciennement colonisé par la France, celle de l’année 1908-2009 (siècle dernier) et la génération actuelle année 2019-2020. Qu’y a-t-il d’inchangé ? Certes, nous constatons un changement radical dans le mobilier scolaire, l’architecture des établissements, l’aspect technique des manuels, les tenues vestimentaires, etc. Cela était inévitable, pur produit des progrès techniques. Mais dans leur comportement, leurs réflexes scolaires et leur rapport à l’école, rien n’a changé. Depuis des décennies et tout récemment, des études menées en France sur le vécu scolaire des élèves aboutissent aux mêmes conclusions. A l’inverse du petit Finlandais qui arbore un sourire au cœur et au visage, l’élève français a une peur-panique en prenant le chemin de l’école. Deux élèves français sur trois ne prennent pas leur petit déjeuner comme il se doit. Boule à l’estomac et cauchemars la nuit ! En classe, il a souvent peur de lever le doigt par crainte de commettre une erreur. Pourtant, en pédagogie de l’encouragement, l’erreur est considérée comme puissant levier pour améliorer les apprentissages, conscientiser l’élève. Ce qui n’est pas le cas dans un contexte de compétition/sélection où la note/sanction – ce salaire de la peur de l’élève – est sacralisée. Comme décrit dans notre précédente contribution, en Algérie, cette peur-panique est le pain quotidien de nos enfants : école – corvée.
Revenons au vécu scolaire de ces deux générations d’élèves. A plus d’un siècle de distance (1909-2019), il n’a pas bougé d’un iota avec une scolarité rythmée par le « rituel de la peur » : devoirs surveillés, interrogations-surprise, compositions, examens de rattrapage, examens de passage (il y avait pas moins de six examens avant mai 1968 : sixième, CEP, entrée en cinquième, BEPC, BE, probatoire, baccalauréat). 
Ce rituel de la peur est autant d’obstacles qui alimentent  l’école/trieuse et pourvoyeuse d’inégalités. Dans la lignée de pédagogues et autres humanistes, le sociologue Pierre Bourdieu affirmait que le système français est une « machine à reproduire les classes sociales ». Avec l’apartheid/coupure linguistique entre l’école et l’université, l’Algérie est en plein dedans – l’excellence en moins. Un tel système part du principe que l’école doit former la minorité qui dirigera le pays (« l’élite aristocratique »). Et à la majorité de faire la corvée de la France « d’en bas » pour occuper  les métiers de base. Des métiers valorisés dans d’autres pays ; et ce, tant du point social qu’académique : le maçon a un niveau supérieur au bac. 
Cette vision n’a pas changé au pays de Voltaire. La preuve se retrouve dans les évaluations internationales (PISA 2015 et 2019), 92% de ses élèves traînent dans le bas du classement des pays riches. A contrario, les 8% restants constituent une élite très bien formée. Système plus inégalitaire que ça, on n’en trouve pas en Occident ! Cette inégalité dans la prise en charge scolaire s’explique par le maintien d’un paradigme pédagogique qui remonte au XIXe siècle et conçu à dessein. Il s’agit du paradigme de l’école trieuse, sélective et inégalitaire, nonobstant les professions de foi des politiques qui prônent l’application du principe d’égalité des chances… de pure forme. Et de donner des arguments fallacieux : même programme, même méthode, mêmes manuels, mêmes épreuves, aux mêmes horaires, même profil de formation de l’enseignant. Or, l’égalité des chances est obsolète si elle n’est pas accompagnée par le principe d’égalité des moyens et des possibilités. Ce qui n’est pas le cas pour des raisons de choix idéologique (mainmise des « élites »). En Algérie, avec les dérives d’un tel système « mal copié » sur celui de la France coloniale, le paradigme de l’école/corvée se résume par la formule : transmission des connaissances (abstraites) par voie de bachotage de l’enseignant + mémorisation par l’élève (parcœurisme/psittacisme) + restitution fidèle + sanction. Pour avoir une idée de cette supercherie de principe d’égalité des chances, comparons la prise en charge des élèves d’un établissement de Tinzaouatine (extrême Sud) à celle de leurs camarades de Hydra (Alger). Pas photo ! 
Argument massue que cette étude toujours d’actualité (datée de 1975) du CRESAS français, en charge d’observer/évaluer en externe le système scolaire. Etude qui sera sans cesse confirmée les décennies suivantes (voir les résultats récents de PISA). Cette étude situe les pertes scolaires les plus nombreuses chez les enfants issus des couches sociales défavorisées : 29,3% des enfants d’ouvriers sont en retard dès le primaire, 07,2% appartiennent à la classe moyenne et seulement 02,2% sont enfants de cadres supérieurs. Les auteurs de l’étude situent cette inégalité de performance dans la mise en place de ce couple infernal « sélection scolaire-ségrégation sociale » conçu par le pouvoir politique. Et de lever le voile sur ce fameux paradigme pédagogique, origine de cette dérive. En effet, à travers les programmes, les méthodes et les épreuves d’évaluation, l’école française favorise l’intelligence verbale au détriment des autres formes d’intelligence (émotionnelle, pratique, esthétique). En Algérie, la situation est pire ; si l’intelligence verbale est bridée à cause des programmes et des méthodes, les autres formes d’intelligence sont ignorées et les normes internationales rejetées. Les normes scolaires algériennes sont démentielles et surréalistes : tant dans les rythmes scolaires (programmes, inflation et ventilation des matières enseignées), que dans l’apprentissage des langues (y compris l’arabe) ou dans le volume horaire des matières enseignées et dans le profil de recrutement des enseignants/modalités de formation…
Explication. Selon cette étude, dans les familles françaises défavorisées sévit l’absence d’un bain culturel approprié à même de procurer aux enfants ces stimulations intellectuelles précoces, riches et diversifiées qui sont à la base du développement de l’intelligence verbale. Or, c’est uniquement ce type d’intelligence qui est sollicitée et mesurée par le système éducatif élitiste via le processus enseignement/apprentissage et les modalités de contrôle (évaluation - sic !!!) : une école pour enfants de riches. A l’annonce des résultats de PISA 2015, indignée, la ministre française de l’époque s’est écriée : « Il est urgent de mettre à plat notre système d’évaluation .» Il faut savoir qu’en France et plus encore en Algérie, toute la logistique et la stratégie pédagogiques sont assujetties au système d’évaluation. Pour clarifier ce constat, cette image synthétique : l’enseignant dira : « J’enseigne pour faire ‘’réussir ‘’ mes élèves aux examens » et en écho, l’élève répondra : « J’apprends pour avoir de ‘’bonnes’’ notes par tous le moyens .» Au diable son épanouissement moral, émotionnel ou physique !
Dans le sillage de cette ministre, lors de sa prise de fonction, l’actuel Président français a affiché sa détermination à revoir les modalités d’accès à l’enseignement supérieur par une refonte totale du bac pour emboîter le pas aux pays anglo-saxons. C’est dire le bourbier dans lequel se débat l’école/compétition : une arène de combat avec son cortège de comportements négatifs (triche, fraude, violences, inégalités/ frustrations, déperditions…).

Paradigme refondateur
On ne saurait continuer à gérer un secteur aussi stratégique avec un logiciel vétuste et qui crie son impuissance à générer du positif. Une maison dont les piliers sont vermoulus ne demande pas à être rafistolée, mais tout simplement rebâtie sur de nouvelles fondations. C’est exactement de cela qu’il s’agit pour l’école algérienne. Un nouveau logiciel s’impose par sagesse. De quoi sera faite cette refondation ? Sans entrer dans leurs détails, ici quelques propositions. Elles pourraient faire l’objet de débats.
• En premier lieu au niveau de l’organisation de la scolarité : supprimer le cloisonnement des trois cycles (primaire – moyen – secondaire). Il est lui aussi un héritage du paradigme pédagogique archaïque hérité de l’école française du XIXe siècle. Et adopter ce qui est en phase avec le développement de l’enfant : scolarité de la première année à la douzième année (dernière année avant l’université). Et nous n’inventons rien en la matière. Dans cet esprit, situer la 1re année de la scolarité à 7 ans, âge que les psychologues considèrent comme étant propice aux apprentissages scolaires. Ces derniers, ne l’oublions jamais - présentent des concepts en langue et en calcul (lettres - sons - nombres - quantités - mesures) très difficiles à assimiler pour un enfant de 6 ans. Depuis longtemps, la Finlande et d’autres pays ont appliqué cette recommandation des psychologues
• Généraliser le préscolaire pour les enfants âgés de 4, 5 et 6 ans. Former en conséquence les éducateurs(rices) selon des modalités strictes (profil de recrutement et formation spécifique). Durant cette étape de 3 ans, mettre en place un dispositif de détection et de prise en charge des enfants à besoins spécifiques.
• Réhabiliter la formation en interne des enseignants en rattachant les ENS (accroître leur nombre) au ministère de l’Education nationale pour une meilleure maîtrise des profils de recrutement et de formation. Les actuelles ENS, une spécialité française n’est pas adaptée au contexte algérien. D’ailleurs les sortants des ENS en France n’ont pas tous vocation d’enseigner. On les retrouve aussi dans d’autres ministères ou dans la recherche. La formation en interne sera assujettie à un engagement écrit (éthique et déontologie mais aussi concernant le déroulement de la carrière). 
• Mettre fin au paradigme désuet en vogue dans nos salles de classe (bachotage/parcœurisme/restitution/sanction). Et opter pour le paradigme de l’apprentissage où l’élève devient artisan de son savoir grâce aux méthodes (inter)actives, à l’enseignement coopératif/apprentissages mutualisés.
Cela va nous conduire à revoir les programmes pas seulement dans leur allègement. Les matières visant les autres formes d’intelligence (émotionnelle, esthétique et pratique) auront le même statut que celles dites classiques en charge de l’intelligence verbo-conceptuelle (langues, maths, sciences). Ainsi seront revalorisées l’EPS, l’éducation artistique, l’éducation citoyenne (ou écho-citoyenne). Dans cette logique, les examens seront supprimés de même le système de notation/sanction – tout au moins dans les premières années de la scolarité. Le passage à l’université sera soumis à l’admissibilité (fin d’études scolaires = 12 ans de scolarité + 3 ans de présco) et à l’admission prononcée par l’université suite à un concours d’entrée qui sera sélectif à souhait. De la sorte, le secteur de la formation et de l’enseignement professionnels disparaîtra pour se fondre, partie dans le ministère du Travail et partie dans le ministère de l’Education nationale. La recherche scientifique sera indépendante financièrement et administrativement. Elle sera gérée par des élites connues et reconnues pour leurs compétences scientifiques.
• Mettre fin à la coupure linguistique entre le système scolaire et l’enseignement supérieur. Ce tabou idéologique bloque toute amélioration de notre école et tout progrès pour le pays.
• Appliquer les normes internationales dans l’enseignement des langues – y compris la langue d’enseignement. Une langue étrangère doit impérieusement bénéficier d’une séance quotidienne (la séance pouvant être soit de 45 mn ou 60 mn). Le volume horaire hebdomadaire de la langue d’enseignement ne doit pas dépasser 20% du volume global toutes disciplines confondues notamment au primaire  – actuellement il est de presque 60%.
En conclusion ouverte : il s’agit là de propositions. Pas plus ! Mais on doit se dire une chose ; que l’urgence prioritaire, dans l’immédiat, est la suivante : assurer la stabilité/sérénité du secteur de l’éducation nationale. Et pour cela bien avant l’immense chantier de la refondation, il y a lieu d’accorder un statut de souveraineté au ministère de l’Education. Au même titre que la Défense nationale. Sans ce statut point de refondation, de réformes ou même de réformettes ! 
A. T.
(La suite, la semaine prochaine)

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