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Rubrique Contribution

La «Révolution du sourire» doit contourner l’été de la discorde

Photo : Samir Sid
Photo : Samir Sid

Par Ahmed Lakhdar Tazir,
diplomate à la retraite

«Une nation qui oublie son Histoire se condamne à y revenir.»
(Winston Churchill)
La révolution pacifique, très justement baptisée «Révolution du sourire», en cours en Algérie depuis le 22 février 2019, est trop précieuse pour la laisser évoluer au gré des inspirations des uns et de réactions intempestives, plus ou moins contenues, des autres. Les observateurs du monde entier ont compris qu’il s’agit d’une lame de fond qui va déterminer l’avenir de la nation algérienne durant ce XXIe siècle naissant. C’est pourquoi la suite des évènements doit être réfléchie et méticuleusement pesée à la lumière notamment des expériences passées, c'est-à-dire des leçons de l’histoire, car nous sommes une nation encore en construction et «le roman national» est en train de s’écrire avec ses pages glorieuse et ses sombres épisodes qu’il ne faut pas craindre de revisiter. Patrick Boucheron, un historien prolifique, a écrit : «L’histoire, c’est du poil à gratter et rappeler les épisodes déplaisants de l’histoire ne tue pas le patriotisme ; au contraire, elle le renforce et donne de la crédibilité à l’historien qui s’adresse aux nouvelles générations.»
Je retiendrai deux épisodes incontournables de notre histoire contemporaine
L’histoire récente de l’Algérie a montré comment, en octobre 1988, une révolte porteuse d’immenses espérances a été détournée de son cours pour se terminer dans le bain de sang qui a vu la disparition, dans un contexte de barbarie d’une intensité inouïe, de 200 000 Algériens. Ce qui fut appelé la décennie noire accoucha, dans le tumulte, l’improvisation et la violence, d’une démocratie frelatée qui a ouvert la voie, à l’issue d’élection trop vite qualifiée de première élection démocratique de l’Algérie, à la victoire d’un parti politique ouvertement fascisant agissant sous une façade religieuse. Alors qu’il était totalement absent de la révolte populaire qui avait ébranlé le pouvoir en place, ce parti prit, selon, l’expression populaire connue, «le train en marche» pour rafler la mise et arriver aux portes du pouvoir. Le manque de culture politique et, paradoxalement, l’absence de culture religieuse de sa composante humaine a conduit le pays dans les abîmes. La violence et la barbarie de ses méthodes a inévitablement entraîné la violence de la réaction d’un pouvoir en place dont l’illégitimité et l’incompétence ne l’avaient pas préparé à faire face à une révolte d’une telle ampleur.
Les sanglantes péripéties qui précédèrent et suivirent l’interruption d’un processus électoral ont permis, après dix années de massacres de populations à grande échelle, l’arrivée au pouvoir en avril 1999 d’un homme politique que l’histoire et la justice (la Cour des comptes en l’occurrence) avaient pourtant disqualifié. La providence, la volonté divine, le hasard ou la nécessité offrent à l’Algérie une seconde chance avec l’avènement du mouvement Hirak qui a éclos le 22 février dernier.
Les générations actuellement dans les rues chaque vendredi ont le privilège de vivre une actualité politique que nos petits-enfants liront dans leurs manuels scolaires. Beaucoup d’entre nous font partie de ces acteurs qui sortent par millions, chaque vendredi, dire, crier et écrire leurs sentiments de révolte, leurs espoirs et leurs propositions. Leurs messages et leurs injonctions à un régime dont ils ne veulent plus constituent un véritable florilège de créativité, d’humour et de sarcasmes adressés à une classe dirigeante vieillissante, peu inspirée et irrémédiablement disqualifiée.
Beaucoup de noblesse et d’élégance se dégagent de cette marée humaine aux couleurs printanières. Elle marche avec détermination dans une atmosphère de liesse où l’humour populaire se révèle être une arme qui, tel le pistolet à eau de notre enfance, substitue avec bonheur le rire et la bonne humeur à la violence et la mort.
L’autre épisode de notre histoire que j’ai identifié remonte à l’été de l’année 1962. La joie immense et l’indicible bonheur de la victoire avaient recouvert d’un voile aux couleurs de la souveraineté retrouvée les sombres et funestes manœuvres d’un groupe, un clan, auquel la génération actuelle a donné le nom de 3içaba. L’Algérie indépendante qui rêvait de liberté, de progrès et de justice se trouva engagée, malgré elle, dans la voie de la régression et de la dictature…
Il ne faut pas que l’histoire se répète. La conférence, appelée à se réunir pour préparer l’avènement d’une nouvelle république, ne doit pas être le rejeton illégitime du Congrès de Tripoli dont le cinquante-septième anniversaire est tout proche. Il faut se souvenir en effet que ce congrès inachevé fut l’amorce, en en cet été radieux de 1962, du premier virage qui détourna la révolution de Novembre de ses idéaux.
Allons-nous assister à un remake du Congrès de la honte (Tripoli, 27 mai 1962). Une réunion du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) qui avait rassemblé dans la Libye du roi Mohamed Idriss Senoussi tout ce que l’Algérie comptait de compétences, d’autorités politiques, militaires et morales. Un aréopage de personnalités désunies, d’origines disparates et, pour certaines, à l’ego démesuré, avides de pouvoir. Le pays n’était pas encore libéré et les quelque dix millions d’Algériens qui composaient l’Algérie de l’époque vivaient les quelques semaines qui les séparaient de la proclamation de l’indépendance.
La certitude d’un avenir radieux était à portée de main. Nous vivions dans une exaltation nourrie par la joie et l’immense fierté de la victoire. Mais, en même temps, une sourde inquiétude, suscitée par les échos troublants qui parvenaient de Tripoli, se développait.
Des informations abondamment relayées par les radios françaises que les Algériens continuaient à écouter… déjà à l’époque. Des inquiétudes confirmées, quelques mois plus tard, par les tirs nourris durant le triste été de la discorde que narre avec un scrupule intellectuel Ali Haroun, un des acteurs de la Fédération FLN de France déjà marginalisé à l’époque. Un été durant lequel deux clans se sont affrontés par les armes. D’un côté le pouvoir civil incarné par le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) soutenu par une partie de l’Armée de libération nationale (ALN), les maquisards des wilayas III et IV, pauvrement armés, épuisés, et sous-alimentés. Face à eux, le clan d’Oujda et son armée des frontières dont l’armement neuf et moderne n’avait même pas encore servi. Elle était commandée par son chef d’état-major qui préparait ce qui fut appelé plus tard «la confiscation» de l’indépendance. Aujourd’hui, après le soulèvement du 22 février 2019, la «Révolution du sourire» doit mettre fin à cette scélérate confiscation. C'est-à-dire permettre au peuple de reconquérir toutes ses libertés, à commencer par la mise en place d’une loi électorale qui empêche toute tentative de fraude aux élections à tous les niveaux, reconstruire des institutions crédibles, dont la composante humaine est réellement représentative, en veillant à une répartition équilibrée des pouvoirs dans une Constitution à réécrire, en érigeant des contre-pouvoirs, en inculquant la nécessité de rendre compte à tous les niveaux de l’acte de gestion, en réhabilitant la Cour des comptes notamment. Les compétences pour mener à bien tous ces chantiers existent et sont impatientes de se mettre à l’œuvre.
L’été est à nos portes. Faisons en sorte qu’il ne soit pas celui de la discorde. L’Histoire aime à se répéter, surtout que, 57 ans après, les mêmes rôles semblent avoir déjà été attribués pour rejouer la scène de la discorde sanglante. Le chef d’état-major a entre-temps pris du galon, un gouvernement provisoire se terre et un peuple dans l’expectative, partagé entre le sentiment de joie pour l’indépendance retrouvée et la crainte de sa confiscation une nouvelle fois !
Fort heureusement, il y a aussi l’espoir : les premiers rôles en 1962 étaient tenus par des jeunes trentenaires pour les plus âgés, et le peuple tenait le rôle du spectateur passif. Aucune femme n’était dans le casting. Aujourd’hui, les jeunes occupent la scène et veulent, aux côtés des femmes admirables, tenir les rôles principaux au milieu d’un peuple qui arpente les rues et les boulevards, dans la nouvelle pièce qui se joue en plein air, en ce début de XXIe siècle.
A. L. T.

 

 

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