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Rubrique Contribution

La symphonie «du nouveau monde» et ses dissonances à l’Opéra d’Alger

Par Dr Fethi Salah
Un minimum de pensée critique permettrait de ne pas tomber dans le piège du culte aveugle de la personnalité artistique et de l'éloge naïf et excessif de tout ce qui est offert aux oreilles du public algérien. Celui-ci a une grande âme, une conscience sensible et une perception intelligente qui lui permettent d'apprécier à sa juste valeur (positive ou négative) ce qu'il reçoit comme productions musicales. 
Or, même si le public ovationne et applaudit toute performance musicale, par habitude ou par respect aux musiciens, cela ne signifie nullement qu'elle soit réussie. Et c'est ici où ce même public a besoin d’être éclairé et de savoir, à travers la critique musicale objective et constructive, si ses ovations et ses applaudissements sont justifiés et à la hauteur de l’événement.
Le choix des œuvres pour un programme de concert peut être triplement significatif. Significatif pour celui qui les choisit ; significatif pour celui qui les réceptionne, mais significatif aussi par rapport au contexte (historique, social, culturel, politique) dans lequel les œuvres sont interprétées. Or la signification n’est pas forcément la même pour chaque cas. 
La célébrissime symphonie dite «du nouveau monde» du compositeur tchèque Antonin Leopold Dvorak (1841-1904) est l’œuvre musicale occidentale de tradition écrite choisie par le chef d’orchestre Amine Kouider pour inaugurer la nouvelle année de l’Orchestre symphonique de l’opéra Boualem-Bessaïh d’Alger le 27 janvier 2019.
Cette œuvre, la neuvième et dernière symphonie de Dvorak, fut composée entre janvier et juin 1893 et créée en décembre de la même année au Carnegie Hall par l’Orchestre philarmonique de New York sous la direction d’Anton Seidl. La renommée internationale du compositeur à l’époque lui permit non seulement de se faire inviter et d’obtenir la responsabilité de diriger le Conservatoire de New York entre 1892 et 1896, institution fondée en 1885, mais surtout le privilège de se faire commander une œuvre musicale qui serait fondatrice en quelque sorte de la «musique américaine». Cependant, et à l’instar de nombreuses autres œuvres musicales composées par d’autres compositeurs, notamment celles qualifiées par ailleurs «d’orientalistes», le titre s’avère quelque peu trompeur. Il faut savoir que le titre original en anglais était : Symphony from the New World, qui signifie «Symphonie (composée) depuis le Nouveau Monde», suggérant un point de vue européen. 
Ce n’est pas dans les propos de cet article de soulever la problématique de l’identité américaine de la symphonie en question, mais de nombreux écrits musicologiques sérieux, notamment ceux compilés ou réalisés par le musicologue américain Michael Beckerman (1993-2003), convergent vers l’idée que cette œuvre est autant du «vieux monde» que du «nouveau monde».
En effet, une analyse musicale structurale de l’œuvre, aussi sophistiquée soit-elle, ne permet pas l’identification de mélodies ou de rythmes propres aux autochtones amérindiens ou afro-américains. Les motifs et thèmes dans les quatre mouvements suggèrent plutôt les impressions du compositeur dans sa découverte d’une nouvelle ville (New York) et d’un nouveau continent. L’analyse est confirmée par les dires du compositeur lui-même lorsqu’il répondit au journaliste du New York Harald Tribune dans l’article du 15 décembre 1893 à l’occasion de la création de l’œuvre : «Je n’ai utilisé aucune des mélodies indiennes. J’ai simplement écrit des thèmes originaux […] ; je les ai développés avec les moyens des rythmes modernes, contrepoints et couleurs orchestrales.»  
Il s’agit, en réalité, non pas d’une inspiration   directe ou purement musicale, mais d’une inspiration extramusicale et notamment de la poésie, puisque c’est dans le poème d'Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882), intitulé Le Chant de Hiawatha (poésie en vers libres considérée comme fondatrice de la littérature américaine d’inspiration indienne du XIXe siècle) où résiderait la source principale d’inspiration de Dvorak. Nous sommes, dans ce cas précis, loin des œuvres musicales issues des recherches ethnographiques ou ethnomusicologiques qui puisent directement dans le répertoire traditionnel des chants et des musiques des autochtones, paysans ou autres, pour glorifier le génie de la terre, à l’exemple des œuvres de Bartók. Curieusement, par ailleurs, la symphonie en question est devenue à son tour une source d’inspiration pour de nombreuses chansons populaires américaines ou autres, à l’exemple de la chanson Going Home dont l’air est repris du thème du cor anglais du deuxième mouvement de la symphonie (celui inspiré, selon les dires de Dvorak, du poème du Chant de Hiawatha).  Le chef d’orchestre Amine Kouider ne semble pas être suffisamment renseigné sur cette œuvre en pensant naïvement qu’elle reflète la musique des Amérindiens comme il le déclare dans son passage à la Radio Chaîne III le jeudi 24 janvier, vers 9h15, en disant :      «Il (Dvorak) a découvert la musique amérindienne. […] Il a pris des thèmes traditionnels et les a mis sous une forme symphonique.»  Se baser sur des informations erronées et les diffuser sans vérification préalable de leur source, les érigeant même en critères pour le choix d’œuvres pour des programmes de concerts, ne sert pas la réputation du Maestro puisqu’il ne peut nier les propres dires du compositeur.  Mais ce qui intéresse le plus le public algérien, qu’il soit profane ou mélomane, c’est la sincérité dans l’interprétation et surtout un minimum de justesse musicale pour un orchestre censé  représenter l’Algérie dans le concert des nations.
La popularité de l’œuvre est telle qu’aucun chef d’orchestre qui envisage de l’interpréter n’a droit à l’erreur, c’est-à-dire laisser passer les nombreuses dissonances dues aussi bien aux innombrables fausses notes qu’à la non-maîtrise des difficiles passages mélodico-rythmiques et leur synchronisation, fait perceptible auditivement par la majorité des oreilles du public présent au concert, même non connaisseur de cette œuvre. A l’ère d’internet, n’importe quel citoyen possédant un smartphone peut écouter les interprétations de tous les orchestres symphoniques du monde par Youtube et comparer avec celle que vient d’offrir au public de l’Opéra d’Alger la baguette du chef Amine Kouider. 
Certes, le public peut être fier d’avoir un opéra, un orchestre symphonique et un chef d’orchestre. Mais il ne peut comprendre pourquoi choisir des œuvres dont les difficultés d’exécution sont au-delà des capacités techniques de l’orchestre. 
Le public algérien est-il dans l’obligation de payer 800 DA pour écouter des dissonances ? Le public algérien n’a-t-il pas droit à la justesse musicale ? N’a-t-il pas droit à la qualité d’interprétation ? Le problème relativement grave de l’Orchestre symphonique de l’Opéra actuellement est qu’il semble s’accoutumer de plus en plus des dissonances qu’il produit sous la tolérance consciente ou non de son chef. Lorsqu’on ne distingue plus la consonance de la dissonance dans le cadre de la musique tonale ou modale (c’est-à-dire dans toutes les musiques qu’interprète l’Orchestre jusqu’à présent), l’oreille perd ses repères sonores (quelque chose de similaire se passe quand on écoute la musique dite atonale ou celle électro-acoustique). L’écoute plonge alors dans les méandres de l’imagination fantaisiste. On écoute beaucoup plus son imagination que la réalité dans laquelle on baigne. 
La mission, désormais prioritaire, du chef d’orchestre est d’amenuiser les dissonances et non pas de les propager dans l’espace algérien en pensant que les oreilles algériennes leur sont insensibles. Mais cette tâche nécessite aussi une réévaluation du travail interne de l’orchestre (travail assez long, régulier et rigoureux par pupitre et par familles d’instruments) et l’instauration d’une sorte de formation continue que méritent les musiciens, chose qui réclame de toute évidence des moyens. 
Un espoir, d’autre part, viendrait du naissant Orchestre des jeunes d’Algérie qui a tout à apprendre de l’expérience de son aîné, mais de ses erreurs aussi. 
L’opéra d’Alger Boualem-Bessaïeh ne mérite pas d’abriter des dissonances qui pourraient nuire à sa réputation grandissante, malgré son jeune âge, d’autant plus qu’il représente désormais, grâce à la diversité de ses spectacles, une des vitrines les plus importantes de la culture musicale en Algérie.
F. S.

 

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