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Rubrique Contribution

L’agriculture saharienne pourrait-elle combler le déficit en produits alimentaires stratégiques des Algériens ?

Par Dr Bachir Chara(*)
De pays exportateur de produits agricoles, l’Algérie est devenue, au cours des trois dernières décennies, un grand importateur de produits alimentaires. Les dépenses effectuées par le pays au cours des années 2017 et 2018, communiquées par les services des douanes et reprises par l’APS, sont révélatrices de cette inquiétante situation. 

On constate que l’Algérie a mobilisé respectivement 8,438 et 8,573 milliards de dollars pour les années 2017 et 2018 pour l’importation de produits alimentaires. Les produits céréaliers occupent une place prépondérante dans ces importations avec 3,1 milliards de dollars en 2018, soit 36,16% de l’enveloppe globale. Les besoins en produits céréaliers sont en continuelle augmentation, ils ont représenté une progression de 10,65% en 2018 par rapport à 2017, soit 330 millions de dollars. Même si durant le premier trimestre 2019 un léger recul a été enregistré sur les importations de produits alimentaires par rapport à la même période de 2018, à la suite des restrictions imposées par les pouvoirs publics qui ont interdit l’importation de huit cents produits alimentaires. Ces chiffres montrent combien il est urgent pour le pays de trouver des solutions à même de réduire cette dépendance alimentaire vis-à-vis de l’étranger.
L’épisode du coronavirus, qui a vu toutes les nations, de peur de voir la pandémie durer dans le temps, garder leurs stocks de produits alimentaires pour leurs populations respectives ; les difficultés de trouver des produits alimentaires sur le marché international et les problèmes qu’on trouve pour les acheminer, en raison de la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes dans la majorité des pays, nous imposent, en tant qu’Algériens et en perspective d’autres situations similaires, de retrousser nos manches pour produire localement ce dont notre peuple aura besoin en pareilles circonstances. 

Comment y parvenir 
La première action consiste à arrêter l’empiétement sur les terres agricoles, surtout celles à haut potentiel. Pratique qui a produit un véritable massacre sur les terres agricoles au cours des trente-cinq dernières années. À la fin des années 1980 s’est produite une véritable saignée sur les terres agricoles se trouvant au voisinage des grandes villes du pays qui ont changé de statut au moment où elles ont été intégrées dans le Plan directeur d’aménagement urbain (PDAU). Des milliers d’hectares du littoral, antérieurement utilisés pour les cultures maraîchères de primeur, dont leurs produits remplissaient, dans le passé, les étals des plus grands marchés de gros d’Europe, notamment français, ont ainsi été engloutis par le béton et l’asphalte. La décennie noire qui a suivi a également sa part de responsabilité dans le rétrécissement de la SAU à la suite d’un exode rural sans précédent qui a été à l’origine de l’installation de bidonvilles dans le voisinage des grandes agglomérations et encore une fois sur des terres agricoles. 
La population des villes est passée de 3,8% en 1962 à 70% de nos jours (déclaration de Malika Maameri, directrice de la politique de la ville au ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville, le 21 février 2018, dans l’émission «L’invité de la rédaction» de la radio Chaîne 3) d’où un besoin énorme en logements. 
Il faut également noter que le démantèlement des domaines autogérés, introduit par l’application de la loi 87-19 du 8 décembre 1987, qui a démembré les grandes exploitations (domaines autogérés) en EAC (Exploitations agricoles collectives) et des EAI (Exploitations agricoles individuelles), installées sur de moyennes à petites surfaces, a  contribué à cette réduction de la SAU. 
En effet, ne pouvant supporter les charges élevées de la mécanisation et l'intensification des cultures, surtout en l'absence de crédits bancaires, du fait que les agriculteurs ne disposaient pas d'actes de propriété, préalable pour les banques pour débloquer les crédits, certains «agriculteurs» se sont désistés au profit des municipalités pour la création de nouveaux lotissements, provoquant la disparition complète d’anciens domaines autogérés. Ce déchaînement sur l’extraction des terres agricoles s’est poursuivi avec une cadence extraordinaire et sans aucune retenue au cours des deux dernières décennies avec la mise en place d’infrastructures routières, dont le tracé aurait pu éviter certaines surfaces si on n’avait pas choisi les solutions de facilité.
Le clou a été enfoncé avec la réalisation du programme de trois millions de logements du président de la République, dont les autorités chargées de trouver les assiettes foncières ont jeté leur dévolu et sans retenue également sur les terres agricoles.   
Il faut absolument mettre fin à cette dynamique dévastatrice des terres agricoles que rien ne pourrait remplacer, même celles du Grand Sud algérien, qui offrent quelques possibilités mais ne pourraient avoir le potentiel des terres du nord du pays. Il n’y a qu’à prendre exemple sur les autres pays qui n’affectent les terres de leurs plaines qu’aux travaux agricoles. Leurs infrastructures industrielles et urbaines sont, la plupart du temps, réalisées sur des terres marginales, situées, le plus souvent, au niveau des reliefs. 
Par contre, en Algérie, surtout durant les deux dernières décennies, les activités industrielles ont impacté les terres agricoles, au grand dam des véritables agriculteurs, ce qui a été permis grâce à la complicité de certains décideurs locaux et nationaux. Une tournée rapide dans la Mitidja et sur le littoral algérois permettra, à celui qui veut, de se rendre compte de ces actes qu’on peut qualifier de criminels.
À ce propos, il faut souligner que la surface agricole totale de l’Algérie est estimée à 48 673 240 d’hectares, soit 20,44% de la surface totale du pays ; par contre, la surface agricole utile n’était que de 8,458 millions d’hectares, statistiques du ministère de l’Agriculture de 2008 (Abdelmalek Ahmed Ali, «La législation foncière agricole en Algérie et les formes d’accès à la terre», Montpellier Ciheam options méditerranéennes : série B, études et recherches ; N°66, 2011). La question que l’on peut se poser : ces chiffres reflètent-ils la réalité du moment sachant que le dernier Recensement général agricole (RGA) remonte à 2001 ? Les empiétements qui n’ont cessé depuis ont très certainement réduit la SAU de plusieurs centaines de milliers d’hectares de terres à très haut potentiel agricole, comme celles de la Mitidja, du littoral algérois, des plaines du Haut-Cheliff, de la Mina (Relizane), des hautes plaines sétifiennes et constantinoises, de la plaine du Seybouse et autres, que seul un recensement rigoureux des terres agricoles, reporté à plusieurs reprises, pourrait évaluer. 
La deuxième action qui semble nécessaire à entreprendre consisterait en une refonte de la politique agricole du pays. Comme mentionné précédemment, les terres agricoles du domaine privé de l’État ont été morcelées et mises à la disposition, dans le cadre de la loi 87-19 du 8 décembre 1987, des travailleurs permanents des domaines autogérés et de beaucoup d’autres personnes qui n’avaient rien à voir avec le travail de la terre. 
Cette répartition obéissait à des règles définies dans la loi précitée qui n’ont pas tenu compte des capacités et de l’engagement de chacun de travailler la terre. Du jour au lendemain, les terres, qui étaient cultivées dans un cadre collectif, tenant compte des progrès techniques et scientifiques, se sont retrouvées entre les mains de personnes qui, parfois, n’avaient ni les moyens matériels et financiers, ni l’engouement pour les travailler, ni les qualifications techniques requises pour répondre aux objectifs assignés par l’article 1 de la loi 87-19 du 8 décembre 1987, à savoir : 
- assurer l’exploitation optimale des terres agricoles ; 
- augmenter la production et la productivité dans le but de satisfaire les besoins alimentaires de la population et les besoins de l’économie nationale. 
Commence alors une descente aux enfers de l’agriculture algérienne, même si certains responsables du secteur clament haut et fort que l’activité agricole se porte bien dans le pays. Il n’y a qu’à voir les terres qui sont laissées en jachère, les plantations arboricoles qui ont disparu de la carte, le manque d’entretien des vergers arboricoles et leur dépérissement, les vignobles arrachés exposant les terres à l’érosion éolienne, l’augmentation de la salinité des sols à la suite de la destruction des canaux de drainage (exemple : plaine de la Mina et de Mohammadia dans l’Ouest algérien) pour ne citer que celles-là. Cette situation est la résultante du laisser-aller de certains ouvriers permanents des domaines autogérés d’hier, devenus milliardaires aujourd’hui, qui se sont mis à louer la terre au lieu de la travailler et à vendre sur pied ses produits à des maquignons peu regardants sur les pratiques culturales et l’entretien des vergers. 
Le seul souci de ces derniers est d’en tirer le plus grand profit, même si cela conduit à l’épuisement des sols et la détérioration du patrimoine arboricole. La récolte avant maturité des fruits, devenue une habitude ces dernières années, pour la mettre sur le marché d’une manière précoce afin d’obtenir de meilleurs prix, est l’une de ces pratiques qui affaiblissent l’arbre et conduisent à son dépérissement, sans pour autant fournir au consommateur un produit de qualité. 
Le peu d’investissements pour moderniser et intensifier la production agricole, le manque d’eau, qui a été mobilisé pour les projets industriels, additionné au manque de main-d’œuvre et au vieillissement des agriculteurs bénéficiaires de la réforme introduite par la loi 87-19 du 8 décembre 1987 ainsi que le non-respect des itinéraires techniques des différentes cultures (travaux des sols, engraissement et amendement de ces derniers, taille des arbres, traitements phytosanitaires, utilisation de semences hybrides à haut potentiel, récolte des produits dans les délais requis) ont fait que les rendements restent relativement faibles (exemple un hectare de tomate sous serre utilisant des variétés hybrides peut fournir jusqu’à 2 500 quintaux par hectare alors que dans les mêmes conditions, avec des semences ordinaires, il ne produira que 400 à 500 quintaux/hectare). 
La loi numéro 08-16 du 3 août 2008 portant orientation agricole et la loi 10-03 du 15 août 2010 fixant les conditions et les modalités d'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'État ont essayé d'apporter des solutions au problème de dépendance alimentaire auquel le pays est confronté mais n’ont pas été suivies de résultats notables en raison des lourdeurs administratives et des blocages des institutions financières. À ces contraintes s’ajoute le fait que depuis la nouvelle réforme qui a démembré les domaines autogérés, l’État n’avait plus aucune emprise sur la politique de production agricole du pays. Les cultures d’importance stratégique ont souvent laissé place aux spéculations, plus lucratives. 
La culture des céréales, moins rémunératrice, a été remplacée, dans certaines régions, par d’autres spéculations dégageant plus de profits, telles que le melon, la pastèque, le  raisin de table et la pomme de terre pour lesquels l’Algérie dégage aujourd’hui un excédent. 
Notant toutefois que les semences de pomme de terre, de melon et de pastèque sont toujours importées de l’étranger et à des prix forts. 

C’est cette liberté dont disposent, de nos jours, les agriculteurs, installés sur des terres publiques, qui fait que les plans de cultures ne favorisent nullement la production de denrées stratégiques telles que les blés (dur  et tendre) et l’orge. Comment inverser cette tendance ? Plusieurs solutions peuvent être envisagées.

1- L’État doit faire valoir ses droits de préemption 
La loi n°10-03 du 15 août 2010 fixant les conditions et les modalités d’exploitation des terres agricoles du domaine privé de l’État établit dans son article 13 que le droit de concession est cessible, transmissible et saisissable. Elle énonce également dans son article 22 que les exploitants concessionnaires sont tenus de conduire directement et personnellement leur exploitation agricole. 
L’article 23 de la même loi précise que la gestion de l’exploitation et la préservation des terres agricoles et des biens superficiaires y rattachés concédés doivent être assurées de façon régulière, permanente et conforme aux dispositions de la législation en vigueur, à celles de la présente loi, ainsi qu’aux clauses, prescriptions et obligations fixées par le cahier des charges cité à l’article 4 de la loi et aux obligations conventionnelles prévues dans son article 22. 
En outre, l’article 26 de la loi 10-03 du 15 août 2010 détermine les raisons qui peuvent mettre fin à la concession, notamment son alinéa 3, qui stipule que la durée du droit de concession prend fin par suite d’un manquement aux obligations du concessionnaire. Dans un tel cas, les terres concédées ainsi que les biens superficiaires sont repris par l’État, dans la situation où ils se trouvent. Les manquements aux obligations de l’exploitant concessionnaire sont précisés dans l’article 29. Il s’agit de : - détournement de la vocation agricole des terres et/ou des biens superficiaires ; 
- non-exploitation des terres et/ou des biens superficiaires durant une période d’une année ;
- sous-location des terres et/ou des biens superficiaires ;
- non-paiement de la redevance à l’issue de deux années consécutives. Ces manquements doivent être dûment constatés par un huissier de justice comme mentionné dans l’article 28 de la loi. 
Un recensement des terres privées de l’Etat permettra de mettre en évidence tous les manquements cités plus haut, location des terres, vente sur pied, utilisation des terres agricoles à des fins industrielles, commerciales (salles des fêtes, locaux commerciaux), habitations, complexes sportifs, activités de loisir et autres.
L’immobilisme du secteur face à cette situation de plus en plus catastrophique a encouragé de telles pratiques. On est en droit de se poser la question de ce que font les structures déconcentrées et décentralisées du ministère de l’Agriculture, du développement rural et de l’agronomie saharienne.  Quel est leur plan de charge si ce n’est veiller à la préservation du patrimoine agricole du pays et son développement ?
Si les surfaces agricoles utiles du secteur privé se maintiennent et accueillent d’importants investissements productifs, alors que celles du secteur public s’effilochent de jour en jour, bien qu’elles constituent les meilleures terres que l’Algérie possède. Pour arrêter une telle catastrophe, l’État algérien doit réagir pour    préserver le patrimoine et garantir une certaine sécurité alimentaire pour les générations futures. Deux possibilités peuvent être envisagées. La première consisterait à procéder à un remembrement des exploitations pour les rendre plus fiables, pouvant accueillir des investissements à même de valoriser leur potentiel, tout en préservant le patrimoine et l’utiliser pour assurer la sécurité alimentaire des Algériens. Dans ce sens, une nouvelle réforme est nécessaire, voire indispensable. 
La deuxième solution, plus radicale, et demandant une grande volonté politique, consisterait tout simplement à privatiser la terre, avec un cahier des charges contraignant allant dans le sens de la sacralisation de la terre et que tout manquement pourrait conduire son auteur à de graves sanctions pécuniaires et pénales. 

2- Mettre fin au laxisme de l’État 
Le silence de l’État doit laisser place au purisme recherché pour bâtir une agriculture nourricière pouvant répondre aux besoins alimentaires des citoyens en périodes de crise financière et de pandémie. Pour ce faire, l’agriculteur algérien ne doit compter que sur ses capacités, ne pas se confiner dans ses habitudes traditionnelles du travail de la terre, moderniser ses outils de production dans le cadre d’une agriculture intégrée, préserver les terres pour les générations futures et surtout développer les cultures stratégiques dont le pays a besoin. Le financement de l’agriculture et les aides octroyées par l’État doivent s’inscrire dans cette dynamique et non permettre la spéculation comme cela a été le cas avec l’aide fournie par l’État pour augmenter la capacité de stockage et de conservation des denrées alimentaires et des semences, qui ont été détournées de leurs objectifs et sont maintenant utilisées pour créer la pénurie et booster les prix qui sont devenus inaccessibles, même pour les bourses moyennes. 
L’État doit également avoir une attitude ferme vis-à-vis de certains maquignons qui se permettent de jeter dans les décharges publiques les produits alimentaires pour diminuer l’offre sur le marché et maintenir les prix à des niveaux élevés, ce qui est anti- économique et anti-social. Cela a été également le cas pour certaines ressources halieutiques, comme la sardine, poisson des classes pauvres, dont d’énormes quantités pêchées sont remises à la mer pour ne pas faire jouer la loi de l’offre et de la demande.

3- Remettre en place les fermes- pilotes à des fins de vulgarisation, de recherche et de production de semences
Comme mentionné précédemment, l’importation de semences potagères est devenue une pratique incontournable, qui engage de fortes sommes en devises que le pays mobilise pour leur acquisition. Cela est encore aggravé par l’inertie du secteur de la recherche malgré la pléthore d’instituts de recherche et de développement agronomique. L’exemple de la pomme de terre dont l’Algérie importe 120 000 à 150 000 tonnes de classe E nécessaires à l’emblavement des superficies affectées annuellement à cette spéculation et qui coûtent entre 95 à 100 millions de dollars au pays (déclaration de Abdelkader Bouazghi, ex-ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, le 18 décembre 2018 à Guelma, lors d’une visite à la ferme-pilote Richi-Abdelmadjid) est assez significatif. Les résultats souhaités avec la création de la société Sagrodev de Sétif-Guellal, filiale du groupe Gvapro, qui est censée fournir les mini-tubercules de classe G Zéro (G0) et leur multiplication pour obtenir des tubercules de première génération G1 afin de les utiliser dans cinq exploitations réparties à travers le territoire national, qui semblaient réunir les conditions de production free virus, de tubercules de troisième génération, représentant la semence de type E que l’Algérie importe, restent hypothétiques. Même les objectifs assignés à cette opération, à savoir la production de 60 000 tonnes de pomme de terre de classe E pour 2021 (déclaration du directeur de la ferme-pilote Richi-Abdelmadjid, Brahim Boucetha), objectif qui reste d’ailleurs à concrétiser, est loin de combler les besoins annuels des agriculteurs pour cette spéculation. 
Il faut souligner que ces initiatives de production de la semence de pomme terre remontent au milieu des années 1990 et qu’à ce jour nous n'en sommes qu'aux premiers balbutiements. Que dire des autres semences potagères pour lesquelles aucune initiative n’est prise par les instituts de recherche et de développement. Quelle recherche doivent-ils faire si ce n’est développer des variétés hybrides à haut rendement, résistantes aux maladies et adaptées aux conditions écologiques locales. Ont-ils les capacités matérielles et intellectuelles pour ce faire ? Cela n’est probablement pas le cas, mais il faudrait que l’État mobilise des moyens financiers pour mettre à niveau les compétences et introduire les équipements nécessaires à la production de semences ;   mieux vaut tard que jamais. Les thèmes de recherche que l’État finance doivent répondre à des objectifs stratégiques du pays et les chercheurs qui les prennent en charge doivent être tenus de fournir des résultats. 
La vulgarisation doit constituer la cheville ouvrière pour la production agricole et cela d’autant plus que la grande majorité de ce qui  reste des exploitants des terres privées de l’État sont peu regardants sur les techniques et les avancées technologiques en matière de production et se contentent de continuer à travailler la terre de la même manière qu’ils le faisaient il y a trente ou quarante ans. Même les enfants de ceux qui ont quitté ce monde et qui ont repris les exploitations de leurs parents ne sont pas suffisamment outillés pratiquement et intellectuellement pour embrasser une carrière d’agriculteur s’ils ne sont pas encadrés par des institutions spécialisées. 

4- Améliorer le rendement des cultures
Le rendement des cultures en sec, notamment celui des céréales cultivées dans le Tell, les Hauts-Plateaux et les hautes plaines steppiques du pays, est déterminé par le volume des précipitations et leur répartition spatio-temporelle. 
La variabilité des pluies intra et inter-annuelle qui caractérise les zones de production précitées constitue un handicap majeur pour les espèces céréalières d’exprimer leur entière potentialité, cela d’autant plus que généralement le déficit hydrique intervient en deux périodes, la première se situant en octobre-novembre, au moment des semis et entraîne souvent des échecs en matière de germination des graines, et la seconde en mars-avril, période correspondant aux phases tallage, montaison et épiaison des blés et de l’orge, ce qui se répercute sur le nombre de talles en le réduisant, les difficultés de formation des épis et des épillets et le grossissement des grains. 
Cette contrainte climatique détermine donc le niveau des rendements de ses spéculations. Une bonne année céréalière correspond donc à une pluviométrie régulière et bien répartie dans l’espace et dans le temps. Mais eu égard aux caprices du climat méditerranéen, qui n’assure pas cette régularité spatio-temporelle, il est souhaitable d’avoir des alternatives de rechange qui permettent de procéder aux irrigations d’appoint pendant les périodes de stress hydrique. Comment y parvenir ? Deux possibilités : 
1- mobiliser une partie des eaux des barrages pour l’irrigation des cultures, faudrait-il que les agriculteurs suivent, en se dotant des équipements nécessaires à l’irrigation dans les grandes étendues céréalières et que les barrages soient suffisamment alimentés par les eaux de pluie pour couvrir les besoins en eau des populations et de l’agriculture. Toujours est-il que d’importants investissements sont nécessaires pour l’adduction de l’eau jusqu’aux surfaces céréalières ; 2- la création de  retenues collinaires dans les endroits qui s’y prêtent et qui soient proches des exploitations céréalières. Cette possibilité offre plusieurs avantages, notamment la proximité des exploitations, la faiblesse des investissements, l’augmentation des capacités de stockage des eaux pluviales, qui d’habitude se déversent dans la mer, et l’augmentation substantielle de la production céréalière avec une réduction non négligeable des coûts de production.
Dans la situation actuelle, avec les 3 à 3,5 millions d’hectares de SAU réservés à la céréaliculture et un rendement moyen de 13,5 quintaux à l’hectare en conditions favorables, la production annuelle atteindrait 40,5 à 47,25 millions de quintaux et ne pourrait, par conséquent, satisfaire que 40 à 60% des besoins alimentaires de la population algérienne qui se chiffrent à plus de 80 millions de quintaux par an. Il faut donc arriver à avoir une moyenne de 23 à 25 quintaux par hectare pour atteindre l’objectif de sécurité alimentaire en produits céréaliers. Les zones sud du pays peuvent offrir l’opportunité d’augmenter la surface agricole utile de quelques centaines de milliers d’hectares, faudrait-il qu’ils soient utilisés pour la production de céréales, car pour le moment les cultures maraîchères occupent une place de choix, ce qui n’est pas une mauvaise chose, vu que cela a permis d’atteindre une autosuffisance en certains produits maraîchers, notamment la pomme de terre de consommation, bien que les rendements doivent être améliorés et les prix à la consommation réduits. Toutefois, l’expérience tentée durant la deuxième moitié des années 1980 dans une ferme-pilote à Gassi Touil, sud de Hassi Messaoud (wilaya de Ouargla) sur 2 000 hectares (Daniel Dubost, «Le blé du Sahara peut-il contribuer à l’autosuffisance de l’Algérie», bulletin de l’Association des géographes français, 1991), si elle était prometteuse en matière de rendement (90 à 100 quintaux par hectare durant les premières années), elle a vite échoué. Après le départ des Américains associés au projet, le rendement a vite chuté pour se situer autour de 30 quintaux par hectare, ce qui n’était plus rentable du fait des moyens considérables que cela mobilisait. 
Cette baisse du rendement était dû principalement à :
- l’utilisation de semences sales, fournies par l’OAIC et provenant des exploitations du nord du pays, donc souvent associées à une multitude de graines de mauvaises herbes, telles le ray gras, le phallaris, la moutarde des champs, la folle avoine et d’autres espèces. Se retrouvant dans des milieux aussi vierges que ceux des zones sahariennes, ces mauvaises herbes ont rapidement colonisé les surfaces d’emblavures et concurrencé les céréales cultivés ; 
- l’absence d’amendements : les sols des zones sahariennes étant squelettiques, à texture sablonneuse et structure légère donc à faible capacité de rétention et facilement lessivable, pour lesquels il fallait apporter des engrais chimiques lors de chaque mise en culture et durant le développement végétatif des plantes, nécessitant par conséquent un itinéraire technique strict, qui n’était pas respecté.
Les expériences récentes dans les wilaya de Ouargla (Ngoussa, Gassi Touil, Sidi Khouiled, Ouargla, El Hedjira et Touggourt) sur 2 600 ha en 2020 et des prévisions de récoltes de 38,5 quintaux en moyenne par hectare, soit un total de 100 000 quintaux et dans le sud de la wilaya de Ghardaïa sur une surface emblavée de  8 098 hectares en 2019-2020 avec une évolution de 17,12% d’emblavement par rapport à 2018 et un rendement moyen attendu de 50 quintaux par hectare pour le blé dur (6 957 ha), 70 quintaux/hectare pour le blé tendre (188 ha) et 40 q/ha pour l’orge (953 ha) (source : Mustapha Djakboub, DSA de Ghardaïa, Algérie Eco, 18 avril 2020).
Au vu de ces résultats et compte tenu des perspectives qu’offre le Sud algérien en matière de superficies pouvant être cultivées en céréales, qui sont évaluées entre 220 000 et 250 000 hectares, on peut considérer que les capacités de production céréalière du Sud peuvent atteindre, avec l’emblavement de la totalité des surfaces mentionnées ci-dessus, une production de l’ordre de 11 à 12,5 millions de quintaux, qui représentent 14 à 15,6% des besoins ; proportion non négligeable, mais  très loin de couvrir le déficit du pays en ces denrées alimentaires qui fournissent 60% de l’apport calorique et 75 à 80% de l’apport protéique de la ration alimentaire de l’Algérien (Institut technique des grandes cultures, ITGC, 1996). Toutefois, pour rendre cet apport réel et le pérenniser, il faudrait que l’État ramène l’électricité à proximité des surfaces exploitables, que des forages atteignant la nappe albienne soient réalisés, que les agriculteurs procèdent à l’amendement des sols, utilisent des semences propres et suivent un itinéraire technique adapté aux conditions locales. Il serait souhaitable d’associer aux céréales, dans l’assolement, des cultures fourragères tout en développant des élevages bovins, en stabulation entravée, pour la production de lait. Les fientes provenant de ces élevages seront utilisées pour amender les sols. C’est cette combinaison entre production céréalière et élevage qui assurera la pérennité de l’activité agricole dans ces zones sahariennes.  
Cessons par conséquent de croire au mirage du Sud et valorisons les terres du nord du pays pour assurer la sécurité alimentaire des Algériens. Cela ne veut nullement dire qu’il faut arrêter d’entreprendre dans le Sud, mais plutôt préserver le potentiel agricole du Nord et assurer sa valorisation. En conclusion, nous pouvant dire que c’est en prenant de telles mesures qu’on pourra mettre à la disposition du consommateur algérien des produits agricoles en quantité suffisante et de qualité, et éviter la propagation de pratiques condamnables, telles que la récolte avant maturité des fruits et des légumes dont la consommation n’offre pas beaucoup d’avantages sur les plans diététique et nutritionnel. 
En outre, l’encadrement des agriculteurs permettra d’éviter à ces derniers de s’adonner à des pratiques plus dangereuses pour la santé humaine en étant très peu regardant sur la nature et les quantités de pesticides qu’ils emploient pour protéger leurs cultures, encore moins sur les délais de récoltes après des traitements phytosanitaires. La biodégradation des produits chimiques utilisés peut varier d’une molécule à une autre, entre dix à quinze jours après leur application. Délais que les agriculteurs, volontairement ou par méconnaissance, n’observent pas et mettent sur le marché leurs produits contenant des résidus de pesticides, qui ne sont pas sans innocuité sur la santé humaine (problèmes de maladies, incidence sur la procréation…). Pour éviter que cette situation ne s’aggrave, l’État, à travers ses structures de contrôle de la qualité et de la répression des fraudes, doit veiller à ce que les produits agricoles mis à la disposition des consommateurs algériens soient conformes à la réglementation. Dans ce cadre, il faut souligner, même si ce n’est pas l’objet ici, qu’il existe à travers le territoire national d’énormes quantités de pesticides périmés, stockées dans des conditions lamentables entraînant des problèmes de santé publique et d’environnement. Pour ne citer que les quantités de produits acquis, de façon démesurée, dans le cadre de la lutte antiacridienne (dix millions de litres), reçus à la fin de l’opération en 2004 ; pour faire quoi ? Ces quantités sont actuellement stockées à travers tout le territoire et particulièrement dans les régions sud du pays, à écosystèmes fragiles. Produits périmés, donc ne pouvant être utilisés pour des opérations à venir de lutte contre le criquet pèlerin. Le fardeau est maintenant entre les mains de l’État algérien qui doit trouver les solutions pour réduire les nuisances de ces stocks de pesticides. Une première opération urgente consistant à éviter les déversements à même le sol de ces produits, qui créerait des problèmes écologiques graves, est à mener. Elle consiste à transvaser ces produits dans des contenants adaptés pour éviter les fuites de ces produits très corrosifs qui endommagent très rapidement les contenants métalliques. La deuxième opération interviendra plus tard pour leur destruction dans des incinérateurs spéciaux qui préservent la santé humaine et l’environnement. Cela étant, on gère aujourd’hui les erreurs et les égarements du passé. 
B. C.
(*) Ex-vice-président de l’Assemblée populaire nationale. Ex-président de la Commission permanente, chargée de l’agriculture, de l’environnement et des ressources naturelles du Parlement panafricain.

 

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