Placeholder

Rubrique Contribution

Le procès du système Bouteflika ou le jugement de la grande corruption d'État

Par Djamal Kharchi*
N'eût été l'ampleur et la détermination du mouvement citoyen du 22 février 2019, à l'origine de la destitution du Président Bouteflika et conséquemment de la chute des membres de son clan, jamais le peuple algérien n'aurait imaginé voir un jour, en direct sur les écrans de télévision, deux ex-Premiers ministres, en l'occurrence Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, assis au banc des accusés dans l'enceinte d'un tribunal où tous les acteurs de la justice présents à l'audience; magistrats, avocats, greffiers, partagent un seul et même sentiment, celui de participer à un procès historique, unique dans les annales judiciaires de l'Algérie indépendante : le procès du système Bouteflika. Assurément, la scène paraît presque surréaliste. A observer les deux inculpés, front bas, visage grave, enfermés dans un lourd silence, sous le regard presque incrédule des agents de sécurité, il est difficile de se les représenter au temps où, actifs dans les sphères du pouvoir, ils régnaient en maîtres absolus sur le pays. Intouchables, ils jouissaient de facto d'une immunité totale quelle que fût la gravité de leurs actes. Inaccessibles aux sanctions de la règle juridique, ils agissaient en toute impunité, au point d'affronter l'opinion avec une impudence qu'ils n'eussent pas osée s'ils ne se sentaient protégés au plus haut niveau de l'Etat. Depuis toujours, une ligne rouge tacite indiquait la limite au-delà de laquelle il n'était pas possible de faire valoir le sacro-saint principe que nul n'est au-dessus des lois.
L'Histoire a de ces rebondissements que tout peut être remis en cause du jour au lendemain. La vie des nations est si pleine d'enseignements à ce sujet. Le colonialisme en est un parfait exemple. Que sont devenus les colons dominateurs et arrogants d'hier, pour qui l'indigène était un sous-homme incapable de réfléchir par lui-même. Ces vers d’Aragon, tirés d'un de ses sublimes poèmes, sont si éloquents que tout un chacun pourra les méditer: « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse .» Ces mots sonnent si justes que tout détenteur d'un quelconque pouvoir d'Etat devrait s'en imprégner et en tirer une leçon de vie à bien des égards. Si le pouvoir aveugle, la raison éclaire et commande à l'esprit sagesse et lucidité lorsque la cupidité tente, contre tout bon sens, d'imposer sa suprématie.
Ouyahia, Sellal, ministres, walis, hauts fonctionnaires, banquiers inculpés pour corruption caractérisée, passe-droits, octroi d'indus avantages à des entrepreneurs  privés  et  hommes d'affaires véreux ; tous ces tristes personnages sont les acteurs zélés de la prédation et du pillage à grande échelle qu'a connus le pays sous l'ère Bouteflika. 
Ce jour-là, la foule des curieux agglutinés devant le palais de justice n'en croit pas ses yeux lorsque arrivent, à grand renfort de gendarmes et de policiers antiémeutes, les deux fourgons cellulaires. Dans l'un se trouve Ouyahia, dans l'autre Sellal, deux symboles forts du système Bouteflika. Le dispositif de sécurité qui se déploie aussitôt est impressionnant. Il y a de la nervosité dans l'air. La tension est palpable. Les commentaires des citoyens vont bon train dans la foule compacte qui, de loin, tente en vain d'apercevoir les prisonniers en cours de transfert vers l'intérieur du tribunal. Pour les uns, c'est un procès politique. La sélection des cibles est manifeste. En somme, un règlement de comptes entre clans du pouvoir. Il n'y a ni juge indépendant, ni défense digne de ce nom, ni débat contradictoire. Une parodie de justice, une mascarade politico-médiatique. Pour les autres, la majorité apparemment, c'est un procès dans les règles qui va permettre de juger ceux qui ont sciemment mis le pays au bord de la faillite avec la complicité de puissants oligarques dont les pratiques frauduleuses n'ont absolument rien à envier à celles de la mafia.
Journalistes et représentants des médias sont tenus à l'écart dans la grande salle des pas perdus au rez-de-chaussée du palais de justice, tandis que l'audience se déroule à l'étage supérieur. Les inculpés sont tour à tour interrogés sur les infractions dont ils se sont rendus coupables dans la mise en place d'une industrie de montage automobile et sur le financement occulte de la campagne électorale du 5e mandat du Président déchu. Confondus par des preuves accablantes, irréfutables, les ex-Premiers ministres et ministres inculpés apportent aux questions du juge des réponses déconcertantes où se mêlent mensonges, mauvaise foi et manque de respect flagrant envers le peuple algérien. 
Les chefs d'inculpation établis à l'encontre d'Ouyahia sont lourds: octroi d'indus avantages, abus de fonction, conflit d'intérêts, corruption, blanchiment d'argent, dilapidation de deniers publics. Les pièces à conviction parlent d'elles-mêmes. S'agissant de ses comptes bancaires non déclarés et des sommes colossales en dépôt dans deux d'entre eux, Ouyahia donne une réponse par défaut: « Les trente milliards n'ont rien à voir avec mes activités politiques ou mes fonctions gouvernementales .» Mais il reste muet sur leur véritable origine. Tout comme il ne pourra expliquer nombre d'omissions de biens immobiliers dans sa déclaration de patrimoine. A la fin de son audition, le procureur qualifie Ouyahia «d'homme sans principes et sans morale».
Sellal, lui, réunit des chefs d'inculpation de même nature que ceux qui pèsent sur Ouyahia, auxquels s'y ajoute le financement occulte de la campagne présidentielle. A ce sujet, il déclare : «Je n'ai aucune idée de l'argent et des fonds liés à la campagne électorale.» S’agissant de deux comptes bancaires ouverts à son nom pour réunir les fonds, il a cette réponse évasive : «On me l'a dit, mais je ne sais rien à ce propos.» Il affirmera même au sujet de factures douteuses. «Je signais sans savoir ce que je signais».» Encore une esquive, un tissu de mensonges. Quant à la déclaration de patrimoine toujours et encore des omissions «volontaires», à croire que les dirigeants de ce pays deviennent amnésiques au gré des nécessités du moment. 
Ouyahia, exécuteur des basses œuvres, cheville ouvrière du système Bouteflika, personnage détestable aux yeux de l'opinion, il cristallise toutes les colères du peuple. Ce monstre obscur à sang-froid dont les dirigeants des entreprises publiques se souviendront encore longtemps de la fameuse «faute de gestion» introduite à son initiative dans le corpus pénal, qui deviendra l'instrument d'une justice arbitraire à l'origine de l'emprisonnement d'un grand nombre de cadres. C'était le premier pas avant qu'il ne se transforme en huissier de liquidation des entreprises du secteur public économique, cédées à presque rien à une faune d'affairistes-prédateurs.
En comparaison, Sellal ne fut qu'un épouvantail, un amuseur de galerie tout au plus, jovial à souhait aux heures les plus graves, par inconscience ou simple bêtise. Son seul mérite est d'avoir su donner au « ridicule politique » ses lettres de noblesse.
Nul besoin d’évoquer l'audition des ministres inculpés, les révélations sont sordides. Tous les accusés sont de la même engeance. Ils ont ignoré la loi. Ils ont fait fi de toutes les lois. Ceci ressort de décisions prises à la seule fin d'avantager des magnats de la finance malsaine, proches du cercle des Bouteflika dont l'esprit de lucre a irrigué les pensées et inspiré les conduites. Des passe-droits, des dénis de droit d'une telle ampleur, commis par des hommes d'une telle envergure, que l'Etat en fut ébranlé sur ses bases. A la barre, les accusés ont évoqué des montants, objet de marchandages, qui donnent le tournis. Une valse de milliards. Des sommes faramineuses d'argent sale circulaient entre politiques et oligarques avec pour enjeu le pillage de l'économie nationale. Une collusion diabolique entre les milieux de l'affairisme sauvage et les cercles du pouvoir. Une délinquance politico-financière qui a substitué la loi de la force à la force de la loi.
Ainsi donc deux anciens Premiers ministres ont comparu devant le juge sur des accusations éminemment graves, sans qu'il y ait eu le moindre repentir de leur part. Ils n'ont exprimé aucun mot de regret ou de pardon envers le peuple algérien. Rien de tout cela, sinon la persistance dans le mensonge et la mauvaise foi. Malgré les lourdes condamnations prononcées, le procès Ouyahia et Sellal laisse un goût d'inachevé, en ce sens que la qualification des charges retenues contre eux n'est pas en rapport avec leur statut politique. Il s'agit bel et bien de deux Premiers ministres, des hommes politiques de premier rang, qui, à l'époque de la commission des faits, tenaient les rênes du pouvoir. En conséquence de quoi, les infractions dont ils se sont rendus coupables peuvent être assimilées à une atteinte à la sûreté de l'Etat et au bon fonctionnement de l'économie nationale. Et pour cause, celles-ci vont du pillage économique à l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, de l'atteinte au crédit de l'Etat à la mise en péril de la paix intérieure. Il aurait été plus opportun, au regard de l'Histoire, que la qualification des faits incriminés comporte une dimension politique, en dehors des considérations purement pénales.

Quatre mandats ponctués de scandales financiers
Faut-il désespérer des hommes politiques et ne leur accorder aucun crédit ? Est-ce une fatalité purement algérienne que de voir d'année en année la corruption gangréner un peu plus profondément le pays?
Dans les années 2000, le scandale Khalifa a éclaboussé la classe politique et de hauts responsables de l’Etat. Corruption, détournement de biens publics, abus de confiance, association de malfaiteurs... sont autant de chefs d'accusation établis à l'encontre de Rafik Khalifa, ce golden boy, surgi du néant, qui, du jour au lendemain, se retrouve à la tête d'un empire privé avec une compagnie d'aviation, une banque, une chaîne de télévision et des filiales à l'extérieur. En fait, la façade respectable cache un circuit de corruption et de blanchiment d'argent à grande échelle qui va engloutir les fonds d’entreprises publiques et de petits déposants appâtés par des taux d'intérêts hors normes. Ce scandale sans précédent derrière lequel se profilait l’ombre de la fratrie Bouteflika aura coûté des sommes astronomiques à l'Etat, lorsque vint à chuter l'empire Khalifa. Ainsi, Bouteflika plaçait-il son premier mandat sous le signe de la corruption. Encore une autre grosse affaire que le scandale de l'autoroute Est-Ouest qui a éclaté en 2009. Des faits de corruption à haut niveau entachèrent ce projet dit «projet du siècle». Ils seront à l'origine de la surévaluation de son coût initial, qui de sept milliards de dollars va passer à 13, voire 18 milliards de dollars. Une facture exorbitante, un gouffre financier. C'est le kilomètre d'autoroute le plus cher au monde. Les rétrocommissions versées par des entreprises étrangères pour l'obtention des différents marchés du projet ont permis de remonter la chaîne de corruption qui aboutit à de la haute hiérarchie du ministère des Travaux publics, sauf que les proches du sérail présidentiel ne seront guère inquiétés. Seuls les sous-ordres ont été condamnés. Mais tout n'est pas fini. La récente réouverture du dossier au niveau de la Cour suprême a donné lieu à l'inculpation du ministre des Travaux publics de l'époque, jusque-là épargné de toutes poursuites judiciaires.

C'est là l'exemple le plus révélateur du système Bouteflika, corrompu et corruptible. L'affaire Sonatrach a défrayé la chronique en 2010 tant en Algérie qu'à l'étranger. Le ministre de l'Energie de l'époque, Chakib Khellil, et plusieurs hauts responsables de l'entreprise, dont le P-dg, étaient accusés d'avoir perçu des pots-de-vin de groupes étrangers pour leur permettre de décrocher de juteux contrats de services et équipements pétroliers. Ce réseau de corruption bâti sur des montages financiers sophistiqués avait des ramifications notamment en Italie (ENI-Saipem) et au Canada (SNC Lavalin). L'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, un proche parmi les proches du clan Bouteflika, se trouve au cœur de ce scandale politico-financier qui, à ce jour, n'a pas livré tous ses secrets. 
Le scandale Khalifa, celui de l'autoroute Est-Ouest, le scandale Sonatrach, et pour couronner le tout, le lourd dossier des indus avantages accordés à des hommes d'affaires ou prétendus tels, sous couvert de financement d'une industrie automobile naissante. Il s'agit en l'espèce de la création de sociétés écran ayant bénéficié indûment d'agréments et de marchés, ainsi que d'avantages fiscaux, douaniers et fonciers, sur la base d’un cahier des charges conçu à la seule fin de donner l'illusion que l'Algérie dispose d'une industrie automobile, alors que la réalité est tout autre. Les pertes accusées par le Trésor public, à la suite de ces pratiques frauduleuses, ont atteint la somme de 128 milliards de dinars. Un trou abyssal dans les finances publiques. Mais quel coût pour l'économie nationale?
Le système de corruption sous l'ère Bouteflika fonctionnait de telle sorte que la raison d'Etat prime sur la morale d'Etat. Ainsi ministres, walis, députés, sénateurs et hauts responsables, forts de solides appuis, étaient exonérés de toute responsabilité, tandis que boucs émissaires et sous-ordres se voyaient, eux, imputer infractions et dépassements en tout genre passibles de poursuites pénales. 
Le cas de l’ex-ministre de l’Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, est édifiant à plus d’un titre. Le scandale du «Panama Papers» en avril 2016 le prit en flagrant délit de possession d’un compte dans un paradis fiscal. L’intéressé a utilisé les services d’une société fiduciaire panaméenne pour créer, une année après son entrée au gouvernement, une société offshore dénommée «Royal Arrival Corp», afin de dissimuler une grosse somme d’argent libellée en francs suisses. Mais il ne fut nullement inquiété par la justice et, comble de tout, eut l’outrecuidance de menacer de poursuites devant les tribunaux quiconque mettrait en doute sa probité. Il est vrai que sa proximité avec le cercle présidentiel lui assurait une immunité à toute épreuve. 
Tandis que l’affaire Bouchouareb faisait la une des journaux, sans incidence aucune sur l’intéressé, Chakib Khelil, lui, revenait en Algérie, malgré son implication directe dans le scandale Sonatrach. L’Algérie n’était plus à un scandale près. La corruption était érigée au vu et au su de tous en institution d’Etat.

Faut-il juger Bouteflika, le maître d'œuvre de la déliquescence nationale ?
Dans une lettre d'adieu datée du 2 avril 2019, le Président Bouteflika déclare en substance dans le passage suivant : «Je ne puis achever mon parcours présidentiel sans vous adresser un ultime message et demander pardon à ceux, parmi les enfants de ma patrie, envers lesquels j'aurais sans le vouloir, manqué à mon devoir en dépit de mon profond attachement à être au service de tous les Algériens.» 
Faut-il se satisfaire de ces quelques mots pour pardonner vingt années d'une présidence des plus calamiteuses que l'Algérie ait connue depuis l'indépendance? Encore que le pardon ne s'adresse pas au peuple algérien en tant que tel. A aucun moment, Bouteflika ne reconnaît la moindre faute ou erreur. Si nombre d'arguments plaident pour lui épargner la justice des hommes, compte tenu de son état physique et mental très dégradé, d'autres arguments sont de nature à convaincre du contraire, au regard de l'immense préjudice qu'il a causé à la Nation et au peuple. Mais au-delà de ces considérations, il faut bien admettre que Bouteflika est en train de subir une lourde peine. Le tribunal de l'Histoire l'a jugé et le peuple condamné. Le mépris de toute la Nation l'accompagnera à jamais.
En fait, Bouteflika traîne un lourd passé en termes de probité et de confiance. Souvenons-nous, n'a-t-il pas en 1969 ordonné aux chefs de missions diplomatiques et consulaires de transférer, à des fins frauduleuses, les reliquats de fin d'exercice budgétaire vers deux comptes ouverts auprès de la société des banques suisses. Dans un arrêt définitif en date du 8 août 1983, la Cour des comptes a établi le détournement de fonds publics. Le quotidien El Moudjahid, voix officielle du pouvoir, donnait le lendemain les détails de cette opération de dilapidation de deniers publics libellés en devises fortes. Malgré ces actes répréhensibles, Bouteflika échappa de peu à la prison, grâce à la protection de Chadli Bendjedid, alors président de la République. Une telle infraction moralement et juridiquement condamnable aurait dû constituer un motif rédhibitoire à sa candidature à la présidentielle de 1999. Le Conseil constitutionnel a laissé passer, mais il n'en sort guère grandi vis-à-vis de l'Histoire. Ce manquement délibéré à sa mission aura coûté cher, très cher, à la Nation. En somme, Bouteflika aura commis une forfaiture de plus, une fois revenu au pouvoir, mais celle-ci sans commune mesure avec la précédente.

La lutte contre la corruption sera sans exclusive ou ne sera pas
Combien de ces hommes corrompus à l'excès continuent d'échapper au bras séculier de la justice. Certains ont pris la fuite à l'étranger, d'autres sont toujours au pays, mais guère inquiétés. La rumeur publique les a depuis longtemps identifiés et a décliné un à un les biens mal acquis, à l'exemple de l'ex-wali d'Alger, l'ex- secrétaire général de l'UGTA, certains promoteurs immobiliers ou des patrons de chaînes de télévision, entre autres. La lutte contre la corruption ne doit être ni ponctuelle, ni sélective. Pour être crédible aux yeux de l'opinion publique, elle devra être impartiale, sans exclusive et sans faille. Il s'agit d'extirper à la racine ce mal qui ronge le pays.
L’ère Bouteflika a fait de l’Algérie un pays corrompu au plus haut sommet de l’Etat. Elle a jeté l’opprobre sur tout un peuple et son histoire séculaire. Comment concevoir une telle atteinte à l’image de l’Algérie et sa réputation ? Ne fut-elle pas chef de file du mouvement des Non-alignés ? La Mecque des révolutionnaires ? Le bastion des causes juste ? La voix autoproclamée du Front du refus et de la fermeté ? Autant de titres de fierté pour des générations d’Algériens ternies par un seul individu.

La lutte contre la corruption du temps de feu Houari Boumediène 
Dès son accession au pouvoir en juin 1965, le Président Houari Boumediène a, dans plusieurs de ses discours, dénoncé les corrompus et les corrupteurs. Il en parlait comme d’un danger national. D’ailleurs, il imposait aux membres du Conseil de la révolution de renseigner des formulaires détaillés sur leur patrimoine personnel ainsi que celui de leur famille et belle-famille. Boumediène fit de la lutte anti-corruption une priorité de son action politique. Aussi, a-t-il créé à la faveur de l’ordonnance du 21 juin 1966, trois cours spéciales de répression des infractions économiques, respectivement à Alger, Oran et Constantine. Il s’agissait de juridictions d’exception dotées de compétences dérogatoires aux règles de droit commun. Le Président Houari Boumediène était profondément convaincu que la paix sociale, la stabilité, la sécurité et l’indépendance économique du pays ne sauraient être durablement assurées par un système politique fondé sur la corruption, la gabegie et l’incurie. 
Les cours spéciales de répression des infractions économiques disposaient d’un pouvoir prétorien. Leurs décisions n’étaient susceptibles d’aucun recours juridictionnel. De même que l’échelle des peines était particulièrement sévère. A cet égard, lesdites cours ont prononcé plusieurs peines capitales, toutes exécutées après le rejet du recours en grâce. 
Le combat du Président Houari Boumediène contre la corruption eut des résultats probants dus notamment à la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel très dissuasif. Il est utile de rappeler qu’il fut lui-même un exemple de probité et de rectitude morale. A l’heure où le peuple algérien assiste à des procès en nombre où se trouve impliquée une bonne partie de la classe politique, il faut bien souligner qu’à son décès, le Président Boumediène n’a laissé ni patrimoine foncier et immobilier, ni comptes bancaires généreusement garnis. A quelques jours du quarante-deuxième anniversaire de sa mort, il est heureux de le rappeler pour l’Histoire, mais si malheureux de voir comment Bouteflika a honoré la mémoire de celui dont il se prétendait fils spirituel.

Lutter contre la corruption, le défi de l’heure
Si avec Chadli Bendjedid la corruption est allée en grandissant, sous l’ère Bouteflika, elle s’est étendue comme l’hydre de la mythologie, expansive et tentaculaire. Pour preuve, une cascade d’affaires aussi pestilentielles les unes que les autres. Un blanc-seing politique a été accordé aux membres du sérail présidentiel pour piller, dilapider, détourner, falsifier… Aussi incroyable que cela puisse paraître. Le ministre de la Justice en personne leur assurait l’impunité complète. Et que dire du directeur général de la Sûreté nationale, un prédateur insatiable passé maître dans l’art de l’accumulation illicite de richesses ? L’indice de perception de la corruption 2018 établi par l’ONG Transparency International classe l’Algérie à la 105e place sur 180 Etats. Elle obtient un score de 35 points sur 100, ce qui la place bien après la Tunisie, le Maroc ou le Bénin. La guerre à la corruption est une urgence nationale, une priorité parmi les priorités. Il ne s’agit pas de la combattre par le discours, mais par des actes effectifs et le recours aux moyens appropriés que sont la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances, l’Office central de répression de la corruption, sans exclure les organes internes de contrôle au sein des entreprises et organismes publics. Il s’agit de réhabiliter la mission de contrôle de l’Etat en vue de restaurer le lien social rompu. Marginalisés et ostracisés, les organes de contrôle n’ont pu exercer librement leurs missions régaliennes au service de la société. De là, s’impose la nécessité de les renforcer statutairement et juridiquement afin de les mettre à l’abri des pressions de l’exécutif d’une part, et consacrer leurs relations directes avec l’ordre juridictionnel, d’autre part.
Platon, le grand philosophe de l’Antiquité, place les vertus de la justice au centre de la République, en tant que matrice essentielle de l’éthique politique. L’institution judiciaire est en effet seule en mesure de donner la crédibilité qui sied à la lutte anti-corruption. A cet égard, «la nouvelle République», promise par le nouveau Président, devra bannir à jamais le souvenir de l’ère Bouteflika.
D. K.

*Ex-directeur général de la Fonction publique, écrivain, docteur en sciences juridiques

Placeholder

Multimédia

Plus

Les + populaires de la semaine

(*) Période 7 derniers jours

  1. Intempéries Quatre personnes secourues à Tizi-Ouzou

  2. Air Algérie annonce la suspension de ses vols à destination de la Jordanie et du Liban

  3. Trafic de drogue Un réseau tombe à Oran

  4. Sfisef (Sidi-Bel-Abbès) Lumière sur l’assassinat des 3 taxieurs retrouvés enterrés dans une ferme

  5. CNR Les retraités appelés à utiliser la technique de reconnaissance faciale via "Takaoudi"

  6. KFC Algérie ferme deux jours après son ouverture

Placeholder