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Rubrique Contribution

L’école au temps du choléra

Nos concitoyens — à juste titre – évoquent les temps obscurs du Moyen-âge pour qualifier la réapparition du choléra dans notre pays, mais aussi dans d’autres. Mais est-ce la maladie en elle-même qui est moyenâgeuse ? Contrairement aux être humains, les «maladies de la honte»  n’ont  pas de date de naissance. Mais  un lieu de naissance, certainement : elles naissent là où l’esprit du Moyen-âge souffle dans les mentalités et façonne les attitudes et comportements.
Dorénavant, il est clairement établi que la scène politico-médiatique algérienne est dotée de deux «Familles Révolutionnaires». La première est connue. La dernière en date, d’obédience wahhabiste, se compose de partis politiques avec leurs  associations et syndicats-satellites, de médias privés et de bienfaiteurs dont certains sont «cocaïnisés». Elle est très active notamment par ses prises de position concernant l’Ecole algérienne. A la veille de chaque rentrée scolaire, depuis 2014, cette «Famille Révolutionnaire Wahhabiste» (la FaReWa) fait sonner la  charge à ses ouailles, au sein même de l’institution scolaire. A grands coups de «fake news» (rumeurs et intox) ! N’est-ce pas qu’une de ses anonymes coordinations d’enseignants-satellites n’a pas hésité à porter plainte contre la ministre de l’Education nationale ? Le comble pour  des enseignants dont le devoir est de chercher les solutions pédagogiques pour améliorer la qualité de l’enseignement de leur discipline ! L’objet de la plainte ? Un procès en sorcellerie  sur la base d’une «fake news» (rumeur infondée) concernant l’inévitable réorganisation technique de l’examen du bac. En décodé : bloquer, immobiliser, faire perdurer le statu quo, fossiliser les mentalités, tirer sur tout ce qui bouge. Quitte à mentir ! Voilà le quotidien des pratiques de la FaReWa, de ses soutiens et de ses satellites.
Comme toute famille, cette «Famille Révolutionnaire version wahhabiste» a ses parrains : des figures emblématiques choisies pour leur aura au sein du cercle familial. Il s’agit de l’Association des oulémas. Qui n’a rien à voir avec l’originale, celle de feu Cheikh Abdelhamid Ben Badis, plus ouvert, plus tolérant et plus sage. En français, «oulémas» veut dire savants — «îlm» signifiant savoir scientifique. De prime abord, pour un esprit cartésien, cette association renfermerait en son sein des savants/chercheurs bunkérisés dans leurs laboratoires de chimie, de physique, de sciences naturelles ou de sciences humaines. 
Or, ce n’est pas le cas. Le scientifique part à la recherche de la Vérité, alors que le religieux se fait l’interprète de la Vérité révélée. Nos «oulémas» sont versés dans une interprétation à géométrie variable du Saint Coran, selon leurs vision wahhabiste. Nous avons vu les wahhabistes du monde entier, dont les nôtres, s’opposer frontalement aux coranistes. Ces derniers sont des érudits musulmans qui proposent de revenir au seul Saint Coran comme UNIQUE référence religieuse et de l’analyser à l’aune des sciences modernes. Sacrilège ! Par contre, les membres de la FaReWa sont férus de hadiths, les faux comme les demi-vrais, rarement les vrais. 
D’ailleurs, en matière de hadiths, l’unanimité est loin d’être au rendez-vous des musulmans : chaque école du sunnisme ou du chiisme revendique ses hadiths préférés. Au sein de cette «Famille», l’Islam des Lumières, celui de nos ancêtres, n’est pas en odeur de sainteté : il la déstabilise dans son dogme wahhabiste. 
Bien coachés par des spécialistes en propagande de masse, ces militants du wahhabisme choisissent des moments opportuns pour lancer leurs piques, identiques à celles des baâthistes algériens des années 1980-1990 qui réclamaient l’éviction de la langue française de l’école primaire. Revendication reprise de plus belle par cette nouvelle Famille. Le sport favori de la «FaReWa» ? Une présence médiatique sur des plateaux acquis à leur cause. Comme c’est le cas des attaques portées contre l’ex-sélectionneur national, Rabah Madjer, au motif qu’il s’est exprimé en français lors d’une de ses conférences de presse. Notre gloire nationale a eu l’insigne honneur de figurer dans un communiqué/guillotine signé de l’Association des Oulémas algériens.
 Pour cette cuvée 2018, la FaReWa a ciblé deux moments-clés pour crier sa colère face au danger qui menace ses «constantes nationales wahhabisées» d’où est éjectée l’amazighité. Au lendemain de l’annonce des résultats du bac 2018 et à la veille  de la rentrée scolaire. La famille wahhabiste sait que l’audimat lui sera assuré grâce à certains TV et journaux privés de la même obédience. 
L’année dernière, à la  même période, ils avaient déclenché une tempête dans un verre d’eau en dénonçant l’absence, dans certains manuels scolaires, de la formule sacrée écrite en arabe (la «bismallah» ou au nom de Dieu le Miséricordieux). Toutefois, ils n’ont pas pris le soin d’évaluer ces manuels. Nos gardiens du temple wahhabiste veulent éloigner l’opinion publique des véritables enjeux que doit négocier notre système scolaire et notre société. Au fait, se sont-ils un jour prononcés sur ce qu’il se passe dans l’Université algérienne – notamment le plagiat massifié de futurs «douktours» et la terreur que sèment des associations-satellites quasi militarisées ? A l’opposé du bruit médiatique autour du «danger fantasmé» sur leurs fameuses constantes nationales, les wahhabistes algériens affichent un silence assourdissant sur des éléments-phare de la politique éducative. 
Décodage
Le silence est souvent synonyme de prise de position. Fortement préoccupés par le devenir de l’école algérienne, nos Oulémas ne nous ont servi aucune  analyse pédagogique sérieuse sur les contenus des manuels scolaires. Ils n’ont jamais pipé mot sur les conditions de vie des enfants des régions enclavées des Hauts-Plateaux, du Sud ou des montagnes du nord du pays. Aucune suggestion ou proposition pour éradiquer la misère scolaire qui frappe ces zones ou pour contenir la démographie galopante qui hypothèque tout effort de développement du pays. 
Silence radio sur le taux effarant de redoublement en 1re année d’université ou sur le choix de la filière charia demandée par près de la moitié des bacheliers – et ce, au moment où nous manquons cruellement de scientifiques et de mathématiciens. Bouche cousue sur l’apartheid linguistique qui pénalise les élèves de l’Ecole publique. Leurs enfants étant bien au chaud dans des établissements privés où le français et l’anglais règnent en maîtres.
Toutes ces carences, et d’autres, ont été cernées et listées par la Conférence nationale d’évaluation de la réforme organisée en juillet 2016. Ce sont ses recommandations qui leur donnent de l’urticaire. Les solutions que doit apporter le MEN vont ruiner leur fonds de commerce judicieusement dénommé «constantes nationales». Voyons de plus près ce qui les dérangent.
Concernant la langue arabe. Ont-ils un jour demandé à ce que soit modernisée la méthode d’enseignement de la langue arabe et que son volume horaire soit en phase avec la norme internationale appliquée à la langue d’enseignement ? Jamais ils n’ont remis en cause le surdosage horaire de cette discipline scolaire au primaire où son volume horaire hebdomadaire est le triple de cette norme : un cas unique dans les annales de la pédagogie universelle ! Pas même dans les pays arabes !
Un surdosage qui ne motive pas l’élève et qui induit automatiquement une diminution du volume horaire des mathématiques, de l’éducation scientifique, de tamazight, du français, de l’EPS et de l’éducation artistique. Et cela dure depuis plus de trois décennies — malgré les efforts de redressement en cours. Non ! Cela ne les fait même pas sourciller. Boulets rouges  contre la volonté du ministère de revaloriser le référent culturel algérien, et ce, en familiarisant nos élèves avec les auteurs du patrimoine littéraire national (en arabe, tamazight et français) et universel. 
Des auteurs, jusque-là exclus des manuels pour des générations d’élèves : exclusion admise et revendiquée. 
Au sujet de l’Histoire. Pourquoi ces voix sont-elles restées inaudibles devant l’effacement de tout un pan de l’Histoire d’Algérie – la période des rois amazighs, de saint Augustin, de la Kahina, de Koceilah, Yughurtha… ? Selon eux, cette Histoire d’Algérie — la vraie en réalité —appartient à la Jahilia et n’a pas lieu d’être enseignée aux enfants d’Algérie. N’a-t-on pas vu des thèses universitaires dédiées à cette période refusées à des étudiants ? Se taire et encourager la pédagogie de la haine de soi : voilà à quoi se résume le programme d’Histoire des wahhabistes algériens. 
Pour eux, une priorité : la falsification de l’Histoire et la suppression des us et coutumes de nos terroirs algériens. Ils s’évertuent à nous fabriquer une autre identité importée d’Asie. Il y a pire que l’extermination physique d’un peuple ou d’une communauté : cela s’appelle génocide culturel. Nos Oulémas font-ils preuve de patriotisme ? On ne les a pas entendus dénoncer les propos fielleux de l’Emir de Sarjah qui prétendait que c’est De Gaulle qui a donné l’indépendance à l’Algérie. Une injure à nos valeureux chouhada. Font-ils preuve d’humanisme tel que prôné par le Saint Coran ? Nul communiqué portant leur cachet dénonçant les boucheries collectives et les massacres d’enfants yéménites perpétrés par la coalition menée par l’Arabie Saoudite ? Il est plus facile (et juteux) de s’émouvoir devant les massacres causés par la soldatesque sioniste en terre de Palestine. 
Pour l’Islam wahhabisé. C’est en 1990 que l’éducation islamique a intégré les emplois du temps de nos élèves, avant c’était l’ECMR (éducation civique morale et religieuse). Elle n’a d’islamique que le nom. En réalité c’est de l’éducation wahhabiste qui a été inoculée à des générations d’élèves (les supplices de la tombe – comment laver un mort, etc.). Cela n’a jamais été dénoncé. Ont-ils un jour exigé de revoir ces contenus archaïques, ou la méthode désuète de l’enseignement de cette discipline ? Se sont-ils inquiétés du fait que malgré leurs milliers de leçons d’éducation wahhabisée engrangées durant leur cursus scolaire, nos élèves trichent  et fraudent en masse pour avoir une bonne note ? Et que, biberonnés à cette forme d’éducation, ils deviennent adultes avec des réflexes anti-écologiques et donnant une prime à la saleté ambiante, à la laideur des quartiers et des villages.
En réalité, derrière les «fake new» comme armes pour la défense de leurs «constantes nationales wahhabisées» se cachent les vrais mobiles de leur colère. 
Ce qui les irrite au plus haut point est que le MEN soit décidé à effacer ces lacunes et, surtout, donner le cap de la qualité à une école algérienne enfin réconciliée avec son algérianité – avec notamment la multiplication des classes de tamazight en dehors de la Kabylie. Là, ils crient au complot ourdi par «l’Occident mécréant». 
Le choléra est une maladie de la honte qui peut être éradiquée par la science médicale. Toutefois, il existe une autre forme de choléra plus dangereuse, plus pernicieuse pour laquelle les médecins sont impuissants : le «moyennâgisme». Il vous plonge tout un peuple dans un coma culturel. Allah yestar ! (que Dieu nous en protège !)
A. T.
 

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