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Rubrique Contribution

Leçons des 20 août 1955 et 20 août 1956 : le sens de l’Histoire

Par Karim Younès
Et si ce n’était qu’un feu de paille ? L’insurrection, le 1er Novembre 1954, ne s’éteindra pas. Des hommes avec le sens inné de la responsabilité et du sacrifice prendront le relais des braves qui ont soufflé sur la mèche. Ils infléchiront le cours de la guerre, en lui donnant le souffle dont elle avait besoin : Youcef Zighoud par l’action du 20 août 1955, Abane Ramdane par l’organisation du Congrès du 20 août 1956.

20 août 1955, l’embrasement
Des étapes de la lutte armée vers sa destinée, il y en a eu plusieurs. D’abord celle du 20 août 1955, opération politique et militaire d’envergure, soit la phase difficile traversée par le FLN/ALN.  L’offensive n’était pas un acte isolé de désespoir. L’opération avait été pensée et ordonnée par Zighoud qui s’était imposé une retraite au douar Boussatour avant de convoquer ses compagnons au douar Zamane. Les objectifs  fixés étaient, entre autres, de donner un souffle nouveau au mouvement insurrectionnel, de relever le moral des militants engagés dans la lutte, de montrer sa capacité de mobilisation des masses populaires.
Il faut ajouter aux objectifs de l’opération déclenchée en territoire de la future Wilaya II  la nécessité de desserrer l’étau qui étranglait les autres régions du pays sous le feu des forces d’occupation, notamment les Aurès et la Kabylie.
C’est une révolte populaire sans précédent, une réponse cinglante à l’administration coloniale qui faisait des opérations déclenchées en novembre 1954 l’œuvre d’une poignée d’individus, sans attache avec le peuple algérien.
Le soulèvement qui avait embrasé l’Est algérien a charrié toutes les haines, les rancœurs accumulées depuis la pénétration coloniale. L’esprit de vengeance était fortement ancré, la volonté de briser le carcan colonial une question d’honneur, quel qu’en soit le prix.
L’administration coloniale va utiliser tous les moyens pour venir à bout de la rébellion : les renforts par mer, les bombardements aériens des zones rurales, la contre-offensive des troupes de terre appuyée par les colons qui tinrent là une occasion de satisfaire leurs bas instincts sera rapide, expéditive, sans sommation, sans égard pour les vieillards, les femmes et les enfants. Les historiens considèrent que la France était entrée en guerre en Algérie au lendemain du 20 août.
On y découvrira des charniers de plus de quinze mille victimes dans la région concernée contre une centaine d’Européens tués et  autant de blessés... (précision : le FLN a établi un bilan entre douze et quatorze mille victimes de la répression ayant suivi le 20 août).
Mais le flambeau de la Révolution s’est rallumé, la flamme ne s’éteindra plus. Bilan politique de l’opération d’août 1955 : toute la moitié est de l’Algérie s’est mobilisée. Les Wilayas I et II bordant la frontière avec la Tunisie font jonction et étendent le mouvement né de Condé-Smendou. Elles se rapprochent de la frontière avec la Tunisie d’où elles se ravitailleront en armes et munitions.
C’est ainsi également que la Wilaya III étendit même son influence jusqu’à Alger.
À partir de l’automne 1955, le FLN intérieur prend son essor. L’ALN sort renforcée des opérations de Skikda, les masses populaires ont été soulevées sous la bannière du FLN/ALN. Elles ne rebrousseront plus chemin, elles gonfleront les effectifs de l’armée algérienne.
L’inlassable action de Abane Ramdane pour rassembler toutes les couches sociales, représentées au niveau des organisations politiques ou sociales, présageait d’un renforcement de la lutte armée.
Zighoud et son état-major lui ont donné corps. Des historiens présentent clairement Abane comme le père fondateur du FLN.
Au plan extérieur, les objectifs de l’état-major de Zighoud sont confortés : il s’agissait de propulser les efforts de médiatisation de l’«affaire algérienne» devant les instances internationales.

Le 20 août 1956, le Congrès de la Soummam ou la révolution institutionnalisée
À partir de 1956, le FLN, qui a su rassembler toutes les forces politiques et sociales, devient la seule force qui contrôle tout le pays. Le Congrès de la Soummam, le 20 août 1956, donnera une assise politico-militaire qui confirme et complète la déclaration de l’appel du 1er Novembre.
D’ailleurs, le principe tant décrié par les détracteurs de Abane, «la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, ce qui signifie que rien ne peut être fait sans l’accord de ceux qui se battent sur le terrain» (Boudiaf, El Djarida n°15 p.14 ; Paris 1976), figurait en bonne place dans la proclamation du 1er Novembre. De même que la nature de l’État algérien.
La Révolution est structurée, des institutions mises à jour, des hommes nouveaux prennent la relève des martyrs qui ont «allumé la mèche».
C’est bien la première fois que se réunissent des responsables venus des quatre coins du pays, représentant les combattants qui luttent contre un ennemi commun avec la volonté de libérer le pays de l’occupation coloniale et de restaurer l’État algérien.
C’est bien cette coordination entre les forces de tout le pays qui a cruellement manqué aux résistants algériens de 1830 à 1954, d’Ahmed Bey à l’Émir Abdelkader, de Fadhma n’Soumer à Bouamama, de Bouziane à El-Mokrani. Les rencontres avaient lieu dans des hameaux éclairés à la lampe à huile, les repas servis dans les plats en terre sont ceux des paysans pauvres, les convives étaient les plus grands responsables de la Révolution qui menaient une vie de maquis frôlant la mort à tout moment.
Les chefs de la Révolution s’alignèrent en ce 20 août 1956, et l’un à la suite de l’autre se penchèrent pour apposer leur signature au bas d’un document posé à même une niche creusée dans le mur d’une maisonnette qui domine fièrement la vallée de la Soummam où coule l’oued témoin de tant de combats depuis l’impérialisme romain jusqu’au colonialisme français.
Pour organiser une telle rencontre, il fallait un miracle que seuls des hommes de la trempe des Krim Belkacem, Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane, Lakhdar Bentobal, Zighoud Youcef, Amar Ouamrane pouvaient accomplir.
Abane Ramdane, comme coordinateur, représentant le FLN, secrétaire du Congrès (considéré comme étant la cheville ouvrière et l’architecte des travaux) ; Larbi Ben M'hidi, représentant de la zone V, président du Congrès (autorité historique et intellectuelle incontestable) ; Krim Belkacem (zone III) ; Amar Ouamrane (zone IV) ; Youcef Zighoud (zone II) ; Lakhdar Bentobal, adjoint de Zighoud, et  son collaborateur ont été les maîtres d’œuvre de ce qui est considéré, depuis, comme l’acte fondateur de la Révolution.
La rencontre devait se tenir au début de l’année 1955, mais les circonstances extrêmement difficiles qu’a connues la marche de la Révolution n’ont pas permis de l’organiser avant le 20 août 1956.
«Le Congrès de la Soummam représentait ainsi cette forme extrêmement avancée à laquelle était arrivé le mouvement pour l’indépendance. Ses textes rappellent l’objectif politique stratégique : forcer, par le prolongement et le renforcement de la lutte armée, le gouvernement français à reconnaître le droit à l’indépendance du peuple algérien. Malgré les différentes crises au sein des organes dirigeants, le FLN a suivi une règle : rechercher à chaque fois l’accord unanime pour les questions importantes. Ce fut une tradition qui s’est enracinée au sein du FLN jusqu’à l’indépendance.»
Traverser l’Algérie de long en large avec le risque permanent de se faire prendre par l’ennemi, préparer dans la clandestinité les futurs textes de la Révolution par des moyens réduits, se réunir enfin pendant plus d’une dizaine de jours quasiment au cœur du dispositif répressif de l’armée coloniale est une gageure que ne peuvent ignorer que des esprits malveillants, auxquels l’Histoire de notre Révolution n’a octroyé que de petits paragraphes.  Voilà ce qu’en dit Ferhat Abbas et que devraient méditer aujourd’hui et demain les générations nouvelles, seules capables de regarder lucidement l’histoire de leur pays, loin des «faiseurs d’histoire officielle» :
«Abane Ramdane a eu le grand mérite d’organiser rationnellement notre insurrection en lui donnant l’homogénéité, la coordination et les assises populaires qui lui étaient nécessaires et qui ont assuré la victoire.»

Conclusion
Cette double date marquante de la lutte de Libération nationale peut naturellement être lue, comme toute œuvre humaine, sous le prisme de réalisations imparfaites ou comme étant des étapes incomplètes. Mais il reste que les apports des deux «20 août» à la consolidation de l’élan libérateur du 1er Novembre 1954 sont réels et tangibles.
Face à l’épopée de la Révolution qui a établi le destin national dans sa grandeur, les destins individuels faits de noms et de renoms sont autant de biens précieux dont la mémoire mérite d’être honorée en toutes  circonstances. Ces destins individuels sont indissociables du patrimoine historique de la nation algérienne.
K. Y.

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