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Rubrique Contribution

L’énigmatique contribution de Mouloud Hamrouche

Par Ahcène Amarouche
Ancien chef de gouvernement dit des «réformateurs», (septembre 1989 - juin 1991), Mouloud Hamrouche vient de sortir de sa réserve en publiant dans le quotidien El Watan une longue contribution aussi énigmatique qu’elliptique. D’aucuns ont déjà tiré la conclusion que, décisive tant par son timing (à moins de deux semaines de la convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle d’avril) que par son contenu, cette contribution est d’une lucidité qui «prend ses distances avec le bavardage politique immédiat» (voir la présentation de la contribution par Hassan Ouali). 
De fait, et si l’on met provisoirement de côté les références à l’histoire ancienne et moderne de l’Algérie, on pourrait attribuer la paternité de ce texte à n’importe quel spécialiste de philosophie politique qu’inspirerait davantage un Tocqueville qu’un Machiavel, en dépit de l’extraordinaire sens du réalisme politique de ce dernier, qui ne s’embarrassait ni de circonlocutions sur les motivations humaines, ni de bavardages sur les institutions.
Ainsi, l’auteur fait-il référence au modèle d’Etat westphalien ayant vu le jour en Europe comme à un type d’Etat instituant «définitivement et pacifiquement (sic) un lien charnel et indéfectible (re-sic) du triptyque : population, territoire et volonté nationale souveraine» sans se rendre compte de la mythification (voire de la mystification) qu’une telle proposition induit. Machiavel ne se serait pas arrêté à cette pétition de principe mais aurait étudié le mouvement réel qui a fait que, de 1648 (date de l’institution de la «paix de Westphalie») au 8 mai 1945 (date de la capitulation de l’Allemagne nazie devant les Alliés), un nombre impressionnant de guerres ont émaillé l’histoire de l’Europe où les Etats impériaux se disputaient populations, territoires et souverainetés (sans parler des guerres civiles – guerres intestines – qui rappelaient à chaque Etat impérial l’indomptable volonté des communautés humaines mises sous son autorité de s’en séparer).
Sans doute les révolutions politiques anglaise (1688-1689), américaine (1763-1775) et française (1789-1799) ont-elles été au fondement de l’élévation du lien entre l’Etat et la nation (celle-ci se définissant par une forme de cohésion entre le territoire et la communauté humaine qui l’occupe) au rang de principal paradigme politique. Mais c’est oublier que l’Etat, entité abstraite qui, par définition, transcende les intérêts de classes, a aussi eu de tous temps un côté concret en tant qu’Etat de classe comme l’affirment de grands philosophes et de grands politologues (d’obédience marxiste ou non) qui ne s’en tiennent pas à l’apparente mécanique des concepts mais cherchent derrière elle la réalité dialectique des faits. Que le modèle d’Etat-nation fondé sur le paradigme de l’Etat westphalien ait «libéré les peuples d’Europe de l’acte d’allégeance à des monarchies divines», c’est un fait indéniable sur le long terme. Mais il n’y eut pas d’automaticité entre cette libération et la «transmutation [qui] a permis aux citoyens de faire acte de fidélité à la communauté nationale, à l’Etat national de leur pays, à sa Constitution et non plus à ses dirigeants ou gouvernants». On sait dans quelles conditions la Constitution de la cinquième République française par exemple a été adoptée : la guerre d’Algérie en a été le principal mobile tandis qu’elle fut portée par un seul homme – de Gaulle – qui aurait pu dire à la suite de son adoption, à l’instar de Louis XIV : l’Etat, c’est moi ! Et si les évènements de mai 68 lui ont prouvé le contraire et qu’il en a tiré les conséquences en démissionnant, la Constitution de la cinquième République n’a plus eu depuis que l’apparence d’une Constitution en lien avec la communauté nationale. Le mouvement des gilets jaunes en France le prouve de façon on ne peut plus claire tant il ressemble aux évènements de mai 68, tandis que les traités européens vident de toute substance l’idée de souveraineté nationale si chère à de Gaulle. Commentant ces traités, Françoise Giroud dit même qu’il n’y a plus d’Etat français.
Plus généralement, et au contraire de ce qu’affirme Mouloud Hamrouche, le modèle d’Etat qu’il décrit ne met pas fin aux violences en homogénéisant les populations, les territoires, les pratiques religieuses et linguistiques mais il les homogénéise par la violence. Toutes les langues nationales officielles des pays d’Europe pour ne parler que de celles-là, furent originellement des langues régionales. Mais elles étaient parlées et écrites par les élites gouvernantes qui les imposèrent ensuite à coups d’interdictions qui frappaient la pratique des autres langues régionales (lesquelles ne survécurent que grâce à la ténacité de leurs locuteurs qui bravaient bien souvent la loi, voire l’Etat et ses institutions discriminantes). 
Cela étant, l’auteur a raison de souligner que «l’Etat et ses institutions obligent à ériger la vertu en emblème et en solution de toute question de gouvernance» mais ce n’est vrai que dans le principe. Dans les faits, et à moins de faire preuve d’un déni de réalité,  les  intérêts personnels, de groupe ou de classe en jeu dans les institutions ne font pas qu’évoquer la tentation de corruption : ils l’alimentent. Pire : ils l’érigent parfois en système de gouvernance – système duquel découle une telle désaffection des citoyens pour les institutions qu’ils en viennent à fuir le pays par toutes les voies qui le leur permettent. C’est que Etat et gouvernance ne sont pas aussi étrangers l’un à l’autre que le prétend l’auteur : dans les régimes présidentiels, le chef de l’Etat, qui est le garant moral de sa pérennité, est en même temps le chef de l’exécutif qui répond de la bonne ou de la mauvaise gouvernance. A l’un ou l’autre de ces titres, il lui arrive d’essuyer les plâtres d’une situation qu’il aura contribué à créer, à moins de basculer dans une autre forme d’Etat en faisant usage de la violence illégitime par excès d’autoritarisme, de clientélisme, de népotisme et de favoritisme ; toutes choses qui, associant la corruption à l’Etat, en altère la puissance morale et finalement son concept même.  
Quoique le phénomène de corruption ne soit pas propre aux pays sous-développés, il s’y manifeste avec la plus grande ampleur en l’état de faiblesses de leurs institutions, lesquelles offrent des occasions de corruption à tous leurs échelons, jusque et y compris l’échelon le plus élevé : l’Etat central. 
Puisqu’il est question de pays sous-développés, il convient d’examiner à présent les propos de Mouloud Hamrouche concernant notre pays – l’Algérie. 
Inutile de chercher ici à voir le sens caché de l’évocation du cas Algérie dans une contribution tout entière construite autour des notions d’Etat et de gouvernance prises in abstracto : on supposera que l’auteur ne fait que poursuivre le fil de sa pensée dans un raisonnement logique apparent.
Partons comme lui des textes fondateurs de la Révolution et des institutions créées pour la mener à son terme à compter du Congrès de la Soummam. Peut-on affirmer comme le fait l’auteur sans verser dans la mystification que le CNRA, le CCE et le GPRA, organes issus de la Soummam, sont du même ordre que la création de l’état-major général décidé par le trio Krim-Boussouf-Bentobal et que ce dernier a joué le même rôle que les premiers dans la «restauration de l’Etat national souverain» ?
Si tel était le cas, à quoi serait donc due la crise de l’été 1962 évoquée plus loin par l’auteur qui affirme qu’elle a changé les priorités opérées durant la guerre et dont il dit qu’elle «a été un tournant dramatique qui causera un retard préjudiciable pour le projet de l’Etat au profit d’un système de pouvoir plutôt que de gouvernance» ? Poursuivant dans la mystification, l’auteur conclut ce passage par cette phrase : «Et quand l’homme du 19 Juin a repris ce combat là où il s’était arrêté, le souffle révolutionnaire reprenait ses droits.» Notons la dérive sémantique du raisonnement : de la restauration de l’Etat national souverain au souffle révolutionnaire. Il ne s’agit pas ici de mettre en doute le contenu révolutionnaire des institutions de la Soummam. Mais le projet de la Soummam a été fondamentalement un projet politique, ce que ne fut pas le projet du redressement révolutionnaire opéré par l’homme du 19 Juin ! Issus de l’état-major général créé par le trio Krim-Boussouf-Bentobal, Boumediène et ses acolytes ont été les instigateurs de la crise de l’été 1962 en faisant marcher l’armée des frontières sur les grandes villes du pays dans le but de prendre le pouvoir. Dans la stratégie de l’homme du 19 Juin, tout était sans doute déjà bien arrêté quand il prit contact avec Ben Bella pour le porter au sommet de l’Etat. N’avait-il pas tenté la même démarche auprès de Mohamed Boudiaf qui l’a éconduit ? C’est que lui procédait des principes de la Soummam contrairement à Ben Bella et à Boumediène qui les récusaient ! Quand le Bureau politique formé par Ben Bella à Tlemcen imposa finalement la composition de l’Assemblée nationale constituante, l’armée des frontières dirigée par Boumediène avait déjà la haute main sur les institutions. 
En déficit de légitimité historique et institutionnelle (nous entendons ici les institutions issues du Congrès de la Soummam), le régime de Boumediène n’en pas moins fini par se forger une forte notoriété en interne (par le projet d’industrialisation qu’il mit en œuvre, projet porteur d’immenses progrès dans tout le corps social) et externe (par le soutien indéfectible à tous les mouvements de libération nationale dans les continents africain et latino-américain). Boumediène lui-même devint une personnalité de rang mondial par sa vision des rapports internationaux économiques aussi bien que politiques. Mais le même régime a failli dans ce que le Président Boumediène a cru avoir le mieux réussi : édifier des institutions qui survivent aux évènements et aux hommes. A peine a-t-il été inhumé que ces institutions ont vacillé pour finir par tomber dans les rets d’un parti unique qui ne fit pas que s’ingérer dans les affaires de l’Etat : il dicta la conduite à tenir aux gouvernants et se paya même le luxe de déposséder le gouvernement de son siège historique pour se l’approprier. L’article 120 des statuts du néo-FLN décida de qui pouvait prétendre aux responsabilités publiques et de qui ne le pouvait pas. Pour finir, le nouveau Président lui-même, coopté par le néo-FLN, ajouta au clientélisme du régime de Boumediène, un népotisme généralisé qui prit racine dans sa propre famille et belle-famille jusqu’à conduire l’économie à la ruine et le pays à la dérive. Telle a été la réalité du pouvoir en Algérie. Durant les treize ans du règne de Chadli Bendjedid, Mouloud Hamrouche qui ne fut officiellement aux affaires que pendant moins de deux ans, a pourtant été associé de près à l’évolution vers un régime libéral-autoritaire qui mena le pays d’émeutes en cascade au terrorisme de masse. S’est-il à quelque moment que ce soit désolidarisé du régime sinon en menant sa propre stratégie d’accession au pouvoir en interne et dans l’opacité, en formant contre le gouvernement de Kasdi Merbah une sorte de cabinet noir ?   
Que peut bien vouloir dire alors cette sortie de l’auteur : «Tout pouvoir de secte, d’ombre ou d’influence non identifiée qui échappe à tout contrôle est une menace traîtresse contre l’Etat et ces trois fondements» ? Vise-t-elle le régime actuel en oubliant qu’il n’est que la continuation de celui instauré par Boumediène sur des bases de clientèles et d’affidés dont le lien avec l’armée des frontières a été et reste instituant ? Toutes ces questions font l’objet d’analyses nombreuses et contradictoires de la part d’historiens, de politologues, d’économistes et d’acteurs encore en vie de la révolution que l’auteur semble tenir en désaffection puisqu’il n’en cite aucun.
Hassan Ouali termine sa présentation de la tribune de Mouloud Hamrouche en suggérant qu’il serait l’homme providentiel. Mais il fait bien de se poser la question de savoir quelle ultime mission il  lui  resterait  donc à accomplir !
A. A.

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