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Rubrique Contribution

Intégration transnationale et réalité nationale Les enjeux du présent

Par Amine Kherbi(*)
Au cours des dernières années, il m’est arrivé de prendre publiquement position sur des sujets de politique nationale ou internationale. Le projet pour l’Algérie du XXIe siècle m’a particulièrement tenu à cœur. Mon objectif a toujours été d’apporter des idées, de suggérer une méthode, d’aider à définir une problématique et de partager des expériences pour enrichir le débat public. Ma réflexion s’est portée sur des questions économiques, géopolitiques et stratégiques. Cependant, je sais que, dans le cas des grandes options globales, l’engagement collectif est indispensable. Il suppose que nous retrouvions notre vocation d’apprendre, d’entreprendre et de créer. Il requiert aussi que des forces politiques nouvelles et la société civile contribuent à l’élaboration de la politique de renouveau.

C’est une nouvelle perspective de l’avenir qu’il faudra désormais dégager afin de donner une expression aux besoins de sécurité et de développement de l’Algérie. Face à l’impact d’une mondialisation débridée, d’une concurrence économique internationale effrénée, du crime organisé, du terrorisme transnational, de la cybercriminalité et de la violation de la légalité internationale, il faut savoir se protéger en répondant par des moyens appropriés aux nouvelles menaces. 
Encore faut-il que nous ayons la boîte à outils conceptuels qui permettent de comprendre les mutations du monde et les enjeux du développement régional, de définir des stratégies d’action et d’adapter nos structures institutionnelles à ces défis.
À l’évidence, le besoin de sécurité dépend de la façon dont sont perçues les menaces. La perception des menaces varie suivant les peuples et les individus, en fonction de leur niveau de vie et d’éducation, de leur système de valeurs et de la force de leurs sentiments identitaires. La sécurité doit être, dès lors, considérée comme un processus social.
Pour un pays comme l’Algérie, il s’agit de donner sens à la sécurité et à une nouvelle stratégie de la cohésion sociale. Au-delà de la lutte contre les inégalités et les déséquilibres, la construction de la sécurité suppose l’édification d’un Etat de droit et une organisation de l’ordre politique et social favorisant le vivre-ensemble et garantissant la vitalité de l’espace public. Dans cette perspective, il faudra porter l’effort en priorité sur la stabilité à long terme du pays.
Voilà pourquoi nous devons susciter l’adhésion des citoyens à la politique de renouveau et faire en sorte que les jeunes puissent acquérir un sentiment d’appartenance à la collectivité nationale et apporter leur contribution au bien commun. C’est de la mobilisation et de l’engagement de la jeunesse que dépend l’avenir de notre pays. À terme, le problème de la jeunesse sera au cœur des réponses qui pourront être apportées aux multiples interrogations du développement qu’il s’agisse des difficultés rencontrées ou bien de la déstabilisation politique qui se nourrit de la mauvaise gouvernance.
Dès lors que nous ne disposons pas d’arme miracle face à la crise multiforme que connaît le pays, le principal moyen en notre possession réside dans l’utilisation optimale des ressources humaines et matérielles en vue du renouvellement des bases de la croissance et de l’amélioration de la gouvernance.
Cela suppose que les objectifs et les actions d’une politique de prévention et de sécurité soient adaptés aux moyens disponibles et aux événements particuliers ou nouveaux qu’il faudra intégrer dans le cadre général de l’amélioration des services publics. Une nouvelle approche de la sécurité amène à prendre un certain nombre de mesures permettant d’assurer, par la société, une meilleure maîtrise de la sécurité. 

L’impératif de sécurité
Le débat sur la nouvelle architecture de la sécurité nationale est plus que jamais d’actualité. Dans le contexte d’une situation mondiale insaisissable et dangereuse, l’incertitude pèse sur la stabilité régionale et les risques et menaces apparaissent ou redeviennent multiples et variés. Au plan national, les responsabilités doivent être précisées pour limiter les dysfonctionnements et faire naître des synergies. Cela implique une gouvernance adaptée aux immenses défis de la gestion des crises avec des caractéristiques beaucoup plus grandes que celles intervenant en période de moindre incertitude.
En effet, depuis la fin de la guerre froide, le jeu des acteurs est devenu plus incertain avec la montée des zones de rupture. Apparemment, il se fait au détriment des pays en voie de développement. L’écart entre l’interdépendance croissante des économies et les modes d’organisation politique ne cesse de croître. La mondialisation des économies, plus subie que maîtrisée, véhicule le spectre d’une pénurie généralisée des biens nécessaires vitaux aux besoins des hommes.
Le système international, en proie à ses contradictions, peine à gérer les tensions de la planète, à réguler le monde actuel et à mettre en place une gouvernance mondiale juste et efficace. On comprend mieux dès lors l’importance des reclassements en cours dans les domaines de la sécurité et du développement. Dans un monde où les principaux dangers resteront les questions du terrorisme transnational, du crime organisé, de la pauvreté endémique, des épidémies récurrentes et des tensions climatiques, la puissance sera plus la résultante d’un bon équilibre entre économie, politique, recherche et formation que le produit de la force militaire.
La mondialisation a altéré la perception du besoin de défense. Loin d’être un ferment de régulation géopolitique, elle engendre tensions et nouvelles menaces et les amplifie. 
Nous sommes face à des franchissements de seuil annonciateurs de véritables ruptures avec une très forte croissance démographique et urbaine sur le prochain demi-siècle ainsi que des risques majeurs liés à la pénurie d’eau et aux désastres naturels ou technologiques avec des niveaux de destruction collective sans précédent.
Cette évolution appelle une prise de conscience et la nécessité, pour tous les acteurs, de revoir leurs postures de prévention et de gestion des crises en inventant autre chose et en se mobilisant différemment sur les enjeux globaux. Nous aurions besoin aujourd’hui de réhabiliter la politique pour sortir d’une vision trop matérialiste et pervertie du monde qui nous empêche d’en apercevoir  ses subtiles et constantes transformations.
L’aptitude à l’ouverture des possibles est un des enjeux stratégiques majeurs dans le monde actuel. Cette nécessité de ressaisissement et d’adaptation confère une finalité nouvelle à la politique et un cadre à la stratégie. La politique pourrait être cette faculté de comprendre, de révéler les futurs souhaitables en leur donnant une cohérence et un sens commun. 
Il y a donc urgence à réhabiliter les savoirs dans la conduite des affaires publiques, dans l’éducation et la recherche, afin de favoriser les liens entre les citoyens et le politique. Nous sommes sans doute à la croisée des chemins. 
La complexité du monde contemporain ne nous empêche pas d’inventer des perspectives pour notre pays et de prendre en considération les enjeux sur lesquels doit se fonder l’avenir. 
Derrière le voile de la mondialisation, l’histoire et la géographie s’accrochent alors que la société de l’information imprègne la planète. Voilà pourquoi nous devons savoir faire fonctionner nos institutions avec des intensités variables. 
Les nouvelles technologies apportent une exigence de réactivité et d’efficacité accrue et contribuent à la satisfaction des besoins nouveaux dont l’exploitation pourrait relancer la croissance dans les secteurs de l’environnement, de la santé et de la culture. Toutes ces activités sont actuellement parcellaires au lieu d’être conçues et mises en œuvre dans des plans d’ensemble cohérents. 
Or, pour vivre avec notre  siècle, nous devons continuer à avoir une attitude positive et une ouverture face aux enjeux de sécurité.  Nous devons en effet poursuivre nos efforts pour que le domaine de la sécurité soit partie prenante de l’évolution actuelle de l’information et de l’utilisation du savoir.

L’exigence de développement
Le développement participe de cette quête. La montée de l’insécurité économique, qui touche aujourd’hui toutes les régions du monde, constitue la tendance la plus préoccupante du processus d’exclusion qui frappe de nombreux pays en voie de développement.
Assurer les bases à long terme de la sécurité économique suppose l’approfondissement des réformes structurelles sur le plan interne et la maîtrise des tensions externes nées de ce gigantesque besoin de développement.
Outre l’adaptation du cadre institutionnel de l’économie nationale, la coopération internationale pour le développement devrait constituer l’un des éléments-clefs de la recherche de la sécurité économique.
 Tout cela appelle évidemment une vision claire du devenir du pays et une utilisation efficace de ses atouts pour créer des solutions durables. Ce qui est vrai pour le développement et les questions de sécurité qui lui sont connexes l’est également pour d’autres domaines nécessitant un déploiement conséquent de moyens et l’utilisation de toutes les capacités de soutien au niveau local.
Par conséquent, il importe de rassembler les forces locales et de renforcer les synergies afin d’atteindre, aussi vite que possible, les objectifs visant à construire une infrastructure de réseaux performante et à prendre les mesures nécessaires à la création de services indispensables au développement de nouveaux projets essentiels pour le processus d’innovation.
Pour réussir, la modernisation de nos structures locales suppose une forte impulsion politique. Ce changement serait d’autant plus marqué s’il s’accompagnait d’une véritable politique de décentralisation visant le renforcement des synergies qui appelle des actions urgentes et articulées. 
Cette démarche devra s’accompagner de mesures spécifiques afin de faciliter les mutations économiques et sociales qui favorisent des activités de stimulation/création de nouveaux emplois dans l’environnement, l’industrie des services et la culture. La poursuite des réformes constitue l’une des clés de voûte de la mise en place d’un cadre macro-économique stable qui permettra de réaliser une croissance durable plus forte.
Des besoins nouveaux dont l’exploitation pourrait contribuer à relancer la croissance se manifestent dans les secteurs de l’environnement, de la santé et de la culture. Le marché des produits et services environnementaux recouvre les technologies de détection et de surveillance de la pollution, de restauration de l’environnement et les technologies propres. À ce marché de biens, il convient d’ajouter celui des services, notamment le traitement des eaux et des déchets. Dans le domaine de la santé, à côté du marché des molécules pour le traitement des maladies dégénératives et virales encore mal maîtrisées, il y a surtout le marché des technologies avancées de prévention et de localisation des soins. Les biotechnologies sont aussi un des domaines qui recèlent un très fort potentiel innovateur. 
Dans le secteur de la culture, les produits multimédias et les lecteurs correspondants forment une catégorie de produits appelés à un développement des activités qui exige la définition d’une stratégie globale associant les pouvoirs publics, la recherche, les entreprises et les groupes sociaux concernés. 
Compte tenu des nouvelles exigences en matière de développement économique et social, une attention plus grande doit être accordée à ces développements. Toutefois, cette aspiration ne peut être confortée que si une véritable volonté  politique existe.
Il faut en effet rendre à la culture la place qu’elle doit occuper dans l’esprit du personnel politique et dans la mise en œuvre des politiques publiques. Nous devons aussi insuffler un esprit de bonne gouvernance et de prospective dans les choix d’investissement dans ce domaine crucial pour l’affirmation de notre personnalité en tant que membres d’une communauté nationale.              Sans aucun doute, les actions d’encouragement à la création en partenariat d’entreprises de haute technologie auront des effets positifs sur la relance d’une croissance de qualité indispensable au rayonnement international de l’Algérie. Ce choix ne fait évidemment pas disparaître l’exigence de réformes structurelles. Mais il doit être cependant le nôtre.
Pour se redresser, l’Algérie doit mettre en place une stratégie globale. Les politiques visant à soutenir l’investissement en recherche-développement et l’innovation sont nécessaires mais ne suffisent pas si elles ne sont pas associées à d’autres actions s’inscrivant dans un ensemble beaucoup plus vaste de politiques qui viseraient un accroissement de l’investissement dans l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, un développement des marchés et du secteur financiers ainsi qu’un renforcement du rôle de cadrage de l’activité des politiques macroéconomiques.
Aussi, des efforts significatifs devraient-ils être déployés pour consolider la cohérence de la politique économique et de l’action extérieure et commerciale de l’Algérie. Cette nécessité apparaît comme une donnée essentielle de notre calendrier national car elle conditionne notre compréhension de la complexité des enjeux globaux,  notre capacité d’initiative et l’affirmation de notre présence sur les scènes régionale et internationale.

L’urgence d’agir 
Pour notre pays dont l’option stratégique majeure pour tenir son rang est désormais la réussite des réformes, l’accélération du processus démocratique et l’affermissement de son rôle régional comme acteur pivot, la question de la gestion des contradictions politiques, économiques et de sécurité dans notre environnement immédiat se pose avec acuité.
Ce qui est important c’est de réussir à être perçu comme le partenaire qui peut contribuer sereinement, selon son expérience et son caractère propre, à apporter certaines des réponses aux interrogations que suscitent les développements dans notre région. Mais il faudra bien comprendre que le champ de nos vulnérabilités est en profonde mutation. 
Nous vivons en effet dans un monde en ruptures où l’État n’est plus la force organisatrice. Les deux clés de compréhension de l’évolution du système international sont liées essentiellement à la mondialisation en cours et à l’émergence de nouveaux acteurs majeurs qu’elle suscite. S’interroger sur les acteurs mondiaux, c’est poser la double question de l’évolution de la gouvernance et de la notion de puissance dans le monde.
Mais en ce temps de l’urgence stratégique, rien ne se passe jamais comme prévu. Qu’il s’agisse de  crises ou de  ruptures, nous nous trouvons face à des problèmes exprimés en termes de vie ou de mort. Il en est ainsi de la pandémie de coronavirus, du terrorisme, du crime organisé ou du changement climatique. Ce qui compte vraiment lorsqu’on intervient dans une situation de crise ou de rupture et qui donne le sentiment qu’on progresse, c’est d’avoir mis quelques énergies en mouvement et de les avoir reliées entre elles dans un projet cohérent.
Face aux défis que nous avons à relever, il nous faudra une prise de conscience collective des problèmes de la vie quotidienne. Nous devons susciter l’espoir, provoquer les circonstances et offrir des perspectives d’avenir dans les zones d’ombre. Le vécu d’un présent replié sur lui-même, coupé de l’avenir et du passé, en dehors du temps, ne doit pas nous empêcher de définir des priorités afin de lutter efficacement contre les inégalités, de promouvoir l’intégration économique et sociale et d’assurer l’avenir  des générations montantes.
L’Algérie a besoin de formes politiques qui lui permettent à la fois d’affirmer son identité propre et de s’intégrer dans la vie internationale. L’évolution nécessaire de l’Algérie vers une pratique démocratique plus soutenue invite donc à faire évoluer notre perception de la liberté afin de lui rendre son rôle de principe organisateur de la société. Cela suppose un changement d’attitude de la société et la conscience à développer des mécanismes collectifs de solidarité afin de consolider l’État de droit. Ainsi, l’exercice du pouvoir pour le bien de tous et l’amélioration des institutions répondrait à l’urgence stratégique des temps présents.
Tandis que l’environnement immédiat semble toujours plus complexe, plus difficile à appréhender et à comprendre, nous faisons en permanence l’expérience de l’imperfection, de l’aléatoire et du changement. Dans le même temps, l’accélération des mutations du monde nous oblige à nous adapter beaucoup plus vite que par le passé. La responsabilité comme le devoir de continuer à préserver nos intérêts à long terme commandent de distribuer, au mieux, les moyens dont nous disposons pour limiter l’impact de la crise actuelle tout en gardant la capacité à réagir à une aggravation de la situation. Pour relever ce défi stratégique, nous devons veiller à préserver notre autonomie d’appréciation et de décision dans un monde qui appelle des réponses rapides. Agir dans l’urgence implique une stratégie globale de sortie de crise et une hiérarchisation des modes de solutions possibles et souhaitables. Il y a des crises dont on est capable d’imaginer la solution.
Avec la surmédiatisation, presque chaque jour une nouvelle information voudrait nous confirmer dans l’idée que nous allons être encore et davantage  contraints par l’économie, la technologie et la géopolitique. Des constatations de ce type posent différentes questions auxquelles nous sommes des fois peu habitués et qui concernent les évolutions et les crises de société. L’analyse des événements majeurs de ce début de siècle montre bien que nous sommes confrontés à des cas complexes de causalité systémique. Tout part de là et tout y revient, même s’il faut, en passant, se pencher sur des enjeux transversaux, comme ceux de l’eau, de l’alimentation, de l’environnement, de la sécurité et du développement.
Certes, le développement des technologies de l’information et de la communication nous aidera à mieux comprendre les évolutions, les crises et les sorties de crise. Quand on regarde les choses sous cet angle, on est conduit à refaire le choix des possibles et des réels à chaque fois que la situation l’exige. Encore faut-il le comprendre, le vouloir et se donner les moyens de le pouvoir. La crise sanitaire actuelle, provoquée par la pandémie de coronavirus, aurait pu être ce déclencheur. Or, il n’en est rien. 
À l’instar d’autres pays en voie de développement, faute d’accéder à des solutions innovantes et de bénéficier d’une aide substantielle de la communauté internationale, nous sommes dans l’impossibilité de faire face, seuls, à une situation aggravée par un système international inéquitable. La seule issue pour ne pas être pris dans le piège de l’hésitation consiste à prendre de la hauteur et de la distance. Cela requiert une reprise en mains des activités liées à l’amorce d’une gouvernance efficace, à une réanimation générale de la société et à l’organisation de l’économie sur des bases renouvelées. Tel est le cadre inédit dans lequel il faut aujourd’hui penser et promouvoir une politique de sécurité nationale. Désormais, nous devons affronter, sans doute directement, la question de l’intégration transnationale en ayant en vue le monde de l’information et son emprise sur les sociétés inaptes à suivre le rythme rapide qu’impose une mondialisation débridée. Nous disposons d’atouts indéniables pour influencer la constitution d’un ordre à venir qui nous sera, sinon favorable, du moins compatible avec nos intérêts.
L’Algérie a beaucoup à attendre de son insertion dans la mondialisation. Elle dispose des capacités nécessaires pour la réussir. Nos débats, qu’ils soient publics, contractuels ou médiatiques, gagneraient en intérêt s’ils portaient sur notre adaptation aux enjeux contemporains.
A. K.

(*) Enseignant à l’Institut diplomatique et des relations internationales du ministère des Affaires étrangères. Diplomate de carrière, ancien ministre délégué aux Affaires étrangères et ambassadeur dans plusieurs pays. Durant les années 70, 80 et 90, il a été porte-parole et négociateur principal des pays en voie de développement pour les questions de matières premières, d’industrie et de technologie. En 1994, il a présidé le groupe d’experts du comité pour la protection de l’économie nationale. Il est l’auteur de L’Algérie dans un monde en mutation : regards sur la politique économique, la sécurité nationale et les relations internationales et de Sur le toit du monde : chroniques américaines, éditions Anep 2018 et 2021.

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