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Rubrique Contribution

L’Inde de Nehru et la Révolution algérienne

Par Ali Chérif Deroua
Pour la majorité des Algériens de tout âge, l'Inde et Nehru n'ont pas aidé la Révolution algérienne, d'autant plus qu'aucun responsable, aucun historien, aucun analyste politique n'a essayé de démentir ou de prouver les raisons d'un tel jugement. 

Pour ma part, Nehru a aidé la Révolution algérienne, peut-être pas comme nous l'aurions souhaité. Il avait ses raisons, sujet de cette contribution.
Avant d'expliciter mon opinion, il est judicieux de donner un certain aperçu de Nehru.
Qui est-il ? 
Il est né le 14 novembre 1889 dans une famille aisée, dont le père Motilal était déjà un important homme politique.
Après sa scolarité en Inde, il rejoint la Grande-Bretagne pour suivre des études de droit à la fameuse université de Cambridge, où il obtient son diplôme d'avocat en 1912. 
Dès son retour en Inde, il devient en 1916 l'un des plus proches collaborateurs de Mahatma Ghandi, qu'il me semble inutile de présenter, vu son parcours et son prestige de par le monde.
En 1922, il devient le secrétaire général de l'Indian National Congress.
Plusieurs fois emprisonné par les     Britanniques, il devient leur interlocuteur pour préparer, en 1946, l'indépendance de son pays.
Après les élections d'août 1947, il devient le Premier ministre de l'Inde.
En janvier 1950, il décide de faire de son pays une république. Au lieu de se présenter lui-même au poste de Président, il préconise à son parti la désignation de Rajendra Prasad qui deviendra le premier Président.
À Bandung, il est la star de la Conférence, son inspirateur, son organisateur entre autres. Il était aussi le représentant de l'Inde qui était et est, jusqu'à ce jour, la plus grande démocratie du monde.
Après l'indépendance de l'Inde de l'occupation britannique, Nehru voulait récupérer pacifiquement les comptoirs français de l'Inde dépendant de l'empire français : Pondichery, Chandernagor, Karikal, Mahe et Yanaon. (Tous les Algériens de mon âge doivent se rappeler avoir appris par cœur, à l'école, les noms de ces comptoirs). 
En 1947, l'Inde, après des péripéties inoubliables, acquiert son indépendance de la domination britannique. Après des élections démocratiques remportées haut la main par l’Indian National Congress et son leader incontesté, Jawaharlal Nehru négocie la récupération de ces 5 comptoirs, partie intégrante de l'Inde, occupés depuis presque 3 siècles.
Eh bien, savez-vous, cher lecteur, ce que la France lui a proposé comme solution : ni plus ni moins que l'autodétermination pour décider du sort de ces comptoirs. Cette même France nous refusa pendant plus de 7 ans la même revendication durant notre lutte de libération. Après 5 années de situations rocambolesques, les deux pays trouvent une solution satisfaisante pour les deux parties : Chandernagor, entièrement enclavé est rattaché après un référendum le 19 juin 1949 et un traité de cession du 9 juin 1952. 
Deux ans de négociations pour le transfert d'un comptoir !!!
Il reste donc 4 comptoirs encore sous domination française. 
Ces 4 comptoirs trouvent une solution après 2 années supplémentaires de négociations et un accord est signé à New Delhi le 31 octobre 1954, avec transfert des pouvoirs, de facto le 1er novembre 1954. Quelle coïncidence fortuite ! L'Histoire réserve toujours des surprises et quelles surprises !!! Retour des comptoirs français à l'Inde et déclenchement de la Révolution algérienne le même jour !!!
L' explication vous sera donnée à la fin de l'article.
Revenons maintenant à la position de l'Inde et de Nehru vis-à-vis de la Révolution Algérienne. 
Ni à la réunion de Bogor du 27 au 29 décembre 1954 des cinq pays — Birmanie, Ceylan actuel Sri Lanka, Inde, Pakistan et Indonésie ­—, désignés pour entériner la date de la Conférence et l'envoi des invitations, ni à  Bandung, l'Inde n'a pas été contre la participation de l'Algérie. La participation de l'Algérie devait se faire dans le cadre d'une délégation commune, incluant le Maroc et la Tunisie. Et c'est à ce titre qu'elle a participé.
Le 30 septembre 1955, une demande d'inscription de la question algérienne est déposée aux Nations unies. Par 28 voix pour, 27 voix contre et 5 abstentions, elle est inscrite à l'ordre du jour de cette session. Cette demande a été faite par 14 pays ayant participé à  la Conférence de Bandung. L'Inde faisait partie de ses 14 pays. On ne peut pas être signataire de l'inscription de la question algérienne à l'ONU, et en même temps être contre l'Algérie.
L'explication est simple, et au lecteur de se faire sa propre opinion.
Dès que la question algérienne a été retenue, la délégation française, conduite par le ministre des Affaires étrangères, Antoine Pinay, s'est retirée de la réunion, ce qui est déjà une première et un acquis pour la cause algérienne. La France avait menacé de se retirer des Nations unies.
Mais la France avait surtout un atout qu'elle pouvait utiliser pour punir ceux qui vont à l'encontre de ses intérêts.
L'Inde avec à sa tête Nehru, un animal politique, prévoyant le piège ou étant peut-être au courant du danger de la réaction française, arrive à convaincre les autres 13 membres du retrait de la question algérienne de cette session. Tous, sans exception, ont adhéré à son idée de retrait de leur proposition. 
Durant la même séance, l'Assemblée générale des Nations unies devait entériner officiellement l'adhésion de nouveaux membres au sein des Nations unies, dont plusieurs pays ayant assisté à la Conférence de Bandung.
En tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, la France avait menacé de mettre son veto à l'admission de certains des membres. 
Voici la liste des États, dressée en fonction de la demande d'adhésion : Albanie, Jordanie, Irlande, Portugal, Hongrie, Italie, Autriche, Roumanie, Bulgarie, Finlande, Ceylan, Népal, Libye, Cambodge, Laos et Espagne.(4)
À chaque lecteur de choisir.
Nehru, en tant que professionnel de la politique a agi, à mon humble avis, comme un expert, un tacticien et un stratège politique. Et quel stratège ! Il a préféré le choix des étapes. 
1- inscription de la question algérienne à l'ONU avec comme effet immédiat le retrait de la délégation française ;
2- éviter le veto de la France sachant que parmi les pays admis, la majorité d'entre eux sera, dans un an, pour la question algérienne.
Voici la position de l'Inde et de Nehru. La plupart des responsables de la Révolution en ce temps connaissaient cette raison. Chacun avait ses raisons de ne pas en parler plus tard. Et je les comprends !!!
Maintenant c'est à chaque lecteur de se faire sa propre opinion.
À chacune des sessions ultérieures, l'Inde était au premier rang.
Le 5 avril 1956, dans un discours à Allahabad devant les militants de son parti, Nehru a déclaré : «La France a accordé l'indépendance à  la Tunisie et au Maroc et j'espère qu'elle est disposée à faire de même en Algérie.»(1)
Le 2 septembre 1957, Nehru, dans un discours devant le Parlement indien, déclare : «La France ne parviendra à résoudre ce problème qu'en accordant la liberté entière à  l'Algérie. Si nous sommes en faveur de la liberté totale de l'Algérie, et il ne peut, pour nous, en être autrement, cela ne signifie nullement que nous sommes contre la France.»(2)
Avant même la proclamation du GPRA en septembre 1958, l'Algérie avait ouvert officiellement, en 1957, un bureau du FLN avec Chérif Guellal comme représentant.
Pour Nehru, il était politiquement inconcevable que le FLN ait un représentant à Karachi et Djakarta, et pas à New Delhi.
Ferhat Abbas écrit : «A deux reprises, les 2 et 11 février, le président Nasser nous accorda des audiences au cours desquelles nos problèmes furent débattus. Recevant Indira Ghandi Nehru, il nous ménagea une rencontre avec elle. Celle-ci  nous invita à  nous rendre en Inde.»
Même présidente de la Chambre basse de l'Inde, elle ne pouvait inviter Ferhat Abbas sans l'accord de Nehru.
Le 6 mai 1959, Ferhat Abbas, accompagné de Ahmed Francis, est reçu par Nasser.
Le 7 mai 1959, il est à New Delhi à la tête d'une délégation composée de Benyoussef Benkhedda, Mohamed Benyahia et Chérif Guellal.
Il fut successivement reçu au siège d'Indian National Congress, au Parlement et surtout par Nehru. Il écrit : «Contrairement à ce que nous craignons, le Président Nehru fut sensible a notre cause. Il apprécia notre exposé, modéré dans la forme mais ferme dans les principes.»(3)
En mai 1960, Nehru fait une visite officielle à Paris. Au cours des entretiens avec De Gaulle, il soulève la question algérienne.
Voici quelques extraits d'un article du journal le Monde : «Relevons néanmoins deux points principaux : l'évolution de la communauté et de l'Algérie, sur laquelle le Président de la République a donné à son hôte le matin, quelques précisions en tête à tête, et la Chine, dont il a été question l'après-midi en présence de Debré et Couve de Murville... Quant à l'affaire des ex-comptoirs français, le Premier ministre (Nehru) n'a pas paru se préoccuper outre mesure des délais apportés à la ratification du traité.»
Nehru, qui parle de l'Algérie en tête à tête et qui ne se préoccupe pas des comptoirs. Au lecteur d'apprécier. 
Revenons aux comptoirs.
Le transfert de facto, comme explicité au début date du 1er novembre 1954.
Le transfert de cession est signé entre les 2 pays le 28 mai 1956
La ratification officielle de ces accords est en date du 16 août 1962. 
Le rattachement de facto des comptoirs à l'Inde a eu lieu le 1er novembre 1954, jour du déclenchement de notre Révolution. 
Nous avons obtenu notre indépendance le 5 juillet 1962. Le sort des comptoirs de l'Inde a été ratifié le 16 août 1962. 
Pourquoi un tel retard ? Au lecteur de juger le poids supporté par Nehru et le dilemme auquel il était confronté. Il a fait de son mieux pour un partisan de la non violence comme arme de libération de son pays et d'autres pays dont le nôtre. Je lui en serai toujours reconnaissant....
A. C. D.
La prochaine contribution aura pour thème la «Conférence de Bandung».

(1) journal le Monde du 6 avril 1956
(2) AFP du 2 septembre 1957 et le Monde du 3 septembre 1957
(3) Autopsie d'une guerre, Ferhat Abbas page 259. Editions Garnier.
(4) A/PV.555 archives du 14 décembre 1955 documents ONU.

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