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Rubrique Contribution

L’université face à ses véritables défis

Par le Pr Baddari Kamel(*)
Force est de reconnaître que l’université algérienne ne laisse pas indifférent. Nombre de fois décriée, mais souvent louée, elle fait face à une kyrielle de défis qui contrastent dans le même temps avec autant d’atouts. Les défis, qui sont, pour la plupart, externes à ses missions, compliquent davantage la situation paradoxale dans laquelle elle se trouve ; une situation qui ne reflète guère l’immense étendue de ses possibilités et mérites.  Alors, intéressons-nous à quelques-uns de ces défis qui la font tourner en dysharmonie avec «la machine enseignement supérieur», et qui l’empêchent souvent de tenir pleinement ses missions.

La nature et l’origine des défis
Tout d’abord, précisons qu’un défi est un obstacle qui apparaît lors de l’exercice des activités et des missions d’une organisation (université, entreprise, ministère…), et son apparition n’est pas forcément négative car il permet de faire évoluer l’organisation s’il est bien surmonté. Par contre, il peut être un réel obstacle négatif s’il n’est pas pris en charge ou s’il n’est pas le produit des activités et  des missions principales d’une organisation donnée. 
À titre d’exemple, les missions classiques de l’université sont la formation, la recherche scientifique, la diffusion de la culture scientifique et technologique, la contribution au développement socio-économique ainsi que sa participation au développement universel de la science tout en étant un acteur de l’innovation. Tout défi émanant des activités de ces missions est de nature à faire évoluer l’université, il suffit juste de le prendre en charge.
Cependant, un défi qui n’émane pas de ces missions telles que la « massification » des effectifs, qui est plutôt démographique, ne fait qu’empêcher l’évolution de l’université sans que celle-ci puisse faire quoi que ce soit. Et cette problématique n’est pas seulement propre à l’enseignement supérieur en Algérie. Un autre exemple est le chômage des jeunes, l’ennemi de toute réforme, qui est plutôt social ou économique, entraînant, par sa présence, une réelle démotivation des étudiants, pensant que leurs études ne mènent pas à des lendemains enchanteurs ni heureux. Telle est la réalité des faits, sans pourtant sombrer dans une quelconque détresse, puisque les solutions existent.

L’université face à la  «massification» des effectifs
La «massification» est définie comme des effectifs supplémentaires reçus dans un cadre qui ne permet pas à l’institution de l’enseignement supérieur de les accueillir convenablement, mais dont elle a l’obligation de les inscrire, eu égard à son rôle dans la société. La conséquence immédiate est qu’elle ajoute des tensions supplémentaires dans des filières déjà surbookées. L’Algérie a connu une massification spectaculaire (les effectifs ont augmenté de 71% durant les dix dernières années. Ils sont passés de 1 093 288 en 2010 à presque 1 546 243 étudiants en 2020. L’effectif des enseignants est passé de 37 688 en 2010 à presque 61 277 dans la même période. Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique). Les raisons qui ont fait que l’on soit arrivé à cette situation sont bien identifiées. Citons parmi  elles, les raisons démographiques et sociales. Par contre, la manière qui a été déployée jusque-là pour y faire face, non seulement en Algérie mais à        travers le monde, n’a pas donné les résultats escomptés.
Comment dès lors approcher cette problématique de «massification»? Plusieurs solutions, autres que le clausus numerus, ont été expérimentées aux États-Unis notamment et qui ont donné des résultats plus ou moins acceptables car  se basant sur des classes de 80 étudiants maximum, ce qui est loin de la réalité algérienne où la classe peut atteindre jusqu’à plus de 200 étudiants. La solution à nos spécificités réside dans deux dimensions qu’il faudra considérer simultanément. Une dimension politique tendant à mettre en place des dispositifs de création de PME et de start-up génératrices d’emplois durables et qui bénéficient de la confiance de la population grâce à leur impact positif et perceptible, et une autre qui est du ressort de l’université elle-même : la création de filières courtes et de programmes attractifs donnant des diplômés fortement employables. Ces deux dimensions, considérées simultanément, permettront aux étudiants de quitter tôt l’université avec un premier diplôme tout en sachant que le marché de l’emploi est prometteur. Mais attention, il ne suffit pas de créer pour créer ou d’élaborer des textes qui ne seraient pas appliqués et qui ne serviraient donc pas à l’amélioration de la situation. Il s’agira de déployer une réelle stratégie avec des objectifs de croissance en évitant les écueils du passé. Notre pays possède un instrument irremplaçable, l’université de la formation continue, qui doit, à cet égard, se restructurer pour se transformer en une université virtuelle assurant des formations à distance pour certaines filières, afin de diminuer la pression sur les universités, mais aussi d’assurer la promotion et de répercuter l’usage des TIC dans l’enseignement.

L’université face à son écosystème
L’université doit avoir l’ambition de réunir les conditions nécessaires à la création d’un environnement propice à son développement ; c’est aussi la même ambition qui doit animer toutes les parties de l’écosystème universitaire à y participer : l’entreprise, les pouvoirs publics, les parties prenantes… pour mettre en place les dispositifs nécessaires à la création d’emplois en nombre suffisants pour absorber une partie substantielle des extrants annuels de l’université (353 427 extrants en 2020 (source : Conférences régionales des universités Est, Centre, Ouest). Attardons-nous un instant sur la réalité de l’entreprise. Le tissu des entreprises est constitué des PME (Petites et moyennes entreprises) et des grandes entreprises. Les PME sont au nombre de 1 171 945 en 2019 (source : bulletin du ministère de l’Industrie N°35 - novembre 2019), constituées à majorité (plus de 95%) de très petites entreprises (entre 1 et 10 employés), le plus souvent familiales, d’une vision stratégique méconnue ou absconse, peu présentes dans l’industrie, peu créatrices d’emplois, complètement déconnectées de la réalité de l’université pour la plus part ; et c’est là l’un des freins importants qui empêchent le pont «entreprise-université» de se construire, non seulement à cause de leur nombre, qui est largement en deçà de ce qu’il doit être, mais surtout pour le rôle qu’elles devraient tenir dans la société algérienne et qu’elles n’assurent pas. Quant aux grandes entreprises, il serait plus convenant de leur réserver un chapitre entier pour traiter de leur insuffisance dans le développement des écosystèmes universitaires.

L’université face à sa gouvernance
Le terme de gouvernance introduit une logique marchande dans l’exercice des missions d’un établissement d’enseignement supérieur, signifiant par là que l’université doit s’orienter et évoluer vers le mode managérial. Ainsi, pourrait-on parler de gouvernance universitaire dans ces conditions alors que le terme (ou groupe de termes) signifie le financement d’établissements d’enseignement supérieur par des pourvoyeurs de fonds, publics ou privés ? On voit donc que ce concept n’exprime pas exactement l’idée sous-jacente dans le contexte actuel d’un établissement d’enseignement supérieur algérien.
Continuons, malgré tout, à utiliser ce terme de gouvernance pour cibler essentiellement le management de l’institution universitaire dans le contexte d’aujourd’hui. Cette clarification étant faite, qu’est-ce qui fait donc que le mode de gouvernance actuel soit un défi ? La réponse pointe sur des carences en matière d’une gestion efficiente des ressources humaines favorisant la motivation, la participation et la responsabilisation qui doivent être portées par un responsable manager disposant d’un potentiel managérial prouvé. 
L’obligation de résultats consignés dans son plan de développement qu’il défendra devant les instances de nomination devra être une condition sine qua non à la nomination avec obligation de résultats.

Le LMD, le mal-aimé
Il est regrettable d’entendre ici et là des voix qui s’élèvent contre le système LMD (Licence, Master, Doctorat), en lançant des messages qui n’ont rien à voir avec la réalité. Toutes les insuffisances déclarées ne relèvent pas du LMD, mais plutôt de la manière dont il est appliqué. La qualité d’un système n’est-elle pas corrélée à la qualité de ceux qui l’appliquent ? Le LMD a été introduit progressivement en Algérie dès l’année universitaire 2004-2005. Il n’a pas fait l’objet d’hostilité déclarée, ni l’objet d’adhésion massifiée des enseignants ou des étudiants. Il a continué à se dérouler dans un contexte marqué par la «massification des effectifs». Force est de constater que des insuffisances objectives ont été identifiées qui émanent, le plus souvent, d’un manque d’attitudes positives qui auraient dû accompagner la réforme. L’on est arrivé à des filières surbookées à qui on demande d’accueillir davantage d’étudiants, des chefs d’établissement  qui n’ont souvent pas accompagné la réforme, une campagne virulente pour des raisons idéologiques, une méthode d’enseignement qui n’a pas suivi les exigences du système (pédagogie, accompagnement des étudiants…), etc., mais cela n’exclut pas l’effort et  la volonté de quelques chefs d’établissement, de responsables au ministère de tutelle et d’enseignants universitaires qui ont fait que le LMD a pu résister aux différentes tempêtes, voire même aux actions délibérées à le mettre à terre. Il a été évalué à deux reprises, la dernière en janvier 2016. La solution réside dans la prise en charge de toutes les lacunes clairement identifiées qui passent, bien entendu, par l’engagement sans faille de l’enseignant, la disponibilité des moyens, l’information et l’accompagnement des étudiants, l’amélioration du marché de l’emploi par la création de pôles d’excellence et d’incubateurs d’université ainsi que des filières plus attractives en relation avec les métiers de demain et l’institution de la pratique de la qualité…

L’indispensable agence d’évaluation ou comment soumettre les facs à une réelle évaluation ?
Tout établissement d’enseignement supérieur doit avoir l’ambition d’assurer la qualité de ses services, mais aussi de pouvoir rassurer les parties prenantes qu’il applique des démarches efficientes dans sa gouvernance. Il sera donc amené à intégrer des démarches normatives et à réaliser des auto-évaluations institutionnelles ou programmatiques par période pour s’apercevoir et apprécier les résultats obtenus. Mais ces évaluations internes demeurent insuffisantes, un regard externe est indispensable. C’est la mission qui doit être confiée à une agence externe d’évaluation dont la création en Algérie a été prévue mais non concrétisée à ce jour.
La finalité de l’agence sera le développement de la qualité de l’établissement pour une amélioration continue de l’efficacité et de l’efficience de ses activités. Elle permettra aussi la certification et l’accréditation. Afin de garantir son indépendance, cette agence doit être rattachée à une institution d’État autre que le ministère de l’Enseignement supérieur pour éviter les éventuels conflits d’intérêt et pour que toute démarche normative entreprise par tel ou tel établissement puisse être valorisée et reconnue par les instances internationales d’accréditation.

Les incubateurs et les pôles scientifiques
Depuis quelque temps, le terme incubateur est mobilisé de manière récurrente. Il mérite d’être clarifié. En effet, un incubateur est un espace (coworking) pouvant accueillir des enseignants, des étudiants et des entrepreneurs passionnés par l’entrepreneuriat et la création de start-up par l'exploitation des travaux de recherche réalisés dans les laboratoires de recherche universitaires. Les étudiants qui y adhèrent recevront une formation de création de start-up, et conseillés, voire financés pour mener à bien le démarrage de leurs projets. Une véritable osmose est attendue entre les ministères de l’Enseignement supérieur, de la Formation professionnelle et celui chargé des Start-up. Sans cela, il sera difficile d’atteindre l’objectif fixé par les pouvoirs publics. Un incubateur a un but non lucratif lorsqu’il est implanté dans une institution publique. Le défi est de répondre à une foule de questions parmi lesquelles la participation et l’engagement des enseignants à encadrer les étudiants qui y adhèrent, des travaux de recherche innovateurs, la participation des entreprises… Quant aux pôles scientifiques de formation et de recherche appelés aussi des technopôles, clusters scientifiques et technologiques spécialisés,  des pôles de compétitivité… et tant d’autres, implantés dans une région, leur but est de permettre aux universités, grandes écoles nationales et organismes de recherche de mutualiser leurs activités et leurs moyens pour proposer des offres de formation et de recherche mieux adaptées aux besoins de la région dans un contexte de travail collégial et luttant contre les stratégies individuelles et personnelles. Le défi relevé ici est de localiser la région qui remplit les conditions d’émergence et d’évolution telles que la présence de cluster d’organismes d’enseignement supérieur et de recherche fortement mobilisés et intéressés, l’identification et l’analyse des véritables atouts et besoins de la région, ainsi que le degré de participation des entreprises…

Conclusion
Les limites, par ailleurs bien identifiées — certaines ont été citées dans cet exposé —, imposent une nouvelle démarche qui doit puiser des insuffisances du passé pour atteindre des objectifs de croissance fixés par la nouvelle orientation politique du pays. Ainsi, la prise en charge réelle des effectifs de plus en plus importants, la construction effective du pont «université-entreprise», la création de PME et de start-up innovantes et génératrices d’emplois, les correctifs à apporter au LMD et bien d’autres éléments, qui n’ont pas été abordés, tels que la contractualisation, la recherche & développement, le bien-être de l’enseignant et de l’étudiant, le rapprochement université-entreprise, l’internationalisation des études et de l’attractivité de l’université, la formation continue des salariés, les textes juridiques… constituent un ensemble de propositions qui peut être développé et positivement ajouté à la feuille de route des orientations tracées lors des Conseils des ministres du 13 janvier 2020 et du 30 août 2021.
B. K.

(*) Professeur des universités. Expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Expert en conduite de changement. Université de M’sila.

 

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