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Nous avons besoin de débattre, mais où ?

Par Farouk Lamine(*)

La démocratie comme régime politique ne signifie pas forcément la même chose pour tout le monde. C’est pour certains la participation directe des citoyens dans les prises de décision, comme le veulent, par exemple, en France, les Gilets jaunes à travers le RIC, le Référendum d’initiative citoyenne. Pour d’autres, c’est le fait de déléguer le pouvoir à des représentants élus par le vote direct des citoyens, ce qu’on appelle la démocratie représentative. C’est la deuxième conception de la démocratie qui me semble être la plus proche de celle de la majorité des Algériens, même si la première n’est pas à exclure totalement.
Elle peut trouver sa place à côté de la première. Une dose d’autogestion au niveau local est plus efficace qu’une centralisation et une hiérarchie lente et lointaine. Mais c’est là un autre débat. Le choix du Président se fait par scrutin, mais il en va autrement de la transition : un gouvernement de transition, contrairement à un parti ou un candidat pour la Présidence, n’a pas de programme sur lequel il pourra être élu. Les Algériens veulent de nouveaux visages, et il va de soi qu’en disant cela ils veulent aussi dire des personnes intègres et compétentes.
Dans ce cas, comment juger de l’intégrité et de la compétence des personnes ? Les positions et les actions politiques reçoivent parfois des jugements différents, selon les préférences idéologiques. Nous avons vu plusieurs listes circuler sur les réseaux sociaux. Or, les réseaux sociaux ne peuvent pas être un outil pour choisir des personnalités politiques. C’est probablement utile pour organiser des manifestations, pas plus. Outre le fait que les réseaux sociaux sont peu fiables, en particulier parce qu’ils facilitent la manipulation, c’est aussi un moyen qui, d’une part, encourage l’enfermement et le repli, et, d’autre part, exclut des catégories sociales qui soit ne maîtrisent pas cet outil, soit ne l’utilisent tout simplement pas.
En ce qui concerne la manipulation, les Algériens sont très méfiants, le souvenir de la guerre civile n’est jamais loin, et la situation de la région n’est guère rassurante. Le fait de savoir que les Algériens sont méfiants est en un sens rassurant, mais trop de méfiance fait aussi que nous tournons en rond. La question est donc : comment tomber d’accord sur des personnalités politiques dignes de mener à bien la transition politique et assurer par- là des élections transparentes ? La condition de parvenir plus ou moins à un consensus est de créer des espaces de débat public communs à toutes et à tous. Différentes initiatives ont vu le jour (site internet, conférences, débats dans la rue, etc.), mais elles restent éparses, chacune évoluant dans une sphère et dans un sens.
La diversité est une belle chose, mais pour plus tard, pas pour ériger une démocratie. C’est le consensus qui doit être recherché pour le moment. Il me semble qu’il nous faut, de manière concrète, des chaînes de télévision, des journaux, des revues, des lieux, etc., qui, si possible, s’accordent pour lancer un débat national et permettre par-là aux idées de circuler et au débat d’avancer. Des espaces qui soient dignes de confiance. Pour cela, il est impératif de savoir qui finance et gère ces médias.
En Occident, il existe par exemple des journaux financés par les lecteurs. Ceci a pour avantage d’empêcher toute forme de censure directe ou indirecte (en coupant les publicités par exemple), ce qui protège la liberté d’expression et assure la transparence des propos. Des espaces qui feront probablement émerger des personnalités politiques qui incarneront enfin la volonté de la majorité du peuple. Il est facile de dire que l’opposition ne fait rien – je ne parle pas de l’opposition factice. Or, comment celle-ci peut-elle faire quoi que ce soit si elle ne dispose pas d’espaces d’expression qui lui permettent de transmettre ses idées.
Nombreuses sont les personnalités politiques qui ont souvent recours à l’étranger où elles sont probablement plus sollicitées. Nous voyons d’ores et déjà des personnalités qui jouissent d’une certaine confiance : Karim Tabbou, Mustapha Bouchachi, Sofiane Djilali et bien d’autres, tous parlent d’«embargo médiatique».
Les intellectuels et journalistes qui critiquent sans cesse l’opposition devraient plutôt participer à la création d’espaces d’apparition publics communs pour accueillir et propager les différentes propositions tout en les confrontant. Créer une démocratie, c’est forcément créer des traditions démocratiques ancrées dans la société : des médias populaires non seulement pour informer mais aussi et surtout pour distribuer les compétences et les intelligences afin que tout un chacun puisse former sa propre opinion de manière civique et civile. Mais le paysage médiatique en Algérie n’est guère propice à une telle évolution.
Les journaux algériens restent dans leur majorité séparés par des murs linguistiques et idéologiques. Aucun des principaux journaux n’a pensé à s’ouvrir vers l’autre, en créant par exemple une version dans l’autre langue. Cela nuit au débat, et encourage le cloisonnement, chacun évoluant dans un sens et selon une pensée. Pourtant, le Hirak nous a donné pour la première fois l’impression que les différences sont en train de s’estomper peu à peu. Aujourd’hui, le barbu et la femme non voilée et les supporters de clubs de football manifestent côte à côte sous les drapeaux algérien et amazigh, une première ! On ne peut que s’en réjouir, et le changement réel dépendra de la continuité de cet esprit d’unité face aux enjeux réels.
Une réflexion qui fait avancer le débat est toujours une réflexion commune, celle qui se confronte aux idées des autres, jamais une réflexion individuelle. L’opinion reste une conviction personnelle à moitié formée tant qu’elle n’est pas exposée et défendue.
«Tant que nous n’avons pas à défendre nos opinions en public, elles demeurent des opinions», écrit le sociologue américain Christopher Lasch dans son livre La Révolte des élites. «C’est l’acte de formuler nos conceptions et de les défendre qui les tire de la catégorie des ‘’opinions’’, qui leur donne forme et définition, et permet également à d’autres de les identifier comme la description de leur propre expérience.» C’est pourquoi des espaces publics communs sont une chose vitale pour la démocratie. Dans l’incertitude de la situation actuelle, nous avons besoin d’espaces démocratiques communs dans lesquels les idées circulent et se confrontent, et les débats avancent.
L’acquisition de tels espaces est une étape incontournable pour lancer ensuite des réformes plus ou moins consensuelles. La création ou non de ces espaces décidera également du type de démocratie que nous voudrons : celle du citoyen «spectateur» ou celle du citoyen «acteur». Et finalement, ces espaces de débats seront des zones de résistance sur lesquelles nous pourrons nous appuyer lorsque la contre-révolution pointera le bout de son nez.
F. L.
(*) Universitaire, Jijel.

 

 

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